Le grand enjeu est la marge de manœuvre que la CEDH laisse aux États dans la conception que ceux-ci ont de la famille. L'arrêt que la CEDH vient de rendre le 9 juin 2016, Chapin et Charpentier c/ France est exemplaire à ce titre.
La famille : le grand enjeu de nos sociétés, avec ce que le Droit laissera faire des corps humains, de leur disponibilité aux puissances économiques ou non. Les deux sujets sont plus mêlés qu'il n'y paraît de premier abord, car plus on affirmera que la famille n'est pas un groupe mais un nœud de contrat entre des individus qui se fait et se défait au gré des volontés, des consentements et des intérêts en balance - avec le juge pour seul protecteur -, et plus on laissera les entreprises pénétrer dans la famille et dans les personnes mêmes, et vendre dans un même package les filiations, les procréation et autres prestations. Mariage et sexualité, filiation et engendrement : le Marché en perçoit le rendement et transforme cela en industrie et en commerce mondial, si le Droit n'en prend pas garde.
Le consentement, l'individu, la neutralité, sont-ils les nouveaux principes ? Dans ce cas, le Marché, qui se construit sur ces trois-là, est le nouveau maître de la famille.
Pourquoi pas. Les faibles en paieront le prix.
Le prix en sera colossal, puisque le faible devient l'être humain consommé par l'être humain plus fort que lui. Loi du marché, chacun le perçoit, beaucoup compte sur le Droit pour qu'elle ne règne pas. Loi de la famille aussi ?
Que dit la CEDH, gardienne des personnes, juge qui veille à ce que les faibles ne soient pas dévorées par les plus forts, au moins pas au nom du Droit.
L'arrêt que la CEDH vient de rendre le 9 juin 2016, Chapin et Charpentier c/ France est très clair, net et précis
La question était de savoir si le législateur est en droit de dire s'il le veut que le mariage est réservé aux couples hétérosexuels comme il est en droit d'ouvrir le mariage aux couples homosexuels.
La réponse de la CEDH est : OUI.
Non seulement, la réponse est nette, mais elle est fondée sur trois raisons, tout aussi claire et nette, lesquelles peuvent être étendues à d'autres questions, par exemple en matière de GPA.
Voir ci-dessous l'analyse de l'arrêt et la confrontation de son raisonnement avec d'autres situations.
Les requérants en faisaient ce que l'on pourrait appeler une "affaire de principe". En effet, au moment où l'affaire a été présentée et plaidée devant la CEDH, le mariage entre personnes de même sexe a été ouvert par la loi française du 17 mai 2013 et les deux requérants ne contestent plus que le principe d'une hypothèse - celle que représentait le droit français ancien, et non plus le droit français auquel ils sont soumis. Ils ne se sont pas pour autant désisté, contesté l'idée même d'un système juridique hypothétique, au nom du principe de discrimination.
Pourquoi pas. La "lutte pour le droit" telle que la conçoit Jhering peut justifier qu'on se batte pour les principes et contre ce qu'on estime injuste auxquels on croit alors même qu'on n'est en rien soumis à cette injustice. Mais la CEDH n'aime sans doute être instrumentalisée ainsi et elle rappelle dans son arrêt du 9 juin que non seulement ils avaient accès au PACS mais encore depuis 2013 ils avaient accès au mariage.
En effet, les requérants ont deux arguments juridiques : la discrimination d'une part, l'atteinte à la vie privée et familiale d'autre part. Deux arguments que l'on retrouve en matière de GPA.
Voyons comme la CEDH y a répondu dans l'arrêt du 9 juin 2016, Chapin et Charpentier, parfois appelés en France les "mariés de Bègles".
I. L'INSUFFISANCE DES GRIEFS DE DISCRIMINATION ET D'ATTEINTE LA VIE PRIVÉE ET FAMILIALE AU REGARD DES MARGES DU LÉGISLATEUR
Les requérants arguaient de la discrimination entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels, les premiers pouvant se marier et les autres pas.
Il y aurait discrimination de ce fait, au regard du "droit au mariage" issu de l'article 12 de la Convention européenne des droits de l'Homme.
