5 avril 2018

droit illustré

Unabomber : sous la chasse à l'homme, trouver la complexité du Droit de la procédure pénale américaine

par Marie-Anne Frison-Roche

Bientôt nous ne connaîtrons plus que le Droit américain. Mais nous le connaîtrons bien.

A travers les films, il ne s'agit pas même d'une initiation : nous sommes directement confrontés à des points techniques qui permettent d'aller directement aux difficultés les plus remarquables du Droit. Spécifiques au Droit américain, alors que, spectateurs continentaux, nous ne savons rien du Droit français.

Cela renvoie à la méthode même de l'apprentissage du Droit en Angleterre ou aux États-Unis : commencer par le cœur, même s'il est difficile, afin que l'esprit du Droit soit immédiatement inculqué. Ce qui commence à advenir pour l'esprit du Droit américain, qui pénètre dans notre esprit. Tandis que nous continuons à ne rien savoir du Droit français.

Ainsi, prenons l'excellent film, étiré en série, proposé par Netflix sur le cas dit Unabomber, appellation donné par le FBI à l'auteur anonyme d'attentats meurtriers très espacés dans le temps commis dans différents endroits aux États-Unis par une personne qui demeura insaisissable pendant plus de 15 ans. Ce vocable était une sorte d'acronyme puisque le Un signifiait que le lieu de prédilection des bombes était les universités (Un) et les avions (a). 

Ne croyez pas que c'est artificiellement tirer un film vers le Droit et la justice, alors que son objet serait tout autre. Tandis que je le regardais et écoutais les exposés récurrents sur la trame du Manifeste d'Unabomber, critique de la société technicienne, je pense naturellement à l’œuvre de Jacques Ellul. Et tout à coup, dans une scène du film qui, remontant dans le temps, replace le meurtrier dans sa scolarité à Harvard, montre un professeur commentant la pensée de l'étudiant qui se plaint de l'injustice du système social,  critiquant ce travail d'étudiant en ce qu'il manquerait selon lui d'originalité par rapport aux travaux de Jacques Ellul ! Ce fût le seul auteur cité sur l'ensemble du film. Hommage à la pensée juridique bordelaise ! Je me suis demandée combien de spectateurs américains de Netflix avaient apprécié cette docte référence...

Il est vrai que Ted Kaczynski se réfère expressément aux travaux du professeur de droit français Ellul, dans la critique que celui-ci fait de la "société technicienne".  Mais si le Droit est si présent, c'est que dans cette "chasse à l'homme", il y a bien des difficultés de fait, liées à l'habileté et à la singularité de l'auteur des crimes, mais il y a aussi des obstacles juridiques sur lesquels le FBI bute et c'est à des armes juridiques que le criminel pense pour se soustraire à toute punition en faisant voler le dossier aussi sûrement qu'il avait volatilisé les bâtiments et les êtres humains symboles d'un système social haï. 

En effet, en 1997 le FBI sait enfin qui est l'auteur des faits et il est essentiel pour la sécurité du pays qu'il soit arrêté dans son plan de destruction. Mais il est juridiquement impossible d'obtenir un mandat de perquisition à son domicile. Comme le dit l'Avocat qui doit adresser la requête au juge pour obtenir le mandat, "je ne le signerai pas" et lorsque le directeur du FBI lui explique que c'est au nom de la sécurité des personnes qu'il doit le demander, le juriste répond qu'il ne le fera pas car  "c'est au nom de la Constitution" qu'il s'y refuse. Comme c'est étrange pour nous d'entendre un tel dialogue ...Nous apprenons ainsi le principe du Droit américain de l'impossibilité d'obtenir du juge un mandat de perquisition sans pouvoir se prévaloir d'un début d'une preuve matérielle.

Le cas est de droit pur, car nul ne doute ni de l'exactitude des faits ni de leur imputation à la personne poursuivie. Par la suite, l'auteur va donc se prévaloir de cette première règle juridique de procédure pour anéantir la totalité de la procédure menée contre lui, ce qui pourrait bien avoir pour résultat de le soustraire à tout procès et par conséquence à toute sanction.

