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Ce document de travail a servi de base à une intervention dans la conférence qui se tient au Collège de France.
Lire la présentation de la conférence.
Sous une forme approfondie, il sert de base à une contribution dans l'ouvrage Pour l'Europe de la Compliance.
II. UNE DIFFICULTE COMMUNE A L'EUROPE ET A L'ETAT ACTUEL DE LA COMPLIANCE : DES BUTS INCERNABLES OU REACTIFS
Si l'on admet que l'Europe est une zone qui se construit, qu'elle n'est donc pas "naturelle", qu'elle ne se fera pas "toute seule" et que l'on souhaite qu'elle advienne comme une zone, c'est-à-dire un espace avec des limites qui la différencient de l'extérieur et qui l'ouvrent vers cet extérieur, selon la distinction faite par Alain Supiot entre la "Mondialisation" et la "Globalisation", il faut alors qu'il y ait une "action de construction".
Pour qu'il y ait une "action", il faut qu'il y ait un but. C'est la définition de l'action. Non pas limiter l'action des autres ("réaction"). Or, le "Droit de la Compliance" pour l'instant en Europe, cela n'est que cela : "réagir" aux États-Unis. C'est tout. Les rapports, les expertises, les forces, l'argent, vont vers cela : lutter contre l'extraterritorialité du Droit américain, négocier pour être moins sanctionnés, etc. Bref, limiter les dégâts. Cela ne saurait être qualifié comme un "but. Cela n'est pas une action.
Or, le Droit est un "art pratique". Il est une action.
Il peut n'être que formel : il prête alors sa force à d'autres buts que des buts qui lui sont propres. On regarde alors ce qui est attrayant dans le Droit : sa "force obligatoire". Celle des lois, des traités internationaux et des contrats. Ce qui permet d'autant plus de négocier : c'est la "convention judiciaire d'intérêt public", le settlement . etc. Il est alors une sorte d'action vide, sans but.
Mais prêtons au Droit de la "prétention". et donnons-lui comme "prétention" de "faire l'Europe" (qui ne se fera pas toute seule).
Regardons alors le "Droit de la Compliance" et les buts de celui-ci. Si les buts de celui-ci sont totalement extérieurs à l'Europe, alors il est inutile, ce qui est contrariant car le Droit de la Compliance mobilisant beaucoup de forces, il n'en reste plus beaucoup pour la construction européenne. Si les buts du Droit de la Compliance sont contraires au but de la construction de l'Europe, alors le Droit de la Compliance est (dans la perspective européenne) catastrophique et il faut lutter contre.
Cette dernière affirmation est si souvent faite : le Droit de la Compliance serait une arme politique et économique des États-Unis, un "cheval de Troie" pour nous envahir et si nous l'intégrons, alors non seulement nous ne construisons pas l'Europe, mais nous la détruisons. Donc, le peu de force qui nous reste nous devons la consacrer à lutter contre le Droit de la Compliance (par exemple Sapin 2, Loi Vigilance, 5ème directive contre le blanchiment d'action bientôt transposée, etc.) pour que l'Europe ne devienne pas un autre État des États-Unis.
Mais voir les choses ainsi, c'est sous-estimer le Droit.
En effet, reprenons la définition du Droit de la Compliance, tel non pas qu'il est dans les multiples secteurs. Car nous avons une chance historique : c'est un Droit en construction, si peu encore construction que les fondations sont encore fraîches, nous pouvons en faire les fresques. Nous pouvons, nous devons en être les "architectes".
Pour l'instant, nous ne le sommes pas. Nous sommes enfermés dans des règles à la fois très techniques, sectorielles, et développées dans des zones qui n'ont pas besoin d'une ambition qui est celle de l'Europe, à savoir se construire. Dès lors et pour l'instant le Droit de la Compliance n'est qu'une accumulation de règles techniques, sans but politique majeur, et que l'on prend et retient par coeur, les appliquant mécaniquement, matière par matière, pays par pays. Si ce n'est que cela, cela n'a pas un intérêt majeur. Alors que pour l'Europe, parce que l'Europe doit se construire, le Droit de la Compliance constitue une opportunité historique.
II. UN BUT COMMUN ET DIALECTIQUE QUE LE DROIT DE LA COMPLIANCE PEUT S'OFFRIR EN PUISANT DANS LA TRADITION EUROPEENNE
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Rappelons tout d'abord en quelques mots et branche du droit par branche du droit, ce en quoi consiste les mécanismes de compliance, lesquels sont principalement pensés aux États-Unis, puis "traduits-collés" ailleurs. Restons tout d'abord à cette surface technique. Elle occupe tout le Droit de la Régulation bancaire et financière, tous les établissements qui dressent les cartographies des risques, organisent les systèmes d'alerte, et embauchent les chiefs compliance officers. L'idée est d'internaliser les règles, d'ordinaire sanctionnées en Ex Post dans les sujets de droit assujettis (les entreprises) pour qu'elles prennent en charge elles-mêmes en Ex Ante la mise en oeuvre effective de ces règles. Le but est la prévention du risque systémique par la préservation de l'intégrité des systèmes bancaires et financiers.
