Enseignement : Les Grandes Questions du Droit
Sciences Po, semestre automne 2012
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Le droit des contrats, comme la responsabilité (voir cours [n°9->http://www.mafr.fr/spip.php?article2606]) est traversé de courants philosophiques contradictoires et persistants qui innervent les solutions techniques (voir cours [n°10->http://www.mafr.fr/spip.php?article2635]). Il est par ailleurs construit sous de multiples règles techniques, dont le cœur reste logé dans le Code civil, même si d’une part de nombreuses lois spéciales sont venues en compliquer la compréhension, si ce n’est l’élaboration, et que d’autre part le droit de l’union européenne se saisit de plus en plus du droit des obligations. C’est ainsi que la Commission européenne a publié le 1er juillet 2010 un Livre Vert en vue de créer un « droit européen des contrats pour les consommateurs et les entreprises ».
En ce qui concerne le premier temps du contrat, c'est-à-dire la formation du contrat qui s’opère du seul fait de l’échange du consentement (principe du consensualisme, conséquence directe de la théorie de l’autonomie de la volonté, voir cours [n°10->http://www.mafr.fr/spip.php?article2635]), l’essentiel traditionnel est que le consentement soit libre et pur. C’est pourquoi les « vices du consentement » justifient selon l’article 1109 du Code civil l’annulation du contrat (cliquez ici pour lire le texte de l’article).
Lorsque l’opération économique à laquelle l’acte juridique donne forme est complexe, le mécanisme même des négociations qui assure l’ajustement des volontés, permettant notamment les discussions autour du prix, peuvent prendre d’une façon plus sophistiquée la forme de contrats successifs, désignés alors comme des « avant-contrats », préalables au contrat qui recueille l’ensemble des éléments définitifs et complets de l’accord des parties.
Le premier vice du consentement est l’erreur. Le Code civil a prévu la nullité du contrat lorsqu’une des parties a commis une erreur, la ratio legis étant de protéger la victime de cette erreur, cette victime étant nécessairement l’un des cocontractants, qui n’a pas mesuré ce à quoi elle s’engageait, mais l'erreur peut ne pas nécessairement émaner du cocoontractant. Ainsi, alors même que l’engagement sur un prix très bas ou très haut n’est pas en lui-même une cause de nullité selon l’article 1118 du Code civil (cliquez ici pour lire le texte de l’article), l’observation par le juge d’un tel prix peut valoir présomption d’une erreur.
En outre, l’article 1110 du Code civil exige que l’erreur ait pour objet la « substance même de la chose » (cliquez ici pour lire le texte de l’article). Au-delà de l’exemple simple d’une erreur sur la substance matérielle de la chose (exemple proposé par Pottier des chandeliers crus en argent alors qu’ils étaient en bronze), la jurisprudence a fait évoluer la notion en estimant qu'il y a erreur dès l'instant que la chose ne présente pas les "qualités substantielles" requises non seulement en elles-mêmes mais par encore par la partie, par exemple l'aptitude d'une machine à fonctionner. Les juges intègrent ainsi ce que la partie attend de l'objet acquis (par exemple une pouliche de course et non une pouliche de reproduction : Civ., 1ière, 5 février 2002 ; cliquez ici pour lire la présentation de l'arrêt). Ainsi, par le droit commun du contrat, la protection du consommateur a pu précocement être mise en place par la jurisprudence, avant que la loi du 10 janvier 1978 (v. cours [n°10->http://www.mafr.fr/spip.php?article2635]) n'intervienne.
Mais l'erreur se définit comme une représentation inexacte de la réalité par l'une des parties au contrat. On retrouve ici une nouvelle fois le souci que le droit a de la vérité (pour ce souci exprimé par le système probatoire, voir cours n°9). Cette distance constitue l'erreur. Cela suppose que la réalité soit accessible, qu'on la connaisse. Or, il peut arriver qu'on ne connaisse pas la réalité, parce qu'on ne sait pas si une oeuvre d'art est authentique ou non. Cela donna lieu à l'affaire du Poussin. Dans un arrêt du 22 février 1978, la première chambre civile de la Cour de cassation admit la nullité d'une vente d'un tableau que le vendeur ne pensait pas être de Poussin, alors qu'il était possible qu'il le soit (cliquez ici pour lire la présentation de l'arrêt inséré dans la documentation). Mais si le doute sur l'authenticité a été pris en considéré par les deux parties au contrat, entrant dans le champ contractuel, comme cela fût le cas dans l'affaire du Verrou de Fragonard, alors le contrat demeure valable (Civ., 1ière, 24 mars 1987 ; cliquez ici pour lire la présentation de l'arrêt inséré dans la documentation).