Si cela n'advient pas, c'est parce qu'intervient une autre technique de la procédure criminelle américaine profondément accusatoire : le "plaider-coupable".

C'est ce qu'il fera, le conduisant à "accepter" une sentence qui tout à la fois le soustrait à l'exécution capitale (cela fait partie du deal) et le soumet à plusieurs condamnations à vie. En effet, le Droit américain ne connait pas le principe français du non-cumul des peines et c'est à de nombreuses peines qu'il sera condamné, notamment plusieurs fois à vie. Dans ce système étrange!footnote-1143, cela signifie qu'aucune remise de peine ne peut avoir d'effet concret.  Ted Kaczynski est donc désormais incarcéré dans une prison fédérale.

Mais reprenons plutôt ce que nous savons désormais du Droit procédural criminel américain.

Lire ci-dessous.

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Dont l'on trouve des traces dans la bande-dessinée Lucky Luke, où l'on voit par exemple les frères Dalton régulièrement condamnés à 637 ans de prison ou 421 ans de prison. Comme quoi l'éducation juridique se glisse partout.

I. L’IMPOSSIBILITÉ D'OBTENIR UN MANDAT SANS DÉBUT DE PREUVE MATÉRIELLE

Au bout de presque 20 ans et une mobilisation de moyens sans précédent le FBI a acquis la certitude que l'auteur des faits est bien Ted Kaczynski. Mais la police fédérale le sait à partir de l'analyse des écrits largement diffusés par celui-ci, notamment son "Manifeste", mais aussi de nombreuses lettres. Unabomber n'a laissé aucune trace matérielle autre que sa pensée et sa stylistique. Il se trouve que les deux correspondent avec la pensée et la stylistique de cet homme totalement isolé, dont le frère a reconnu la pensée et a transmis des lettres au FBI, lequel a fait des recoupements de stylistiques entre ces écrits privés et les écrits publics du terroriste.

Cela peut-il valoir "début de preuve" pour obtenir un mandat de perquisition ? Lequel permettra à la police de trouver à foison tout le matériel de fabrication des bombes. Encore faut-il pouvoir entrer. Et pour cela, il faut l'autorisation d'un juge. Et la police trouve alors sur son chemin la théorie juridique du "fusil fumant".

A. L'EXIGENCE DU "FUSIL FUMANT (SMOKING GUN)"

Le Droit américain est très protecteur des libertés individuelles, ce qui est la contrepartie de sa dureté, et ce sur quoi veille la Cour suprême. C'est pourquoi, contrairement au Droit français!footnote-1144, il n'est pas possible de faire une perquisition sans obtenir préalablement un mandat, lequel ne peut être délivré que par un juge.

Le juge ne va se pas se contenter d'un contrôle formel, il va exiger un "commencement de preuve".

Mais une preuve peut être aussi bien matérielle, orale ou immatérielle.

Le Droit français est très large dans sa compréhension des "preuves". La procédure pénale est conduite par le juge (procédure inquisitoire) ; elle est basée sur le principe de la "liberté des preuves" et sur le principe de "l'intime conviction". Ainsi toutes les preuves sont admissibles (dès l'instant qu'elles sont loyales, obtenues et soumises au débat contradictoire respectant les droits de la défense).

La procédure pénale américaine est différente en ce qu'elle est basée sur une procédure accusatoire : c'est aux parties de trouver les preuves!footnote-1145. C'est donc à la police de trouver les preuves (le "juge d'instruction" n'existe pas), mais il doit le faire sous la surveillance du juge : celui-ci n'est pas "actif"!footnote-1146 mais il surveille tout. Et notamment l'existence d'un début de preuve, faute de quoi il va refuser la délivrance d'un mandat de perquisition (même s'il est convaincu que la police a raison).