Si on les prend en matière de droit de la concurrence, il s'agit de procéder de même mais cette fois-ci par des procédés moins violents car il ne s'agit pas d'un souci de risque systémique mais d'accroître l'efficacité des règles de préservation des marchés des biens et services, dans un intérêt mieux compris des entreprises, notamment leur réputation préservée et accrue Ex Ante.
Les États-Unis ont tendance à en rester à ce but systémique. Dès lors, parce que le Droit de la Compliance a sa normativité dans les buts (droit téléologique), dans la mesure où les marchés sont globaux, il est logique que le Droit américain de la Compliance "prétende" techniquement n'être pas limité dans sa portée par des frontières.
En outre, les États-Unis, ou la Chine, ou l'Inde, n'ont pas à associer à ce but de préservation des systèmes un but de construction d'une zone, puisqu'ils sont déjà une zone.
Enfin, l'on mesure à quel point le Droit de la Régulation et le Droit de la Compliance sont frères jumeaux.
En effet, le Droit de la Régulation a pour but de préserver les systèmes d'une façon efficace : si le système dépasse géographiquement l'emprise du droit de la régulation, alors que l'assujetti du Droit de la Régulation est une entreprise qui excède cette frontière, il faut mais mais il suffit d'internaliser le Droit de la Régulation dans l'entreprise pour rendre la Régulation efficace, en la rendant mondiale. Les États-Unis l'ont compris. Les régulateurs bancaires et financiers l'ont compris. Les autorités de la concurrence l'ont compris.
Dès lors, l'enjeu majeur aujourd'hui et maintenant est : "la prétention que le Droit et l'Économie" peuvent mettre dans les buts internalisés dans les entreprises via le Droit de la Compliance.
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Il n'est pas possible en tant que tel de mettre "la construction européenne" comme but du Droit de la Compliance mais il faut et il suffit que les buts du Droit de la Compliance et l'ambition du projet européen coïncident.
Or, les buts du Droit de la Compliance correspondent aux valeurs de l'Europe, celles qui lui sont propres, celles qui font son identité.
Soit c'est déjà le cas, soit cela l'est d'une façon virtuelle, que le Droit de la Compliance aura l'immense vertu de révéler.
En effet, le Droit de la Compliance est aujourd'hui au coeur du Droit de l'environnement. Soit par un effet d'enchâssement, à travers la notion de "finance verte", soit directement à travers des obligations pesant sur les entreprises énergétiques, le sommet de Paris sur le changement climatique ayant été expressément rattaché, par exemple par Pierre Sellal, au Droit de la Compliance.
Or, les États-Unis n'intègrent pas ces soucis portés par le Droit de la Compliance, en ce que de force (points de contact entre Droit de la Compliance et Droit pénal) ou de gré (points de contact entre Droit de la Compliance, RSE et Éthique), l'Europe insère des buts qui ne sont pas que des buts de préservation de systèmes économiques.
En effet, le Droit de la Compliance doit permettre d'intégrer dans les entreprises, sous le contrôle et la collaboration des régulateurs (communiqué du 2 octobre 2018 de l'AFA comme "point d'appui" des entreprises à propos de la lutte contre la corruption) des soucis et des buts qui excèdent cela.
En effet, le Droit de la Compliance se définit comme l'internalisation dans certaines entreprises de "buts monumentaux". Certains sont communs avec d'autres zones du monde : préservation et gestion des risques systémiques. Certains sont communs et déjà partagés par la Compliance : risques systémiques financiers.
Certains sont communs et ne sont pas partagés : c'est le cas de l'environnement.
Or, en cela, l'Europe, en tant qu'elle en a le souci, a un rôle majeur : celui de "porter mondialement ce souci mondial".
Et puis, il y a des "buts monumentaux" qui ne sont pas partagés par les autres zones du monde, tout simplement parce qu'ils ne sont pas communs. Ils ne sont communs qu'à l'intérieur de l'Europe. Ils forment l'identité de l'Europe.
Et ce souci "monumental" que le Droit de la Compliance peut et doit prendre en charge, c'est la Personne.
On le voit dans ce que le Droit de la Compliance pourrait faire pour la personne du salarié ; pour la personne du malade ; pour la femme.
Ce souci de la personne, c'est la définition de l'Europe.
En cela, le Droit de la Compliance, c'est le contraire de l'allégeance aux États-Unis, c'est la contribution à la construction européenne elle-même.
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