Organisé par l'Université Paris-Descartes
Cette commémoration de la Loi bancaire du 24 janvier 1984 a donné lieu à deux manifestation.
Lire le programme de la journée du 24 janvier 2014 à l'Université de Strasbourg
Lire le programme du présent colloque du 7 février 2014.
La conférence a été publiée d'une façon tronquée dans un n° spéciale de la Revue Banque & Droit.
Marie-Anne Frison-Roche
Professeur à Sciences Po (Paris)
L’ensemble des contributions montre qu'à la fois ce que l'on désigne d'une façon continuelle comme "La Loi Bancaire" est à la fois un socle, ce sur quoi tout semble s'être construit, sur à partir de quoi tout a changé, mais aussi ce qui désormais est loin de nos regards, lesquels se porteraient vers autre chose, vers Internet, vers l'Union bancaire, ces autres espaces auxquels la loi de 1984 n'avait pas posé sa marque.
Pourtant, c'est bien de "marque" qu'il s'agit, car la loi du 24 janvier 1984 a pour intitulé précis Loi relative au contrôle et à l'activité des établissements de crédit. Mais l'on la désigne tous comme la Loi Bancaire, avec des majuscules de majesté.
Certes, les titres des lois ne sont pas votés par le Parlement et le Conseil constitutionnel rappel qu'ils n'ont donc pas de portée normative, mais de fait la désigner ainsi lui confère un rôle fondamental, comme Carbonnier a pu dire que le Code civil est notre Constitution civile. Ainsi, les lois ont eu beau se succéder, de nombreuses, auxquelles de nombreux ministres ont voulu attacher leur patronyme, la Loi Bancaire est demeurée dans les esprits.
Ce marbre que semble contenir ce titre presque nobiliaire qui lui fût donné, plus abstrait que les paraphrases qui servent aujourd'hui d'intitulés aux lois et moins fragiles que les noms ministériel, s'explique par ce qui a été montré par le Doyen Yves Gérard.
En tant que la loi du 24 janvier 1984 a organisé les activités des banques, elle a contribué à donner à celles-ci les moyens d'agir sur un marché mais dans le même et de ce fait même, parce que les banques n'étaient plus publiques et n'étaient plus contrôlées par l'Etat-actionnaire, il fallait mettre en place un système plus élaboré de contrôle des banques. Ainsi, était en germe le système à venir de régulation bancaire, à travers la supervision bancaire et la réglementation bancaire.
Comme l'a souligné Nicolas Mathey, il y a bien un continuum entre les choix institutionnels faits par la loi de 1984 et ceux qui ont suivi dans les 30 années postérieures, d'une part, et les dispositions relatives aux relations contractuelles entre les banques et leurs clients, sans qu'il vaille loger les premiers dans le droit public et les secondes dans le droit privé. En effet, l'évolution montre que le droit bancaire demeure imprégné d'ordre public, de droit public et que le souci du risque systémique met au centre la puissance publique, voire l'argent public, tandis que la banque se présente comme un marché auquel les Autorités de la concurrence ne veulent pas rester à la porte.
Mais trente ans après, les auteurs se tournent vers l'avenir et, à les lire, c'est avec une certaine inquiétude ou une certaine désapprobation. En effet, au souci de l'avenir semble se substituer l'affirmation d'un avenir qui "fait souci".
Ainsi, à écouter Muriel Cohen-Branche, une nostalgie nous saisit à relire la loi du 24 janvier 2014 si bien écrite et en si peu de dispositions, lorsqu'on la compare à l'état actuel et à venir des textes qui pleuvent sur la matière, d'autres étant adoptés avant que les précédents soient entrés en vigueur, chacun écrivant par simple renvoi à des dizaines de dispositions aux multiples ancrages.
Que d'ouvrages aujourd'hui sur la table de travail pour lire une seule loi, non seulement la loi consultée mais tous les codes contenant les articles auxquels elle renvoie dans ses dispositions ou ses définitions ponctuellement faites "au sens du présent texte" car un mot n'a plus de sens que pour une loi et non plus en soi... Il faut y ajouter tous les textes de l'Union européenne et c'est alors un ordinateur connecté dont l'écran doit orner le bureau, car nul ne songe à disposer du J.O.E.U. en papier.
Bientôt, comme dans Peter Pan, nous volerons vers le Pays Imaginaire du droit bancaire, puisqu'il nous faut nous référer à des lois qui n'existent pas, mais auxquelles "l'on songe" et sur lesquelles en conséquence les régulateurs prennent déjà position, ce qui conduit les opérateurs à ajuster dès à présent leur comportement.
Nos outils de travail ont changé depuis 1984 et notre table de travail s'est encombrée.
