27 janvier 2016

Enseignements : Droit de la Régulation bancaire et financière, semestre de printemps 2016

Problématique de la première leçon : Droit des contrats et Régulation bancaire et financière

par Marie-Anne Frison-Roche

 

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Les contrats sont la base indispensable de toute activité économique. C’est pourquoi on les retrouve à l’intérieur des secteurs bancaires et financiers, comme dans tous les autres secteurs.On les retrouve dans toutes les activités bancaires et financières, mais aussi sur tous les marchés bancaires et financiers - car les marchés sont des additions de contrats -. L'on peut même songer à penser la régulation bancaire et financière à travers le modèle du contrat.

En effet, pour qu’un marché puisse fonctionner, même sous sa forme la plus primitive de l’échange de choses sans l’intermédiaire de la monnaie, le troc renvoyant au contrat d’échange (qui est un « contrat spécial »), il faut que les personnes contractent.

Depuis l’existence du droit, c’est-à-dire depuis l'origine de l’organisation sociale (ubis societas, ubi jus), le droit a conçu « le droit des contrats ». Son apogée technique se situe dans le droit romain et nos systèmes juridiques actuels, qu’ils soient de Civil Law ou de Common Law , demeurent ancré dans les notions du droit romain.

Ainsi, l’on distingue les règles générales et communes à tous les contrats, ce que l’on désigne souvent par l’appellation de « théorie générale du contrat », et les règles que le système juridique édicte pour tel ou tel contrat spécifique comme le contrat de vente, le contrat de mandat, le contrat de dépôt, le contrat de prestation de service (anciennement appelé « contrat d’ouvrage »), le contrat de travail, le contrat de société, etc.

Il organise ainsi les règles qui président à la formation du contrat, pour s’assurer que le consentement donné par les parties au contrat est libre et éclairé, puis il formule les règles relatives à l’exécution du contrat. Au titre de l’exécution du contrat, il envisage aussi l’hypothèse de l’inexécution du contrat, laquelle peut engendrer sur la tête du cocontractant défaillant une responsabilité, qui sera une responsabilité contractuelle (et non pas la responsabilité civile, visée à l’article 1382, qui s’applique aux personnes qui ne sont pas dans une situation contractuelle, l’article 1382 visant la « responsabilité extra-contractuelle »).

Reprenant cette articulation, le Code civil français décline dans les articles 1101 et suivants les règles générales des contrats, puis dans divers endroits du Code développe des règles spécifiques à tel ou tel contrat. Ainsi, l’article 1832 du Code civil, visant le contrat de société. Mais le contrat de société est un "contrat spécial", qui n'est pas un contrat d'échange de prestation entres les parties, c'est un contrat d'intérêt commun, ce qui modifie sa nature, comme nous le verrons à propos du rapport entre le Droit des sociétés et la Régulation bancaire et surtout financière.

Dans la pratique, les relations économiques et financières entre les opérateurs (B to B) ou entre les opérateurs et les consommateurs finaux (B to C) vont donc être à la fois régies par le droit général des contrats et par le droit spécifique du contrat particulier qui les lie (« contrat spécial »).
 

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Ainsi, les contrats qui sont partout à l’intérieur des secteurs bancaires et financiers, et sont les préalables neutres et nécessaires de toutes les relations bancaires, financières et assurantielles, font dépendre de la conception très générale que le droit civil traduit du contrat. En effet, beaucoup des contrats concernant sont des contrats qui relèvent du droit civil. Par exemple, le contrat qui lie un client comme vous et moi et sa banque est un contrat régi par le droit civil (tandis qu’un contrat conclu entre deux banques, qui sont par nature des personnes juridiques commerçantes, est un contrat régi par le droit commercial, et de ce fait souvent désigné comme un « contrat commercial »).

Mais plus encore, le droit civil, notamment via le Code civil, est le cœur du système juridique. Il exprime le droit commun de toutes les relations juridiques. Même les contrats soumis au droit public puisent dans les principes essentiels de la théorie générale du droit, telle qu’elle fût rédigée en 1804 dans le Code civil.

Or, cette théorie générale du droit est certes un ensemble technique de règles, mais elle exprime avant tout une représentation de ce à quoi doit servir le droit, qui est un « art pratique », de ce qu’il « représente ». Ainsi, et les conséquences pratiques en sont ensuite considérables, le Code civil définit le contrat comme un acte juridique produit par la rencontre d’au moins deux volontés de deux personnes.

