19 septembre 2024

Conférences

💻Comment s’adapter au Contentieux Émergent de la Compliance

par Marie-Anne Frison-Roche

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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Comment s’adapter au Contentieux Émergent de la Compliance", in , Association nationale des juristes de banque (ANJB), 19 septembre 2024, Paris, 9h-10h30

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Cette conférence se tient avec un autre intervenant, Maître Jean-Pierre Picca.

Elle est suivie d'un échange avec l'auditoire.

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► Résumé de la conférence : Le contentieux qui est en train de naître des normes de Compliance est d'un type nouveau, souvent devant le juge de droit commun, notamment à travers la Vigilance, pointe avancée de la Compliance. Le comprendre pour s'y adapter et y jouer son rôle : c'est l'enjeu qu'il faut immédiatement relever.

Le Droit de la Compliance est une nouvelle branche du Droit, de nature téléologique, dont la normativité juridique est ancrée dans ses buts. Il s'agit de buts systémiques de préserver des systèmes par la détection des risques qui les fragilisent et la prévention des défaillances qui peuvent les détruire. Il s'agit donc d'un Droit Ex Ante, dont la réalisation va peser sur les "entités" en position pour détecter les risques et prévenir les défaillances afin que ces buts systémiques soient atteints. A ce titre, il s'agit de "buts monumentaux" en ce qu'il s'agit de buts de nature politique visant des systèmes complets. Il est donc essentiel de distinguer la "conformité", qui ne consiste qu'à se "conformer" à la réglementation applicable et le Droit de la Compliance, qui consiste à contribuer à la réalisation de ces Buts Monumentaux", soit de force (obligation légale) soit de gré (Raison d'être, entreprise à mission, obligation contractuelle, RSE). En cela, la Compliance est à la fois beaucoup plus restreinte dans ses buts et beaucoup plus ambitieux, puisqu'il s'agit de la construction de l'avenir et non pas du respect mécanique de la réglementation.

Or, le secteur bancaire, que l'on peut considérer comme une exception par rapport au principe de Concurrence, qui repose sur la mobilité extrême et l'absence de rente, la destruction du plus faible, la prise de risque, l'absence de solidité de l'opérateur ne posant pas problème, apparaît comme le parangon du principe de Compliance, qui repose sur la durabilité des systèmes assurée par la solidité des opérateurs eux-mêmes, leur solidarité, l'échange d'information, des superviseurs intégrés. Par exemple, le devoir de vigilance et l'information sur autrui, la Régulation par la Supervision sont nés dans ce secteur qui a internalisé dans les banques ce souci sectorial, lui-même porteur d'un souci général, notamment dans la conception européenne de la banque continentale. L'Union Bancaire l'a accru.

Dès lors, l'on va internaliser dans les banques des soucis sur l'avenir qui vont au-delà de la préservation du secteur bancaire, comme la prévention du risque systémique climatique ou l'éducation de la population ou la préservation de la population en situation de faiblesse.

Le Contentieux qui va en naître est lui-même très particulier. C'est l'objet de cette conférence que d'en dégager les clefs de compréhension pour que les banques y jouent leur rôle.

En effet, le Contentieux de la Compliance Émergent est de nature systémique. Il se constitue en reflet de l'organisation Ex Ante par laquelle on demande à des entités de prendre en charge une contribution à la réalisation de Buts Monumentaux. Par un litige entre deux parties qui s'affrontent, une personne ou une ONG ou un syndicat ou une municipalité ou un Etat et une banque, se déploie dans l'instance une partie entre ce que l'on peut appeler celui qui prétend porter l'intérêt présent et à venir d'un système, par exemple le système climatique ou le système des relations sociales, et la banque qui porte une "obligation de compliance" légalement posée de contribuer à protéger ce système.

Cela va à l'encontre d'une présentation tactique souvent faite du contentieux de la Compliance comme un système de sanction, plus efficace parce que porté de l'Ex Post vers l'Ex Ante. La présentation en est alors la suite : il s'agit alors de sorte "criminels-nés" que seraient les grandes entreprises qui seraient punis par avance, par un déplacement de la répression de l'Ex Post vers l'Ex Ante : cela n'est pas cela, il ne s'agit pas de punir des "responsables" qui ont déjà corrompu et corrompront toujours, qui ont déjà blanchi et blanchiront toujours, qui ont toujours pollué et pollueront toujours, qui ont toujours piétiné les droits des personnes et les piétineront toujours. Donc, selon un portrait-robots de l'entreprise destructrice-née, il s'agirait alors de la punir aujourd'hui du mal qu'elle a vocation à faire demain.

Beaucoup suivent cette présentation : elle est fallacieuse.