Un deuxième vice du consentement visé par le Code civil est le dol, à travers l'article 1116 (cliquez ici pour lire le texte de l'article). Le dol n'est pas simplement un renforcement de la protection de la victime d'une erreur, mais la sanction d'un "délit civil" que commet l'auteur de la tromperie, des "manoeuvres". C'est pourquoi le cocontractant auteur d'un dol sera sanctionné par l'annulation, à laquelle pourra s'associer une condamnation à des dommages et intérêts délictuels (puisque la situation contractuelle aura été anéantie rétroactivement par l'annulation). Parce qu'il s'agit d'une sanction du cocontractant, l'auteur du dol ne peut être un tiers, sauf à ce qu'il soit complice du cocontractant bénéficiaire du vice.
La jurisprudence, conforme à l’esprit du Code civil, va accentuer cette volonté de punir l’auteur du dol en adoptant une conception extensive de ce que sont des manœuvres dolosives. En effet, à des actes positifs de tromperie, correspondant littéralement aux « manœuvres » visées par l’article 1116 du Code civil, la jurisprudence va également considérer que le silence peut constituer un dol. La Cour de cassation va pour cela inventer la notion de réticence dolosive, qui consiste pour le titulaire d’une information à ne pas la communiquer à son cocontractant, ce qui conduit celui-ci à entrer dans un contrat qu’il n’aurait pas accepté s’il avait bénéficié des informations en question. Cette jurisprudence fut plus particulièrement développée à l’encontre des banques pour protéger les personnes qui s’engagent à leur bénéfice dans des contrats de cautionnement (voir par exemple Civ., 1ière, 13 mai 2003, cliquez ici pour lire la présentation de l’arrêt inséré dans la documentation). La encore, la jurisprudence a relayé des législations spéciales à l’époque absente, pour obliger des établissements puissants, détenant des informations que leurs cocontractants n’avaient pas (notion économique de « rente informationnelle ») à se soumettre à des obligations d’information.
A travers le dol, l’on mesure la dialectique entre la loi et la jurisprudence (voir cours [n°4->http://www.mafr.fr/spip.php?article2572]) et l’articulation entre le droit de la responsabilité et le droit des contrats pour protéger les personnes (voir cours [n°9->http://www.mafr.fr/spip.php?article2606]).
Le troisième vice du consentement considéré par le Code civil est la violence. L’article 1111 du Code civil pose qu’un contrat doit être annulé, que la violence émane du cocontractant ou même d’un tiers (cliquez ici pour lire le texte de l’article). L’article 1112 du Code civil définit la violence comme un comportement qui fait « impression sur une personne raisonnable » et qui est de nature à « lui inspirer de la crainte ». Cette crainte peut concerner un danger physique ou moral, un dommage présent ou futur, sa personne ou celle d’autrui. La jurisprudence s’en tient le plus souvent à la définition subjective de la violence, ce qui est logique, au regard de la théorie de l’autonomie de la volonté (voir cours [n°10->http://www.mafr.fr/spip.php?article2635]). Ainsi, les juges sont sensibles au caractère plus au moins vulnérable de la personne sur laquelle s’exerce la menace, critère concret, qui remplace le critère plus abstrait et rousseauiste de « personne raisonnable » (expression de l’article 1112 du Code civil ; cliquez ici pour lire le texte de l'article).
Du fait de l’émergence parallèle d’une définition plus objective du lien contractuel, qui appréhende une exigence d’équilibre des prestations indépendamment de la liberté des consentements (voir cours [n°10->http://www.mafr.fr/spip.php?article2635]), la jurisprudence a fait émerger la notion de « violence économique ». Par un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 3 avril 2002 (cliquez ici pour lire la présentation de l’arrêt inséré dans la documentation), la jurisprudence pose que si le contexte économique ne donne pas à l’une des parties d’autres possibilités que d’accepter un accord qui lui objectivement très défavorable et que son cocontractant exploite sciemment d’une façon abusive cette situation, le vice de violence est constitué. Le droit des contrats rejoint alors par cohérence le droit de la concurrence, lequel sanctionne par des dispositions autonomes les abus de position dominante relative qui correspondent au même critère et justifie à la fois le prononcé d’amendes administratives et entraine l’annulation des contrats.