Notre esprit s'est aussi embrumé, chacun le reconnaît. Non pas parce que la Loi Bancaire aurait mal vieilli, mais parce qu'elle ne supporte pas des raisonnements complexes. En effet, le droit bancaire est depuis toujours un noeud de droit civil, de droit des contrats, de la distribution, des sûretés, des procédures collectives. Il est vrai qu'Yves Gérard a montré que depuis 1984 le droit de l'Union européenne a pris position de la matière et le Doyen Jean Stoufflet souligne que l'Union bancaire est le nouveau foyer du droit bancaire.
Nos esprits sont plutôt embrumés par des sigles inconnus et cumulés, tirés d'expressions anglaises, renvoyant à des séquences figées décrivant des obligations ou des procédures pesant sur les banques, lesquelles commencent à s'adapter et à calculer les coûts supplémentaires de ces régulations bancaires nouvelles et supervisions qui se mettent en place, décrites par Thierry Samin.
Est apparu un nouveau corpus, qui n'était qu'en germe en 1984 mais qui semble hétérogène au système général de la Loi Bancaire, tandis que le système en train de se mettre en place, se dessinant comme l'avenir de la banque, doit conserver ce qui était la genèse du système dessiné en 1984.
Or, en 1984, la Loi Bancaire concevait la banque comme l'entreprise nouait des relations contractuelles avec les dépositaires et les emprunteurs, relations triangulaires et à long termes pour lesquelles de multiples dispositions spécifiques doivent être prises. Aujourd'hui, est en train de prévaloir l'idée que la banque est un opérateur sur le marché, qu'elle y développe sa puissance financière, mais que son éventuelle fragilité peut faire vaciller le système entier et l'économie, ce à quoi la puissance publique doit remédier. Ainsi, des contrats particuliers entre acteurs l'on passe à la régulation de la finance laquelle est le coeur de l'économie.
Mais dès 1984, malgré le système libéral, le souci de solidité et de supervision est déjà présent, de la même façon que le contrat demeurera la façon dont les banques développent leurs activités, même purement financières. Pourtant, les deux logiques n'ont plus la même force. Lorsqu'on fait un arrêt sur image, au début de l'année 2014, année cruciale pour la construction de l'Union bancaire, on a l'impression que le droit bancaire est écartelé entre deux logiques et qu'il n'a pas encore choisi son camp.
Pourtant, grâce aux multiples analyses dont nous avons bénéficié, on peut mesurer les points de rencontre et d'achoppent entre les deux conceptions, d'une Loi Bancaire conçue en 1984 comme une façon de concevoir d'une façon optimale les relations bilatérales entre la banque et ses divers cocontractants à une façon de gérer les risques systémiques d'un marché financier dont les banques sont les principes opérateurs (I). Nous ne connaissons pas la suite de l'histoire, mais nous pouvons suggérer le rôle que les juristes devraient y jouer, c'est leur fonction classique, ils devraient définir (II).
I. LA POSSIBILITÉ MÊME D’ARTICULER LA LOGIQUE DE REGULATION DU SECTEUR ET LA LOGIQUE D’ORGANISATION BILATÉRALE OPTIMALE
On peut à première vue douter que l’articulation de ces deux logiques soit possible, car la contradiction a été relevée d’emblée au coeur du droit bancaire. En effet, le secret s’impose en matière bancaire mais cela heurte frontalement toute régulation. Nous allons donc commencer pour nous souvenir de ce qui a été dit à propos du secret (1). Ensuite, la banque, à première vue, bien que le mot n’en ait été à peine prononcé, c’est affaire d’argent. Mais aujourd’hui, c’est à propos de sa puissance financière (et donc des catastrophes de la défaillance de cette puissance que l’Etat, l’Europe et le Monde s’en soucient (2). Depuis 1984, la banque a diversifié grâce aux techniques ses prestations de service, allant de la conservation des dépôts à la fourniture de moyens de paiement divers (3). De cela, la Loi Bancaire en avait relativement peu parlé, mais la soft Law , chère à la régulation s’en est chargée par la suite (4).
1. Le secret bancaire, valeur première du secteur bancaire et ennemi premier de la régulation financière
Jérome Lasserre-Capdeville a montré toute l'importance du secret bancaire dans la Loi Bancaire de 1984, la façon dont celle-ci la consolidé. Il a rappelé les condamnations qui intervenues pour sanctionné sa violation, preuve de son importance et de son effectivité.
Il s'agit d'un secret professionnel et s'il y a des qualifications pénales, ce n'est que pour mieux protéger l'intérêt du client car, comme souvent en droit pénal économique, c'est un intérêt privé légitime qu'il s'agit de protéger.