On perçoit ici la puissance de la procédure, que l'on doit respecter car "la forme est la sœur jumelle de la liberté" (Jhering) et même si elle entrave une démarche vers la vérité et la sécurité, il ne faut pas ne pas la respecter.

Or, le "début de preuve" est ici complètement immatériel : c'est la correspondance idéologique et linguistique.

Il s'agit donc d'un pur raisonnement.

Or, le film montre le juge qui évoque le Droit, c'est-à-dire dans le Droit américain les précédents et il n'en existe aucun où un mandat ait été délivré sur la seule base d'un raisonnement : un "raisonnement" ne peut pas constituer un "début de preuve", car celui-ci doit être matériel.

L'on retrouve en Droit pénal français ces mêmes discussions à propos de la tentative et la notion de "commencement d'exécution" ou à propos de la situation de "flagrance".

Le juge au domicile duquel les agents du FBI se sont rendus rappelle que le début de preuve doit matériellement montré que dans le domicile il y a les éléments, en quelque sorte, "complémentaires" de l'acte, le mandat permet de faire la jonction entre ce qu'apporte la police au juge et ce que la police trouvera dans le domicile.

Or, ici la police ne fait qu'apporter une hypothèse (un raisonnement) et cela serait au juge de permettre à la police, grâce à la perquisition, de remplir le dossier de la totalité des preuves requises.

Il ne s'agit pas de savoir si la personne concernée est coupable ou innocente, car la procédure n'a pas pour objet de protéger les innocents, elle a pour objet de protéger les libertés et notamment, voire avant tout, les libertés des coupables : il s'agit de savoir si le juge se contente de cela.

Le juge rappelle que le principe est qu'on lui apporte un "smoking gun", c'est-à-dire un fait matériel qui est un élément probant incomplet, car un fusil qui fume n'est qu'une preuve indirecte mais c'est un bon début.

Le juge délivrera quand même après bien des hésitations le mandat sans lequel les attentats meurtriers auraient continué.

Mais lorsque dans sa prison Ted Kaczynski fait venir celui qui a bâti le raisonnement qui a rapproché l'idéologie et la linguistique, aboutissant à son arrestation, c'est pour lui annoncer que la faiblesse du dossier est là : toute la procédure peut être annulée car l'on ne peut pas obtenir un mandat sur un raisonnement.

Le spectateur alors, surtout s'il suit, par exemple, la série Engrenages, mesure que la vie des policiers américains est parfois plus difficile que celle des policiers français car ils ne vivent pas dans la même culture juridique.

 

B. UNE PROCÉDURE ACCUSATOIRE ET UNE CONVICTION "AU-DELÀ DU RAISONNABLE"

Dans cette affaire, la procédure se déroule avec un juge qui ne mène pas la procédure mais qui la tient d'une façon impassible.

En effet, et cela ressort de tous les films américains, la procédure est menée par les parties elles-mêmes, à la fois en attaque (l’État fédéral et son représentant, la police étant citée à l'audience comme témoin), chacun apportant ses preuves.

Tandis que la procédure pénale est "inquisitoire" ce qui conduit le juge à la recherche des preuves, y compris dans une phase préparatoire d'instruction (juge d'instruction). S'il y a instruction à l'audience, c'est le tribunal qui la mènera et non pas les parties.

Dans le film, parce qu'il s'agit d'une procédure américaine, ce sont les parties qui mènent l'instruction à l'audience, notamment par l'interrogatoire croisé des témoins (cross-examination) pour lequel Ted Kaczynski se prépare longuement, comptant "détruire" l'agent du FBI qui a obtenu le mandat, en démontrant la violation du Droit que celui-ci a commise en n'apportant aucun "début de preuve" juridiquement requis, tandis que le juge devra rester non seulement neutre, mais encore passif.

Mais dans ce type de procédure accusatoire, le Tribunal a une arme : l'irrecevabilité. Ce que l'on voit si souvent à l'écran, lorsque le Président déclare recevable ou rejette les objections, c'est-à-dire l'entrée dans le débat contradictoire (cœur de la procédure accusatoire) de tel ou tel fait, de tel ou tel argument.