La jurisprudence a été confrontée à un type particulier de menace, laquelle est en elle-même légitime, à savoir la menace de saisir le juge. En effet, une personne qui obtient un engagement contractuel sous la menace d’exercer une voie de droit, peut-elle se voir par la suite reprocher un vice de violence et la personne engagée s’en prétendre victime ? La jurisprudence apporte des solutions au cas par cas, mais pose que celui qui allègue l’existence d’une violence doit démontrer que l’usage d’une telle voie de droit serait abusif (voir par exemple Com., 16 mai 2006, cliquez ici pour lire la présentation de l'arrêt inséré dans la documentation).
A côté de ces exigences subjectives pour que le contrat, présumé valable, ne soit pas annulé, exigences tenant à la liberté et à la pureté du consentement, le Code civil développe encore des exigences tenant aux deux éléments objectifs du contrat : l’objet et la cause.
En ce qui concerne l’objet, le droit pose une triple exigence. Il faut que dans tout contrat, chaque obligation ait un objet ; il faut que l’objet du contrat appartienne au « commerce juridique » ; il faut que l’objet du contrat ait des obligations qui soient licites.
Reprenant chacune de ces exigences et tout d’abord celle relative à l’existence d’un objet, dans un contrat synallagmatique, l’objet de l’obligation de l’un est la cause de l’obligation de l’autre. En effet, le Code civil a classé les contrats dans de grandes catégories, par exemple alors que tous les contrats sont bilatéraux, c'est-à-dire sont des actes juridiques par lesquels s’obligent deux ou plusieurs parties (le contrat s’opposant en cela à l’acte juridique unilatéral), le contrat peut ne faire naître d’obligations qu’à la charge d’une seule partie (contrat unilatéral, par exemple un contrat de prêt) ou bien faire naitre des obligations à la charge des deux parties, contrat synallagmatique (contrat de vente). Dans le cas du contrat synallagmatique, forme la plus courante des contrats, chaque partie s’oblige à quelque chose, chaque obligation a un objet, cet objet étant la cause de l’obligation de l’autre partie. Par exemple, le marchand de croissant (le vendeur) a l’obligation de transférer la propriété du bien (le croissant), tandis que l’étudiant de Sciences Po (l’acheteur), avant d’aller en cours de Grandes Questions de Droit, s’oblige à payer un euro (objet de son obligation) ; la cause objective de l’obligation du vendeur est de recevoir le paiement ; la cause objective de l’obligation de l’acheteur est la délivrance du croissant. Il y a donc symétrie de l’objet et de la cause dans les contrats synallagmatiques.
Mais il peut arriver qu’une obligation n’ait pas d’objet. C’est ainsi que la jurisprudence a considéré que si un bien était acheté pour un prix quasiment nul (théorie du « prix dérisoire ») alors l’obligation de l’acheteur n’avait plus d’objet, l’obligation du vendeur n’avait plus de cause objective et le contrat devait donc être annulé. Par ce biais, d’une façon marginale, la jurisprudence contrôle un équilibre minimal de l’échange économique des conventions.
La deuxième exigence quant à l’objet est formulée par l’article 1128, qui pose que seules « les choses qui sont dans le commerce juridique » peuvent faire l’objet d’un contrat (cliquez ici pour lire le texte de l’article). Cet article donna lieu à une jurisprudence peu abondante jusqu’à ce que la question de la disponibilité ou de l’indisponibilité marchande du corps humain ne se pose, ce qui est l’objet de débats actuels.
D’une façon classique, les sépultures ne peuvent ni faire l’objet d’appropriation privée, ni l’objet de convention, ni être mise sur le marché. Cela tient aussi bien au fait qu’elles recèlent des cadavres humains, lesquels conservent du caractère sacré de la personne, qu’à la considération que l’Etat est légitime à organiser la conservation des morts. C’est pourquoi le régime juridique concernant les sépultures est celui de la concession, les personnes vivantes ne pouvant pas s’organiser différemment (Civ., 1ière, 22 février 1972, cliquez ici pour lire la présentation de l’arrêt inséré dans la documentation).
De la même façon, le droit eut à régler la difficulté née de la pratique de la cession de clientèle. En effet, les clients étant des personnes, ils ne peuvent être cédés. En conséquence, les contrats de cession de clientèle devraient être atteints de nullité absolue. Mais le pragmatisme de la vie des affaires a conduit la doctrine et la jurisprudence à valider cette cession par une habile rhétorique. Tout d’abord Roubier a démontré qu’un tel contrat ne vend pas les clients mais des contrats à venir avec des cocontractants potentiels du fait de leur fidélité, la clientèle étant par ailleurs un des actifs immatériel majeur du fond de commerce. Par ailleurs, la jurisprudence, dès l’instant que le contrat est bien rédigé, observe qu’il ne s’agit que d’une cession d’un fichier de clients, cession d’informations, et d’une obligation pour le cédant de présenter le cessionnaire à ses clients (obligation de faire), ce qui n’équivaut pas à vendre des personnes. Ces deux obligations sont dans le commerce juridique (voir par exemple Civ., 1ère, 7 novembre 2000, cliquez ici pour lire la présentation de l’arrêt inséré dans la documentation).