Cela est posé littéralement par l’article 1101 du Code civil qui pose que « Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ».

Par cette économie de moyens, cette limpidité de style qui confine à la langue courante, cette concision, les codificateurs de 1805, dans une formulation qui demeure aujourd’hui, ont posé les éléments essentiels de ce qu’est un contrat. Ils auraient pu être tout autres, mais c’est la définition que le Code civil a visée : une définition « subjective » du contrat.

En effet, le contrat est perçu avant tout comme la rencontre de deux volontés de deux personnes. Le contrat exprime « l’individualisme juridique », qui se rattache à la philosophie des Lumières et que la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 conserve dans notre droit positif, puisqu’elle fait partie de notre « bloc de constitutionnalité ».

Dans cette conception philosophiques des choses – car le droit est un art pratique construit sur des idées -, les personnes sont des êtres de raison, qui sont entièrement libres et mesurent les conditions et la portée de leurs actions, notamment de leurs engagement. Dans ce qui est construit par ailleurs par Kant comme la « théorie de l’autonomie de la volonté », la personne se pose à elle-même sa loi, à travers l’expression qu’en fait sa volonté tout-puissante : lorsque celle-ci rencontre une autre volonté d’une autre personne, également toute-puissante, il en résulte un contrat, autosuffisant et qui va les contrainte avec la même puissante contraignante à leur égard, à la mesure de la liberté qui a fait naître l’engagement contractuel.

Cette définition « subjective » du contrat est donc philosophique et suppose que l’on adhère au postulat de départ de la « personne », isolée, rationnelle, libre et disposant entièrement d’elle-même. C’est la position des Révolutionnaires Français. Cela correspond tout à fait à la théorie d’Adam Smith dans sa conception du marché, que nous conservons également : le marché est le lieu où agissent des agents atomisés qui mesurent la portée de leurs actions et s’engagent les uns par rapport aux autres, dans des rapports bilatéraux, appelés « contrats ». Ainsi, le marché fonctionne sur des contrats et Coase montrera dans son étude de 1937 sur « la théorie de la firme » que l’entreprise n’est que l’alternative pour l’entrepreneur d’une action sur le marché par des contrats avec les tiers.

Si l’on en revient à la définition du contrat - car le droit est construit sur les définitions et les définition sont des constructions dogmatiques -, l’article 1101 du Code civil renvoie à une définition « subjective » du contrat, lien entre deux personnes qui expriment la puissance de leur volonté en échangeant leur consentement, d’où il résulte cet acte juridique que constitue le contrat. La jurisprudence, notamment dans sa construction du XIXième siècle, lira tout le droit des contrats à travers le prisme de l’autonomie de la volonté.

D’une façon libérale, même si cela s’est développe d’une façon moins radicale qu’aux Etats-Unis, la jurisprudence en a tiré des conséquences techniques fondamentales. Ces conséquences sont au nombre de 4 : la liberté de ne pas contracter, la liberté de contracter, la liberté de choisir son cocontractant, la liberté de choisir ce à quoi l’on s’oblige.

Ces 4 libertés sont le socles du mécanisme du marché, y compris en matière bancaire, financière et concurrentielle, et des dispositions générales du Code civil en tirent les conséquences.
 
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La première des libertés contractuelle est de nature « négative » : il s’agit de la liberté de ne pas contracter. En effet, parce que je suis libre, je peux toujours refuser l’offre que me propose une personne sur le marché. Par exemple, je renonce à consommer, je choisis de consommer un autre bien qui est substituable à celui qui m’est proposé ou je choisis de contracter avec un autre offreur qui me proposer un bien analogue à des conditions que je préfère. Ainsi, c’est la « liberté de ne pas contracter » qui est le socle de tout marché concurrentiel.

