18 novembre 2014

Enseignements : Grandes Questions du Droit, Semestre d'Automne 2014

Problématique de la dixième leçon : la distinction entre les personnes et les choses

Le cinquième couple de contraires concerne le rapport entre la personne et les choses. Tel un Tartuffe qui aurait longtemps triomphé, le droit avait réussi à masquer un corps "qu’il ne saurait voir", grâce à sa puissance à créer une réalité qui lui est propre : la "personne". En effet, la personne, invention du droit romain, désigne l’aptitude à être titulaire de droits et d’obligations, à être sujet de droits. Il y a ainsi identité entre le sujet de droit et la personne. La personne est une notion abstraite, équivalent à une aptitude à être titulaire de droits et d’obligations. Pas moins (être créancier ; être responsable) ; pas plus (pas de corps ; pas de référence direct à l’être humain). Cette vision romaniste fut accentuée par les conceptions canoniste et cartésienne.

Il n’y avait pas de difficulté, tant que la personne pouvait dire : "je suis mon corps", comme le droit pénal continue de le supposer à travers les qualifications de meurtre ou de coups et blessures. Le critère majeur est alors la volonté : si la personne n’est pas d’accord, l’atteinte est illicite ; si elle est d’accord, l’atteinte est licite. Cela gouverne le droit en matière de prostitution, activité en elle-même licite, seul le proxénétisme étant sanctionné par l’article 225-5 du Code pénal. Cela explique la solution, contestée en doctrine, retenue par la Cour européenne des droits de l’homme en matière de sadomasochisme, dans l’arrêt du 17 février 2005, K.A. c/ Belgique. La question de la prohibition de la prostitution par le législateur est pourtant de nouveau à l’ordre du jour et une commission a été constituée pour étudier l’opportunité d’une modification du droit. Un rapport parlementaire vient de proposer de sanctionner pénalement les clients des prostitués.

Mais la technicité a rendu depuis une trentaine d’années les corps disponibles d’une façon non radicales, par les recherches sur le corps, les perspectives de clonages, les greffes, etc., la science et les techniques avançant toujours, le droit a tendance à être plus permissif pour n’être pas dépassé, préférant encadrer. C’est ainsi que la loi du 6 août 2013 vient d’autoriser les recherches sur les cellules souches embryonnaires qui sont reprogrammables. Pourtant, des limites sont posées pour éviter une "marchandisation des personnes" ; c’est ainsi que la Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 16 octobre 2011 a interdit que l’on brevette de telles cellules.

D’une façon plus générale, cet équilibre très difficile entre la réalité physique du corps et la réalité de la personne qui l’habite, qui doit pouvoir plus ou moins en disposer et empêcher les autres d’en disposer, a justifié la création du droit de la bioéthique, dont le critère est "la dignité de l’être humain" (et non plus de la personne) que la loi du 29 juillet 1994 sur la bioéthique a inséré dans le nouvel article 16 du Code civil.

Le droit se retrouve pour la première fois à devoir affronter le quotidien des êtres humains : la "vie décente" (notion nouvelle en droit), la mort, qui n’est définie que par une circulaire du 24 avril 1968 par un double encéphalogramme plat. C’est l’enjeu des prélèvements pour les greffes.

L’affaire Our Body, qui donne lieu à un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 30 avril 2009 et à un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 16 septembre 2010 montre la difficulté du droit à protéger la dignité des être humains décédés. La loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique recherche un nouvel équilibre entre avancée de la science et respect de la personne. La loi précitée du 6 août 2013 rend de plus en plus le corps humain à la disposition d'autrui, par la fragmentation que la science en opère.

La question fondamentale est de savoir si l’on doit ou non rester la volonté gouverner cette question.
 

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