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Une personne avait épousé un homme à des fins exclusivement intéressées et n'avait consenti à une relation intime que le seul jour de son mariage. Quinze jours plus tard, l'époux comprenant avoir été épousé pour son argent, déclare son intention de demander l'annulation du mariage. Trois jours après, l'épouse le blesse si gravement que mort s'en suit. L'épouse fait valoir ses droits successoraux et le ministère public demande l'annulation du mariage. La Cour de cassation valide l'annulation prononcée par la Cour d'appel de Paris car la femme s'était mariée dans le but exclussif d'appréhender le patrimoine de l'homme, ce qui a anéanti le consentement exigé par l'article 146 du Code civil. Mais depuis quand l'amour est-il une condition pour se marier ?
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L’article 146 du Code civil dispose qu’il n’y a pas de mariage sans consentement.
Dans le cas présent, Madame X est déjà la mère d’un enfant qu’elle a eu avec un tiers, et Philippe Y veut l’épouser, celle-ci se refusant à toute relation sexuelle avant le mariage.
Effectivement, elle consent à avoir une relation sexuelle avec Philippe Y que le jour du mariage, le 12 juillet 1996, puis se refuse de nouveau à lui. Son époux se met à douter de la « sincérité » de son épouse à son égard, pensant qu’elle ne l’a épousé que pour son argent, et exprime devant témoins sa volonté dès le début du mois d’août de demander l’annulation de ce mariage, dont d’autres témoins attestent par la suite que Madame X s’y était engagée dans une « intention de lucre et de cupidité ». Mais le mari n’en a pas le temps, puisque quelques jours plus tard, il est tué par son épouse par des coups et blessures volontaires ayant entrainé la mort, le 7 août 1996.
Sur le terrain du droit pénal, Madame X est poursuivie sur la qualification de coups et blessures volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner. Elle est condamnée, ayant été reconnue coupable à ce titre. Sur le terrain du droit civil, Madame X, étant l’épouse de Philippe Y au moment de la mort de celle-ci, revendique la vocation successorale qu’elle tient de son statut de conjoint survivant. Cela lui est contesté par le ministère public qui en raison de ses pouvoirs en matière civile peut demander l’annulation d’un mariage, ce qui prive alors la personne notamment de ses droits successoraux. Le Tribunal de Grande Instance de Paris donne pourtant raison à l’épouse et lui permet de revendiquer ses droits successoraux qu’elle tient de sa qualité de conjoint survivant, mais la Cour d’Appel de Paris, dans un arrêt du 25 septembre 2008, annule le mariage.
En effet, les juges du fond du second degré s’appuient sur plusieurs témoignages pour constater qu’au moment du mariage, Madame X était animée de l’intention d’appréhender le patrimoine de Monsieur Y pour s’assurer son avenir et celui du fils qu’elle avait eu avec un tiers. Les juges ajoutent que Madame X s’était refusée à son époux après le mariage, ne lui ayant cédé que le jour de celui-ci et que l’époux avait quinze jours après la célébration exprimé sa volonté de demander l’annulation du mariage avant de subir les coups mortels que lui porta Madame X. Les juges du fond estiment que celle-ci n’avait pas eu « l’intention de se soumettre à toutes les obligations nées de l’union conjugale » et prononce donc la nullité du mariage.
Un pourvoi est formé devant la première chambre civile de la Cour de cassation qui rend un arrêt le 19 décembre 2012. Le pourvoi critique l’arrêt entrepris en se fondant sur l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui ne met aucun obstacle au droit pour tout être humain nubile de se marier, même à des fins intéressées. Cette finalité est d’autant plus légitime que le mariage est aussi un lien patrimonial et que le devoir de secours entre époux ainsi que la vocation successorale du conjoint survivant lui sont consubstantiels ce qui fait que l’on ne saurait dire qu’il ne s’agit là d’une fin « étrangère » à l’union patrimoniale, Madame X ayant épousé Monsieur Y pour obtenir un avantage patrimonial inhérent au mariage, qui n’intéresse pas la société.