Se développe ainsi une politique jurisprudentielle pragmatique, qui joue opportunément sur l’objet des obligations en ne prenant pas en considération l’objet du contrat, comme ici dans le cas de la cession de clientèle. Mais lorsque la jurisprudence le conçoit autrement, elle requalifie l’objet selon une méthode différente, en ce souciant de « l’objet final » de la convention. C’est ainsi que par exemple l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 3 novembre 2004 a approuvé l’annulation d’un contrat d’investiture politique car au-delà d’un soutien par un parti politique rémunéré pour ce faire, le candidat achetait une élection (cliquez ici pour lire la présentation de l’arrêt inséré dans la documentation).
La difficulté actuelle est celle du corps humain. En effet, le droit établit avec difficulté les liens entre la personne et cette chose très particulière qu’est le corps de la personne (voir cours [n°3->http://www.mafr.fr/spip.php?article2567]) le droit classique fusionnait la personne et son corps, à travers le principe d’indisponibilité du corps humain, en cela objet naturel de l’article 1128 du Code civil. C’est dans cette tradition que se situe l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 16 septembre 2010, Our Body, qui se réfère également à la notion de dignité de la personne, visée par le nouvel article 16 du Code civil (cliquez ici pour lire le texte de l’article ; cliquez ici pour lire la présentation de l’arrêt inséré dans la documentation).
Les progrès techniques et les exigences des malades ont conduit à une conception plus relative ayant tendance à rendre le corps humain disponible, dès l’instant que cette disponibilité est encadrée. A partir des premières lois sur la bioéthique du 29 juillet 1994 jusqu’à la loi du 10 juillet 2011 (voir cours [n°3->http://www.mafr.fr/spip.php?article2567]), le droit cherche à articuler l’ordre normatif scientifique. C’est ainsi qu’il exige la gratuité des dons, organise les greffes, pose des règles relatives aux donneurs et aux receveurs, distingue les organes et les produits du corps humain.
La troisième exigence du droit quant à l’objet du contrat et des obligations est qu’ils soient licites. Pour cela, la jurisprudence examine l’objet direct mais encore l’objet final du contrat. Par exemple, un contrat ayant pour objet de louer un local sera annulé si l’objet final est d’y établir un établissement de jeux clandestins. Lorsqu’il s’agit d’apprécier le caractère illicite de l’objet, l’on retrouve la question problématique des rapports entre le droit et la morale (voir cours [n°2->http://www.mafr.fr/spip.php?article2561]). En effet, le relativisme des valeurs, ainsi que l’évolution des mœurs, conduit la jurisprudence à varier dans l’appréciation qu’elle fait du caractère plus ou moins illicite de certaines conventions, et la société adhère plus ou moins à certaines solutions juridiques traditionnelles en la matière.
Ainsi, le droit français, libéral en la matière, considère que le contrat de prostitution est licite, alors que d’autres pays le prohibent. Cela tient sans doute à la puissance de la volonté et à l’idée que chacun peut disposer de son corps, dès l’instant que l’on est majeur. En revanche, le contrat de proxénétisme est illicite. La question politique de savoir qui doit supporter le grief d’illicéité de la prostitution lorsque celle-ci est prohibée est difficile, certains pays choisissant de l’imputer au client (exemple de la Californie), ce qui suppose que lui-seul a véritablement disposé de l’intention de « mal faire », alors que la prostituée n’a pas toujours de solution autre de subsistance.
Un débat similaire est de nouveau ouvert à propos du contrat de maternité de substitution. En effet la jurisprudence avait, avec une grande fermeté, attaché une nullité absolue au contrat de mères porteuses par l’arrêt d’assemblée plénière du 31 mai 1991 (voir cours n°4 ; cliquez ici pour lire la présentation de l’arrêt inséré dans la documentation). Aujourd’hui, sous un vocabulaire euphémisé, beaucoup évoquent l’opportunité qu’il y aurait d’accueillir par la législation, la possibilité de nouer licitement des contrats de « maternité de substitution ». C’est une question tout à la fois morale et d’évolution des mœurs.