Et le Président usera de son pouvoir d'irrecevabilité.

Car un juge n'est jamais vraiment passif (on le voit notamment à ce propos, car lui aussi sait que l'accusé est coupable et que la recevabilité de l'argument procédural le remet dans la nature, déterminé à continuer son action terroriste).

 

II. LE PLAIDER-COUPABLE

Aujourd'hui, le plea bargaining est connu en France, parce qu'il a fait l'objet d'une "greffe", à travers le "plaider-coupable" ou autres procédures de reconnaissances de culpabilité et de transaction.

Ici, le cas est intéressant parce que cette procédure qui est la marque des procédures accusatoires permet à la personne de disposer à ce point du procès qu'elle est maîtresse de la déclaration de culpabilité, ce qu'elle va pouvoir échanger contre une peine qui sera fixée à l'avance (cette négociation en matière pénale montrant le lien entre la procédure accusatoire et le contrat).

Or, en l'espèce l'avocate de Ted Kaczynski par déontologie voulait que celui-ci soit considéré comme irresponsable, stratégie de défense ayant pour objet de le soustraire à une "peine" pour le soumettre à un traitement médical, c'est-à-dire concrètement à lui éviter la peine de mort pour le conduire à un enfermement à vie.

L'autonomie de l'avocate lorsque son obligation déontologique la contredit permettait à celle-ci de soutenir que son client n'avait plus ses esprits alors que celui-ci estimait être au contraire un être supérieur et doté d'un esprit clair. En cas de succès d'une telle défense, c'est toute sa vie dévouée à une démonstration dont les attentats n'avaient pour objet d'asseoir - certes dans le sang - la force, qui serait détruite.

Il décide donc d'utiliser la technique de procédure accusatoire du plaider-coupable non pas pour éviter une peine en subissant l'inconvénient d'une reconnaissance de culpabilité mais dans l'objectif inverse : pour éviter une déclaration d'irresponsabilité et atteindre une reconnaissance de responsabilité à laquelle oblige le plea bargaining.

Le spectateur assiste ainsi à la scène où les deux parties, le tribunal d'une part, l'accusé d'autre part, s'accordent sur les termes de l'accord ; Ted Kaczynski approuvant chaque élément émis par le Tribunal, ce qui a pour objet de clore immédiatement le procès, chacun ayant obtenu ce qu'il voulait : le Tribunal ayant obtenu un enfermement à vie, l'accusé ayant obtenu une reconnaissance de sa pleine responsabilité.

 

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Par ce film, le spectateur en apprend beaucoup sur le Droit pénal américain.

On attend d'autres films sur d'autres procès, qui ne sont pas nécessairement que du Droit américain, qui ne sont pas nécessairement que du Droit pénal!footnote-1147.

1

En Droit français, si le cas est au stade de l'enquête préliminaire, la police ne peut pénétrer dans un domicile que sur l'autorisation de l'intéressé (sauf en cas de flagrance). S'il y a déjà une instruction, le juge d'instruction peut ordonner une perquisition, ce qui permet à la police de pénétrer dans un domicile sans avoir à obtenir une autorisation de l'intéresser.

2

Par exemple dans le procès du terroriste, il est fait mention de l'interdiction du Fishing Expedition , c'est-à-dire de l'interdiction pour une partie de demander de l'aide d'une façon vague pour obliger le tribunal à faire le travail à sa place, ce qui est interdit, car cela revient à remettre en cause le caractère accusatoire de la procédure, en la transformant en procédure accusatoire. Ici, le Tribunal a rejeté la motion parce qu'il soupçonnait une manoeuvre de Fishing Expedition.

3

cf. l'interdiction du Fishing Expedition.

4

Sur le Droit de la famille, v. Frison-Roche, M.-A.,Au coeur du droit, du cinéma et de la famille : la vie, 2016.

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