Mais Jérome Lasserre-Capdeville a montré que l'évolution du droit positif avait contrarié ce point de départ, par exemple par la loi LME du 4 août 2008. Si d'autres textes sont venus, européens ou internationaux, c'est que l'ordre public visant à protéger d'autres personnes que le client a interféré. L'intérêt des victimes des infractions sous-jacentes au blanchiment d'argent, par exemple.
Nous avons bien affaire à une lutte des logiques. En effet, comme l'on dit que l'information est le "bien commun" du marché financier, l'on serait tenté de dire que le secret bancaire est le "bien commun" d'une place bancaire. Certains vont jusqu'à dire qu'il les transforme en paradis.
Dès lors, les deux finalités vont s'affronter et elles ont vocations à le faire de plus en plus violemment à l'avenir. Or, entre l'intérêt privé du client, l'intérêt collectif de la place bancaire, face à l'intérêt général vers lequel tend la lutte contre la corruption politique, la traite des êtres humains, le trafic de drogue, etc., on peut sans être devin penser qu'à l'avenir le secret bancaire va diminuer. Il est possible que des opérations bancaires resteront très peu connues, notamment grâce à la pratique du droit des sociétés, mais pas grâce à l'évolution du droit bancaire lui-même.
On peut d'ailleurs craindre que le droit bancaire, versant de plus en plus dans le droit de la régulation, n'aille trop loin, en considération les banques comme des sortes de "criminels-nés". Ainsi, le souci non seulement de l'effectivité mais de l'efficacité, vont multiplier le système des peine automatiques, des sanctions cumulées, des présomptions, etc.
Pourtant, il y a bien des justifications au secret bancaire, qui ont été développées par Jérome Lasserre-Capdeville. Mais tant que les banques seront perçues comme des entreprises capitalistiques peu légitimes, faisant des profits peu méritées, l'opinion publique soutiendra une législation très répressive.
En effet, la législation est aussi une affaire de sociologie.
Comme l'a souligné Jérome Lasserre-Capdeville, la relation bancaire est basée sur la confiance et le secret concourt à celle-ci. C'est en cela que le secret est précieux, c''est pour cela qu'il est fondé.
Mais l'argument se retourne.
En effet et en premier lieu,dès 1984 le législateur a le souci de protéger le client de la banque, car il ne comprend pas tous les droits et toutes les obligations engendrées par la relation contractuelle qu'il envisage ou dans laquelle il évolue. Dans une telle asymétrie d'information, notamment appréhendée par le droit commun de la consommation évoquée par Charles Juillet, la solution est l'information. Ainsi, la Cour de cassation et les lois ultérieures vont faire pénétrer de faire de l'information dans le contrat bancaire.
Ce "secret bancaire", qui devait n'être qu'un secret à l'égard des tiers d'une information commune aux deux parties aguerries que seraient la partie et son client, est perçue désormais comme la rente informationnelle du banquier, qui garde l'information pour lui, qu'il s'agisse d'en priver le tiers ou d'en priver son propre client, et la loi va lutter contre "le secret du banquier" dans un mouvement d'ensemble.
En second lieu, la banque est un opérateur très visible dans la société. Observée par ceux qui ne sont pas ses clients, ceux-là n'ont pas la confiance en elle. Le secret dont les banques s'entourent apparaissent à certains comme un aveu de culpabilité, voire de complots et l'on trouve des documents qui évoquent des "plans de conquête" du monde, grâce à un secret dont le bénéficiaire est la banque et non le client, car le secret permet à la banque de ne pas répondre au juge.
En outre, le conflit de logique apparaît nettement quand on observe que la confiance, "bien commun" des marchés financiers, a pour moteur l'information. Dans ces conditions, le moteur de la confiance de l'un (l'information pour les marchés) éteint le combustible de la confiance pour l'autre (le secret pour la banque).
Cela se mesure d'une façon tangible car l'on constate que la régulation prudentielle permet toujours plus au régulateur bancaire de pénétrer dans les banques, sans qu'on ne puisse rien lui cacher. Plus encore, les sanctions de l'ACPR cessent d'être secrètes pour devenir publiques. Le grand principe de transparence envahit tout.
On peut penser qu'à l'avenir il ne restera plus grand-chose du secret bancaire ou bien qu'il aura pris d'autres formes, notamment le droit des sociétés.
2. De l’argent à la puissance financière
La banque, c’est avant tout une entreprise qui manipule de l’argent, cet argent que l’on lui dépose, que la banque prête, qu'elle "invente" au besoin par la monnaie scripturale et les produits financiers.