Il ne faut pas laisser cette présentation inexacte de ce qu'est le Contentieux de la Compliance occuper les esprits car au contraire ce contentieux est au contraire un contentieux de type non pas répressif mais un contentieux non-répressif (civil, commercial, arbitral),de type systémique, où les opérateurs économiques cruciaux des secteurs économiques impliqués ont un rôle essentiel à jouer face à un juge non-répressif (juge civil, arbitre, régulateur, juge consulaire, juge administratif) dans des "causes systémiques" où le litige implique un système dans lequel l'opérateur économique, par exemple la banque, joue un rôle essentiel, dans un continuum entre l'Ex Ante et l'Ex Post. Les contentieux de Vigilance en sont la pointe avancée.

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L'auteur qui a parfaitement décrit cela est Chaïm Perelman, notamment dans son ouvrage de 1978, Logique juridique, décrivant les cercles d'auditoires.

Il faut comprendre la construction systémique de l'instance.

Il ne faut pas que la banque se laisse enfermer dans son seul rôle de litigant tandis que l'autre partie, par exemple une ONG, en ce qu'elle se pose comme dépositaire de la "société civile" ou du "système climatique" ou de "l'égalité effective entre les êtres humains" dépasse ce cercle et importe dans l'instance le système lui-même. 

C'est ici que l'adaptation doit avoir lieu. 

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Cette adaptation est à la fois procédurale, probatoire et substantielle.

L'adaptation procédurale doit s'opérer avant même tout contentieux puisqu'il y a un continuum entre l'Ex Ante et l'Ex Post, le judiciaire n'étant lui-même qu'un mode d'accountability (reddition des comptes) parmi d'autres. Cette reddition des comptes s'opère par rapport à une "mission" qui est confiée aux banques par rapport aux buts : prévention, détection et lutte contre la corruption, le blanchiment, le changement climatique, etc., par la construction d'alliance, le bon usage d'information (savoir en prendre, savoir ne pas les transmettre, savoir les transmettre). 

La procédure, c'est-à-dire la façon de faire, doit traduire un élément substantiel, en ce que cela engendre le "sens des responsabilités" : le Droit de la Compliance a pour objet de "responsabiliser" les puissances et de prendre appui sur les positions de puissance. La procédure adéquate consiste dans un "bon usage de sa puissance" au bénéfice d'autrui. Les techniques de "prises en considération d'autrui" sont un élément essentiel. La "prise en considération" par celui qui accepte d'exercer le pouvoir (le pouvoir de financer, le pouvoir de recueillir l'information, le pouvoir de s'organiser ensemble, le pouvoir de contracter).

L'adaptation "probatoire" : indifférence des obligations et droits probatoires par rapport à la place processuelles des parties. L'entreprise a une "obligation de compliance" même si elle est processuellement en défense. L'objet de preuve lui est donné par les Buts Monumentaux que la Loi ou sa propre volonté lui demandent de contribuer à atteindre. Sa charge consiste à montrer qu'elle contribue à la réalisation de ces buts, en agissant pour l'avenir (par exemple par la connaissance de son client, ou par la prises en considération des intérêts des parties prenantes, etc.).

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► Structuration de l'intervention : 

I. La situation actuelle : subir les conséquences néfastes d'une réduction du Droit de la Compliance à la mécanique de "conformité"

II. L'opportunité pour les banques de s'adapter par la compréhension du Droit de la Compliance par le dépassement de la mécanique de la conformité : le puzzle européen, son apparente complexité, sa clarté architecturale (CSRD/CS3D/DSA)

III. L'opportunité pour les banques de ne pas se laisser  enfermer dans des procès qui ne sont que des sanctions, transférées de l'Ex Post vers l'Ex Ante : l'émergence es procès systémiques de Compliance devant les juridictions de droit commun (loi de 2017; arrêts Paris, 18 juin 2024).

IV. Ce qui est attendu des banques dans les procès systémiques de compliance et de vigilance devant les juridictions de droit commun, reflet du dialogue et de l'action requises par le Droit de la Compliance (article à paraître).

V. L'opportunité pour les banques de s'adapter à la nouvelle dimension probatoire du Contentieux émergent de la Compliance et de la Vigilance (article à paraître).

VI. L'opportunité pour les banques de s'adapter à la nouvelle dimension Ex Ante du Contentieux systémique de la Compliance et de la Vigilance, contentieux portant sur l'avenir (article à paraître).

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► Quelques pistes bibliographiques : 

🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Le Droit de la Compliance, 2016

🕴️M.-A. Frison-Roche📝Compliance et conformité : les distinguer pour les articuler, 2024

🕴️M.-A. Frison-Roche📝Devoir de vigilance : progresser, 2024

🕴️M.-A. Frison-Roche📝Le Contentieux systémique, 2024

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