Tout contrat doit non seulement disposer d’un objet, mais encore d’une cause, comme le résume l’article 1131 du Code civil (cliquez ici pour lire le texte de l’article). Le droit distingue la cause objective et la cause subjective. Dans un contrat synallagmatique, comme nous l’avons vu, la cause objective d’une obligation est l’objet de l’obligation du cocontractant (voir supra). Une innovation est venue lorsque, sous l’effet d’une proposition doctrinale, l’on a considéré que le contrat avait une cause objective, à savoir son « obligation essentielle », ce que Philippe Jestaz qualifiait d’obligation fondamentale.
La chambre commerciale de la Cour de cassation fit un usage fracassant de cette notion à travers la jurisprudence Chronopost. En effet, par un arrêt du 22 octobre 1996, la chambre commerciale estima que si une des parties n’exécute pas son obligation essentielle, alors la clause limitative de responsabilité qui diminuait le montant des dommages et intérêts en cas d’inexécution était atteinte de nullité (cliquez ici pour lire la présentation de l’arrêt inséré dans la documentation). Après de nombreux rebondissements, la chambre commerciale par un arrêt Faurécia du 29 juin 2010 (cliquez ici pour lire la présentation de l'arrêt inséré dans la documentation), admit pourtant l’efficacité d’une clause limitative de responsabilité contractuelle, alors même que l’obligation inexécutée est essentielle, dès l’instant que les parties au contrat, de puissance égale, ont discuté l’intégration du risque dans le contrat.
Le contrat présumé valable peut être néanmoins frappé de nullité absolue parce que la cause en est viciée, non plus seulement parce que celle-ci est appréciée d’une façon objective mais encore d’une façon subjective. En effet, la cause subjective renvoie au motif que les parties avaient de contracter. Si ces motifs sont illicites, la cause est subjectivement illicite. Pour prendre l’exemple de la donation, la cause objective de la donation est « l’intention libérale », c'est-à-dire l’intention de donner. La doctrine a qualifié cela de « cause catégorique », car la cause est tautologique : vouloir donner et opérer une donation est la même chose. Si cette cause manque, il faut alors requalifier. Si manque l’intention libérale, par exemple parce que l’on veut en réalité vendre mais que l’on veut obtenir un régime fiscal de donation, alors le juge, parce qu’il le doit par son obligation de requalifier les faits selon l’article 12 du code de procédure civile (cliquez ici pour lire le texte de l’article ; voir cours [n°7->http://www.mafr.fr/spip.php?article2596]), requalifiera l’opération en vente.
Mais la jurisprudence examine également la licéité de la cause subjective, c'est-à-dire les motifs pour lesquels les parties ont conclu leur contrat. Ainsi, une jurisprudence classique, imprégnée de morale, avait posé que lorsqu’une donation est faite pour entretenir une relation adultère, elle doit être annulée pour cause illicite, alors que si la donation constitue un « cadeau de rupture », les bonnes mœurs sont satisfaites par la cessation de la relation adultère et la donation est valable. L’arrêt d’assemblée plénière de la Cour de cassation du 29 octobre 2004, Galopin, a mis fin à cette casuistique moraliste en posant l’autonomie de l’analyse juridique et l’indifférence du fait de rupture ou non d’un cadeau fait par un personne liée au donataire par une relation adultère (cliquez ici pour lire la présentation de l’arrêt inséré dans la documentation).
Le droit traditionnel, à travers une jurisprudence très abondante, s’est focalisée sur le temps de formation du contrat, puisqu’il est celui durant lequel les deux volontés autonomes des parties se rencontrent (« coup de foudre contractuel » ; voir supra). Mais en pratique le plus souvent, ce qui importe est l’exécution du contrat, soit que les parties arrivent à l’obtenir, de gré ou de force, soit qu’une mauvaise exécution ou une inexécution puisse déclencher au profit du contractant victime une responsabilité contractuelle à son profit.
Parce que le contrat vaut loi pour les parties (voir cours [n°10->http://www.mafr.fr/spip.php?article2635]), il doit être exécuté par elle, de la même façon que les assujettis doivent obéir à la loi. La doctrine des professeurs Mazeaud proposa de distinguer entre les obligations de résultat et les obligations de moyens. Toute obligation est en principe de moyens. C'est-à-dire que le contractant d’engage à faire tout pour obtenir le résultat voulu par l’autre, par exemple la guérison du malade par le médecin qui constitue l’obligation de soin à la charge du médecin. Mais parfois d’une façon plus contraignante, l’obligation est de résultat, c'est-à-dire que le débiteur doit fournir au contractant créancier le résultat lui-même.