La CEDH reprend ses arrêts précédents et redit que si l'institution du mariage a été "profondément bouleversée" depuis l'adoption de la CEDH (1948), "l'autorisation ou l'interdiction du mariage homosexuel est régie par les lois nationales des États contractants", que les "connotations sociales et culturelles profondes" justifient que le mariage demeure régi par chaque État et que la CEDH ne doit pas "se hâter de substituer sa propre appréciation à celle des autorités nationales, mieux placées pour apprécier les besoins de la société et y répondre".
C'est la définition même de ce qu'est un "Législateur" que donne ici la CEDH : celui qui apprécie les besoins du corps social et y répond. C'est une définition politique. C'est le Politique. Il convient de reconnaître le pouvoir du juge, auquel celui-ci est même contraint, mais de ne jamais confondre le juge et le Politique.
Les requérants arguaient également de la violation de l'article 8, protégeant la vie privée, le même article qui a fondé la condamnation de la France en matière de GPA.
La Cour rejette cet argumentation car les requérants pouvaient entrer dans la situation juridique du PACS.
II. LA CONSIDÉRATION D'AUTRES SITUATIONS SATISFAISANTES ORGANISÉES PAR LE DROIT
La Cour n'entend pas être manipulé par un usage sophistique du principe d'égalité, retourné comme un gant par le principe de non-discrimination : dès l'instant que les personnes sont dans une "situation différente", ils peuvent être traités différemment. Ainsi, si les États le veulent, parce qu'un couple homosexuel constitue une situation différente d'un couple hétérosexuel, un État peut réserver le mariage au premier type de couple. Parce que le mariage est une institution construite pour la filiation et que celle-ci ne se développe pas du tout de la même façon dans le premier type de couple que dans le second. Dans le même pouvoir politique, un État peut décider d'ouvrir la même institution qu'est le mariage à ces deux types de couples, sans qu'on puisse lui opposer cette différence de situation, comme l'a rappelé à juste titre le Conseil constitutionnel dans sa décision du 17 mai 2013.
La Cour ne se substitue pas au Politique. Encore faut-il que l’État ne laisse pas les personnes sans aucune situation juridique, sans aucun droit ni aucune protection découlant de leur situation de couple, car cela sera contraire à la protection que leur doit le Droit. En l'espèce, il y avait le PACS, mécanisme juridique qui a pour fin d'attribution des droits protecteurs à l'individu en relation de couple.
Si l'on considère même la situation de la filiation, si l'on prend un couple homosexuel, qui veut élever un enfant. Nul ne doute de l'aptitude à élever un enfant, les couples homosexuels n'élevant un enfant ni mieux ni plus mal qu'un couple hétérosexuel. Comme l'a écrit le Tribunal fédéral suisse dans son arrêt du 14 septembre 2015, cela n'est pas le sujet. Un tel couple peut accueillir un enfant dans son foyer. Il pourra le faire à travers la situation juridique offerte à tous qui est l'adoption, mécanisme par lequel le Droit offre à un enfant des parents, qui peuvent être eux-mêmes dans une relation hétérosexuelle ou homosexuelle (ce qui ne regarde pas l'enfant).
Le raisonnement est donc parfaitement transposable.
III LA CONSIDÉRATION D'ABSENCE DE CONSENSUS
En outre, dans son arrêt du 9 juin 2016, la CEDH relève qu'une autre raison pour laquelle elle ne veut pas intervenir dans les choix politiques des États en la matière est "l'absence de consensus" entre les différents États signataires de la Convention européenne des droits de l'Homme.
Or, en matière de GPA, il n'y a aucun consensus.
Le Royaume-Uni ouvre grand ses portes à la GPA, qu'elle soit domestique ou réalisée à l'étranger, l'argent gouvernant le système l'altruisme n'étant que de façade, le Portugal hésite puisque le Président vient de mettre son veto à la Loi que le Parlement avait adopté en la matière pour "libéraliser", la France, l'Allemagne et l'Italie maintiennent leur prohibition, les juges hésitent, les entreprises vont de tribunaux en tribunaux pour entamer les prohibitions.
Bref, on aurait rarement vu question plus controversée et disputée.
Voilà pourquoi l'arrêt que vient de rendre la CEDH est à garder en tête, car il montre la conception que cette Cour se fait elle-même de la part respective du Juge et du Législateur en la matière et les critères selon lesquels l'un et l'autre ont prise sur les questions de société.
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