Le pourvoir est rejeté par l’arrêt.
La Cour de cassation estime en effet que les juges du fond ont statué à « bon droit ». En effet, les juges ont constaté que Madame X s’était mariée « dans le but exclusif d’appréhender le patrimoine de Philippe Y » et dès lors la Cour d’appel en a « déduit sans méconnaître les exigences conventionnelles de la liberté du mariage, qu’il y a lieu d’annuler celui-ci faute de consentement ».
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Cet arrêt mérite réflexion. En effet, à première lecture, la solution peut paraitre évidente : une femme qui épouse un homme pour son argent ne lui concède qu’une nuit de noce, le tue trois semaines plus tard, comment le droit pourrait-il lui offrir sur un plateau d’argent les droits successoraux que le législateur mis tant de temps à élaborer pour le conjoint survivant ? L’équité et le bon sens semble aller naturellement dans ce sens.
Mais cela suppose que les juges se demandent ce pour quoi l’un épouse l’autre. Or, dans sa sagesse, l’adage pose que « le droit ne sonde pas les reins et les cœurs » c’est-à-dire ne cherche pas à connaître les sentiments par exemple ne fonde pas le mariage sur l’amour, mais sur la seule volonté.
Ainsi, la Cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 17 octobre 2011, Jérémie X, a posé qu’un mariage ne pouvait pas être annulé malgré l’article 146 du Code civil du seul fait que l’épouse pensait à un autre homme que son mari le jour du mariage. Dans cette affaire, elle s’était mariée pour provoquer la jalousie de son amant.
Dans notre affaire, elle s’est mariée pour mettre la main sur l’argent de cet homme à son bénéfice et à celui de son fils. Cela s’appelle un mariage d’argent. Il n’est pas soutenu qu’elle ait voulu l’assassiner, puisqu’elle n’a été condamnée que pour coups et blessures. Certes, elle n’a pas eu l’intention de se soumettre aux obligations nées du mariage, notamment une véritable communauté de vie. Mais cela constitue des fautes et engendre un divorce, ce qui suppose un conjoint vivant, non une annulation.
Pourquoi la Cour de cassation a-t-elle donc rendu un tel arrêt, sans même prendre la précaution de marquer quelques distances en utilisant la rhétorique bien connue, des expressions comme « les juges du fond ont pu » etc. Cela tient sans doute au fait que des dispositions spéciales prévoient qu’en matière de donation, si le donataire tue le donateur, la donation est annulée. De la même façon en cas de parricide, la vocation successorale disparait. Mais ici, parce que la vocation successorale du conjoint survivant est entrée dans notre juridique d’une façon relativement récente, il n’existe pas de sanction particulière pour priver du bénéfice civil le conjoint qui met fin aux jours de l’autre, avant que celui-ci n’ait eu le temps de réagir, par exemple par un divorce. Il faudrait alors par une sorte d’appel d’air utiliser le droit général faute de disposition spéciale : c’est exactement ce que fait le présent arrêt en utilisant la disposition très générale qu’est l’article 146.
Simplement, il ne faudrait pas que pour apporter une solution d’équité, l’on en vienne à déformer le sens même des textes. En effet, en l’espèce, il y avait bien eu consentement et même si l’épouse n’aimait en rien le mari et ne visait que sa fortune, les volontés étaient clairement exprimées. Si le droit devenait à ce point sentimental, qu’il rende consubstantiel mariage et amour, au point de trouver naturel d’annuler le lien de mariage sous pretexte qu’il n’y aurait pas eu de lien d’amour (hypothèse courante), de la même façon que symétriquement tout lien d’amour devrait être automatiquement cristallisé par un lien de mariage, c’est le droit même qui serait perdu, ayant oublié tous ses adages fondamentaux.
Pour lire l’arrêt, cliquez ici.
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