L’enjeu est avant tout probatoire (voir cours [n°9->http://www.mafr.fr/spip.php?article2606]). Lorsqu’il s’agit en effet d’une obligation de résultat, le constat du dommage suffit à prouver l’inexécution, alors que lorsqu’il s’agit d’une obligation de moyens il faut en outre apporter la preuve de l’absence de diligence. Pour protéger la partie faible au contrat, la jurisprudence a multiplié les obligations de résultat, notamment à la charge des professionnels, par exemple lorsqu’il s’agit d’obligations d’information ou de mise en garde. La jurisprudence a beaucoup utilisé cette distinction, ce qui montre une nouvelle fois l’importance de la doctrine dans les systèmes juridiques, mais elle a petit à petit transformé la distinction binaire en gradation : ainsi, elle a considéré que l’obligation de sécurité est une obligation de moyens renforcée car certes
le débiteur ne doit pas garantir une sécurité absolue et la preuve du dommage ne suffit pas à engager sa responsabilité contractuelle mais du fait de ce renforcement, la victime justifie par son dommage son allégation et renverse ainsi
la charge de preuve, le débiteur devant montrer qu’il avait pourtant pris toutes les mesures de sécurité requises.
Comme le dit le Code civil, les obligations que les parties, grâce à leur liberté contractuelle de valeur constitutionnelle peuvent inventer, sont de trois catégories. La première est « l’obligation de donner ». Le terme de donner ne renvoie à l’usage courant de la donation mais au terme latin de dare, c'est-à-dire de transférer la propriété d’une chose. En raison du principe du consensualisme, lui aussi issue de l’autonomie de la volonté, le transfert de propriété s’opère du seul fait des consentements échangés. Il est cependant important de considérer qu’il fait l’objet d’une obligation, même si celle-ci est automatiquement satisfaite du seul effet de l’échange des consentements : en effet, cela signifie que la volonté a prise sur l’obligation de donner et que les parties peuvent prévoir que le transfert de propriété pourra par exemple être retardé jusqu’au moment où l’autre contractant aura payé le prix de la chose dont la propriété est transférée (« clause de réserve de propriété »)
En ce qui concerne les obligations de faire et de ne pas faire, l’article 1142 du Code civil pose que le créancier ne peut en obtenir l’exécution que par équivalent, c'est-à-dire par l’attribution de dommages et intérêts (cliquez ici pour lire le texte de l’article). Mais la jurisprudence a évolué contra legem. En effet, parce que nous sommes en présence d’un acte juridique, l’attribution de dommages et intérêts qui est adéquate pour réparer un dommage né d’un fait juridique (voir cours [n°9->http://www.mafr.fr/spip.php?article2606]), ne l’est plus dans un contrat car la partie recherche avant tout l’exécution. C’est pourquoi la jurisprudence n’’hésite pas à poser qu’en cas d’inexécution, il faut que le juge ordonne une réparation en nature, c'est-à-dire une exécution forcée. La partie condamnée sera contrainte par le juge, par l’effet d’une injonction, accompagnée d’astreinte, de saisie attribution sur des comptes bancaires, etc.
La jurisprudence ne revient au principe légal que sous forme d’exception, lorsque l’obligation du créancier est strictement personnelle à celui-ci (voir par exemple Civ., 1ière, 16 janvier 2007 ; cliquez ici pour lire la présentation de l’arrêt inséré dans la documentation).
Comme il a été exposé dans les concepts classiques qui sous-tendent le droit des contrats (voir cours [n°10->http://www.mafr.fr/spip.php?article2635]), seules les parties doivent s’exécuter, selon les termes de l’article 1134 al.1 du Code civil et les tiers ne peuvent être atteints par l’effet contraignant du contrat selon les termes de l’article 1165 du Code civil. Ainsi l’article 1134 al.1 (force obligatoire du contrat ; cliquez ici pour lire le texte de l'article) et l’article 1165 (effet relatif du contrat ; cliquez ici pour lire le texte de l'article) sont les deux faces du même principe, unis dans la même logique subjective, issue de la puissance de volontés autonomes (voir cours [n°10->http://www.mafr.fr/spip.php?article2635]).
Mais cette logique très simple et cohérente ne fonctionne que si le contrat est isolé (notion de « ilot normatif »), de sorte que l’on distingue nettement le contrat et le tiers. En réalité, il existe des « chaînes de contrats », par exemple un objet est fabriqué puis vendu à un professionnel qui le revend à un utilisateur final. C’est la façon la plus usuelle dont fonctionne la société industrielle et marchande. Si l’on se situe à une époque où n’existe pas encore la loi spéciale de 1985 organisant une indemnisation automatique des accidents de la circulation, l’on peut imaginer un fabricant de voiture qui vend celle-ci à un revendeur, lequel la vend à un utilisateur final. Celui-ci a un accident qui n’est pas causé par un tiers. La victime, voulant avant tout obtenir réparation, veut se retourner non pas contre son revendeur, qui est souvent une petite entreprise et qui parfois a fait faillite mais contre le fabricant, lequel est apte à payer.