Plus encore, la liberté négative de contracter, c’est-à-dire cette liberté de ne pas contracter, permet par une « autorégulation » d’engendrer un équilibre  à l’intérieur du droit qui en fait un instrument parfait. En effet, comme je suis libre et rationnelle, tant que la proposition qui m’est faite ne me convient pas en tous points, je ne l’accepte pas. Ainsi, l’offreur modifie son offre, baisse le prix, accroît la qualité de la chose ou du service, pour enfin engendrer une offre satisfaisante et que je l’accepte. C’est donc parce que le demandeur est titulaire de la liberté de ne pas contracter qu’il demeure réticent face à l’offre, que l’offreur ajuste celle-ci jusqu’à ce que le demandeur y trouve la satisfaction de son intérêt, l’accepte et que le contrat se noue alors par la seule rencontre des deux consentements.

En effet, la seule rencontre du consentement de l’offreur et du demandeur suffit à engendrer le contrat, ce qu’exprime le principe du « consensualisme », sans qu’en principe des formalités soient requises pour qu’un contrat soit valablement formé, sauf exception posée par la loi. Ainsi, si les contrats sont dressés par écrit, c’est uniquement pour qu’il en reste une preuve, en cas de contestation et que l’une des parties, par exemple celle qui en demande l’exécution forcée, puisse rapporter au juge la preuve de l’existence du contrat. Mais l’écrit n’a en principe qu’une valeur probatoire, n’est qu’un instrumentum, le contrat valant par la seule rencontre des consentements en tant que negotium.
 
La deuxième et troisième libertés sont les libertés « positive » de contracter et  de choisir son cocontractant. En effet, je choisis librement celui avec lequel je veux contracter. Cette liberté positive est corrélée avec la liberté négative qui vient d’être exposée. En effet, je peux si l’offre ne me convient pas (le produit n’est pas bon, le prix est trop élevé, etc.), je peux me priver de le consommer, mais je peux surtout me tourner vers un autre offreur, qui me propose le même produit ou la même prestation à un meilleur prix, à des meilleure conditions ou une produit ou prestation de meilleure qualité ou qui n’est plus adéquat. Dès lors, je vais exercer ma liberté  de ne pas contracter au détriment du premier offreur et exercer ma liberté de contracter au bénéfice du second offreur.

C’est tout le marché concurrentiel qui repose sur cette articulation de la liberté négative et positive de contracter. On comprend donc pourquoi la liberté contractuelle ait une valeur constitutionnelle, très fortement en droit nord-américain, d’une façon plus timide en droit français, car c’est sur ce couple que repose toute la concurrence.
 
La quatrième liberté est celle de choisir ce à quoi l’on s’oblige. En effet, lors des négociations contractuelles qui ont précédé l’accord des volontés par lequel le contrat naît immédiatement grâce au principe précité du consensualisme, l’offreur et le demandeur ont dessiné les obligations réciproques auxquelles ils vont s’astreindre. Comme ils les auront d’un commun accord et librement décidé, ils devront avec la même force, laquelle se retourne contre eux quand vient le temps de l’exécution, l’exécuter.
 
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Le Code civil, avec toute la force de sa simplicité, va exprimer la puissance de ce système contractuel, offrant une sécurité juridique absolue aux contractants, puisque ce à quoi ils se sont librement engagés, ils savent qu'ils en obtiendront l'exécution à l'avenir, dès l'instant que leur consentement n'est pas vicié par un vice (erreur, dol ou lésion dans certains cas).

En cela, le contrat a une puissance normative à leur égard équivalence à la puissance législative, et Carbonnier a pu qualifier le contrat de "petite loi". Ce n'est que reprendre les termes de l'alinéa 1ier de l'article 1134 du Code civil qui dispose : Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

C'est parce que les contractants ont exercé leur liberté, ont exprimé leur consentement, l'ont échangé, qu'elles se sont absolument engagées, et qu'elles sont dès l'instant de l'échange de leur volonté assujetties par le contrat, comme le sont les personnes du fait d'une loi adoptée par le Législateur.

Mais de la même que les parties sont absolument engagées et subissent en quelque sorte le joug contractuel, puisqu'elles l'on accepté, ceux qui ne sont pas parties au contrat, ceux qui n'ont pas exprimé leur volonté, ceux qui n'ont pas usé de leur liberté de contracté, ceux-là ne peuvent être assujettis par le contrat qui ne peut créer de charges à leur égard.

Ainsi, en tant qu'acte juridique créateur d'obligations, le contrat ne peut pas créer de charges à l'égard des "tiers au contrat" : c'est le principe de l'effet relatif des contrats, posé par l'article 1165 du Code civil.

 

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