Mais à première vue, parce qu’il n’est pas dans un rapport contractuel, en raison de la règle du non-cumul de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle, la victime voulant agir contre le fabricant ne pourrait prétendre engager que sa responsabilité délictuelle. Or, le fabricant n’est plus gardien de la voiture qu’il a vendue (voir cours [n°9->http://www.mafr.fr/spip.php?article2606]) et l’on ne voit pas comment la victime pourrait démontrer une faute pour faire jouer en sa faveur l’article 1382 du Code civil (cliquez ici pour lire le texte de l'article). Il faudrait que la victime puisse aller sur le terrain contractuel mais elle est tiers par rapport au contrat de vente qui lie le fabricant et le revendeur. C’est le sentiment de justice qui amena la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 9 octobre 1979, Lamborghini, à renverser cette analyse classique en posant que par cette série de vente, l’action du sous-acquéreur contre le fabricant était « nécessairement contractuelle » (cliquez ici pour lire la présentation de l’arrêt inséré dans la documentation).
L’on considéra que cette solution d’une action directe nécessairement contractuelle ne valait que pour les chaînes de contrats « homogènes », c'est-à-dire constituées par des ventes successives. Mais dans la pratique, des chaînes de contrats peuvent être « hétérogènes », par exemple lorsqu’un professionnel achète à un fabricant des matériaux (contrat de vente, translatif de propriété) pour construire une maison (contrat d’entreprise engendrant des obligations de faire sans obligation de donner). Pourtant, l’assemblée plénière de la Cour de cassation, dans un arrêt du 7 février 1986, considéra qu’une action directe nécessairement contractuelle bénéficiait au contractant final contre le fabricant (cliquez ici pour lire la présentation de l’arrêt inséré dans la documentation).
L’on ne peut ici que relever la volonté prétorienne d’offrir à la victime le régime juridique le plus protecteur, ici des actions contractuelles (action en vice caché ou action en non-conformité) plutôt que des actions délictuelles entrainant de lourdes charges de preuve. Pourtant la flexibilité dont le juge peut user à l’égard des textes (article 12 du code de procédure civile ; voir cours [n°3->http://www.mafr.fr/spip.php?article2567]) a ses limites. En effet, l’arrêt d’assemblée plénière du 7 février 1986 avait justifié sa solution en affirmant que le matériau initialement vendu puis utilisé dans le contrat d’entreprise portait l’action contractuelle dont la victime, contractant du contrat d’entreprise pouvait ainsi bénéficier. Cela supposait que le contrat liant le fabricant, dans cette chaîne contractuelle hétérogène, soit un contrat de vente, translatif de propriété, déclenchant la translation de l’action en justice.
Mais il peut arriver que des chaînes de contrat ne se construise que sur des contrats non translatif de propriété : par exemple un consommateur demande le développement de photos (contrat d’entreprise) à un entrepreneur qui lui-même demande la prestation à un laboratoire extérieur (contrat d’entreprise). Les photos sont perdues et la victime demande réparation sur le terrain contractuel au laboratoire. L’assemblée plénière de la Cour de cassation, par un arrêt du 12 juillet 1991, refusa cette nature contractuelle de l’action, au nom de l’effet relatif des contrats, car le consommateur est tiers par rapport au contrat d’entreprise liant la boutique et le laboratoire (cliquez ici pour lire la présentation de l’arrêt inséré dans la documentation).
Le système juridique présume que le comportement des personnes est justifié car le principe est celui de la liberté. C’est pourquoi le mécanisme de la responsabilité est l’exception et celui qui veut engager la responsabilité d’autrui doit prouver que les conditions sont réunies. Pareillement, les contrats sont présumés valables car le principe est celui de l’autonomie de la volonté et celui qui veut anéantir un contrat doit prouver l’existence d’un vice que celui-ci affecte la formation ou l’exécution du contrat.
En ce qui concerne les vices dans la formation, les vices les moins graves sont atteints (vice du consentement) sont atteints d’une nullité relative, à laquelle la partie peut renoncer, l’acte pouvant être remis en conformité et le délai pour agir n’étant généralement que de 5 ans. Si le vice est plus grave (objet et cause), la nullité est absolue : chacun peut s’en prévaloir, l’acte ne peut recouvrer sa validité par sa confirmation.
En principe, l’anéantissement prononcé par le juge vise la totalité du contrat. Mais l’évolution du droit à conduit, avec la multiplication des clauses, l’inadéquation de cette brutale globalité, à restreindre parfois la nullité à une clause et à laisser survivre le reste du contrat. Cela peut être opéré en droit commun (par exemple nullité de la clause d’intérêt mais maintien du contrat de prêt) ou bien technique courante dans le droit de la consommation à travers la notion de « clause réputée non écrite ». Par ailleurs, il arrive que, malgré l’anéantissement du contrat, certaines clauses y survivent. C’est ainsi que la clause compromissoire, qui prévoit l’organisation du traitement du litige par le tribunal (voir cours [n°5->http://www.mafr.fr/spip.php?article2577]), demeure active alors même que le contrat dans lequel elle était insérée serait rétroactivement annulé.
Par ailleurs, parce qu’en pratique les contrats ne sont pas isolés mais sont la forme juridique d’opérations économiques parfois complexes, les juges peuvent relever une indivisibilité entre les contrats, soit par leur objet (indivisibilité objective) soit par la volonté des parties (indivisibilité subjective). Dans un tel cas, la nullité aura un effet reflexe puisque l’annulation d’un contrat entrainera celle des autres.
A cette annulation, peut s’ajouter une responsabilité si le fait générateur est par ailleurs fautif, par exemple en cas de dol : la responsabilité sera alors délictuelle, puisque les parties seront censées n’avoir jamais été unies par un lien contractuel. Si le vice concerne l’exécution du contrat relevant d’une inexécution ou d’une mauvaise exécution, il sera sanctionné par une résolution ou/et une responsabilité contractuelle. Seul le juge peut prononcer ces conséquences. Mais d’une part, des « clauses résolutoires » ne dispensent certes pas le créancier contractuel de saisir le juge mais transforme l’obligation dont il bénéficie en obligation de résultat, la simple non obtention du résultat justifiant la résolution que le juge constate. En outre, se rapprochant plus encore d’une justice privée, le créancier contractuel peut opposer à son cocontractant une « exception d’inexécution », c'est-à-dire se refuser à exécuter sa propre obligation, dès l’instant qu’il n’obtient pas l’exécution de celle dont il est bénéficiaire.
Pendant très longtemps, le droit des contrats a été le cœur du droit privé, tandis que le droit public mettait en son centre l’acte unilatéral. Les contrats publics étaient en quelque sorte une déclinaison, une adaptation du droit des contrats. Cette vision est aujourd’hui dépassée, parce que la summa divisio entre le droit public et le droit privé est elle-même dépassée (voir cours [n°3->http://www.mafr.fr/spip.php?article2567]).
En effet tout d’abord, le droit des contrats est aujourd’hui imprégné de droits fondamentaux dont l’origine est tout à la fois le droit constitutionnel et la Convention européenne des droits de l’hommes, qui ce soucient que le contrat préservent par exemple le droit à la vie privée, la dignité humaine, la préservation des être humains, etc. L’Europe des droits de l’homme est désormais présente dans le droit des contrats (voir cours [n°5->http://www.mafr.fr/spip.php?article2577]).
En outre, le droit constitutionnel n’est plus une branche particulière du droit public, mais exprime le cœur du système juridique, non seulement parce qu’il organise les pouvoirs politiques et leurs rapports entre eux, mais encore en ce qu’il exprime les libertés publiques et les droits fondamentaux.
Ainsi la décision du Conseil constitutionnel du 13 janvier 2000 sur la loi relative à la réduction négociée du temps de travail pose la valeur constitutionnelle de la liberté contractuelle (cliquez ici pour la présentation de la décision insérée dans la documentation. De la même façon, la décision du Conseil constitutionnel 13 janvier 2003 sur la loi relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi (cliquez ici pour lire la présentation de la décision insérée dans la documentation) a confirmé la valeur constitutionnelle de la force obligatoire. Certes, le droit des contrats n’a pas encore en droit constitutionnel français la place qu’elle occupe dans la jurisprudence de la Cour suprême des Etats-Unis, qui fonde sur l’autonomie de la volonté de très nombreuses jurisprudences essentielles, mais il n’est pas exclu que dans les années qui viennent, une jurisprudence constitutionnelle libérale puisse y prendre appui.
Documentation disponible ex ante afférente au présent cours
Documentation disponible ex post pour les étudiants inscrits au cours
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