Le « dépôt bancaire », analysé par Philippe Néau-Leduc, est ce qui justifie le monopole bancaire. Or, on constate les difficultés à définir le dépôt bancaire indépendamment du contrat de dépôt bancaire, tandis que Thierry Samin montre qu’on ne maîtrise plus guère la notion de monpole bancaire... La sécurité juridique ne semble plus du tout appartenir à l'avenir bancaire ...
Le dépôt est bien une masse d’argent « déposée » par le « public ». Philippe Néau-Leduc montrant l’évolution en 1984, la lo se détachant de la notion de "dépôt" pour aller vers les « fonds » qui sont remises à la banque.
Nous sommes sans doute en train d'aller plus loin. En effet, si le dépôt a fait sécession du dépôt visé dans le contrat de dépôt du Code civil, pour migrer vers cette autre notion de "fond"s, actuellement la notion de fonds n'est plus la référence la plus pertinence en régulation.
En effet, indépendamment de « l’entrée en compte » qui noue la relation décrite par Richard Routier, les fonds entrent ainsi sur le secteur financier, par le biais de l’opérateur de marché qu’est la banque grâce à ce personnage de marché, plus général par rapport au client bancaire, qu’est « le public » car c'est le "public" qui apporte les "fonds" aux "banque".
Par le mécanisme des dépôts, le public offre à la banque sa puissance financière, que celle-ci va compléter par de l'ingénierie financière. On passe alors du secteur bancaire au secteur financier. Ainsi, notamment dans les économies guidées par les marchés financiers (Royaume-Uni et États-Unis), les marchés financiers sont alimentés par l'argent du public, que celui-ci transitent par les banques ou non. Les banques elles-mêmes sont alors avant tout des agents financiers, les banques d'affaires sont premières et le marché financier alimentent d'une façon directe l'économie. Cette structure de marché, qui renvoie l'économie au droit financier, est l'image d'une certaine économie, l'économie anglaise et nord-américaine.
Symétriquement, si le droit transforme le droit bancaire en droit financier, implicitement mais nécessairement, il se référera à une structure bancaire "idéale", ici anglo-saxonne, dans laquelle les banques sont des agents de marché financier, à une façon de financer l'économie. Les projets européens actuels, tels qu'ils ont été émis par la Commission européenne le 5 février 2014, qui casseraient les banques de dépôts et les banques d'affaires se réfèrent implicitement à cela, la "banque idéale" étant donc un agent de marché financier. Comme le droit est lui-même structurant, le droit finira pour nous rendre tous Anglais ...
Ainsi, le droit, surtout depuis la crise de 2008, prête attention au fait que par l'addition des fonds que les banques ont à leur disposition grâce au « public », les banques acquièrent une « puissance financière », les dépôts entrant ainsi dans une catégorie plus générale d'argent sur lequel la banque a un temps la main et dont elle dispose en raison d'un contrat.
L’avenir de la « Loi bancaire » n’est-elle pas alors de passer de la perspective bilatérale à la perspective sectorielle et de dire que ce qu’apporte le dépositaire à la banque, c’est une « puissance financière » ?
Si le droit prend ce chemin, il faut admettre qu'il existe du point de vue prudentiel une fongibilité entre les sources de la « puissance financière » de la banque, c’est-à-dire entre les sources de sa sa solvabilité.
A ce titre, une question juridique se pose, et elle est essentielle dans la perspective prudentielle, notamment au regard de la prévention du risque systémique et des procédés de de résolution bancaire prises en place en France par la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires.
Juridiquement, les dépôts font-ils partie des quasi-fonds propre ? Cela ne paraît pas possible par nature, le banquier doit restituer les dépôts, ce qui conduit à les mettre au passif du bilan.
C’est là où l’on mesure que la régulation financière est une sorte de « vampire » par rapport aux branches du droit, puisqu’elle déshabille les qualifications. Comme le souligne Philippe Neau-Leduc, le dépôt est une garantie que peut offrir la banque, alors même qu’il est une dette de la banque. Ainsi, elle offre comme indice de solvabilité de l’argent qu’elle doit au dépositaire…
Comment le concevoir juridiquement, sauf à dire que le droit est indifférent à ses contradictions? Cela se justifie en ce que le droit bancaire et le droit de la régulation ne reconstruisent pas la réalité de la même façon. En effet, le contrat de dépôt demeure, dans sa conception traditionnelle, hors du temps, tant qu’il n’est pas « activé » par les parties. Il est considéré à des « instants T », l’instant du dépôt des fonds, l’instant de la restitution des fonds, etc. Entre les deux, c’est le blanc de l’absence de temps du contrat dans son autonomie normative par rapport au contrat. Dès lors, il est acquis que la banque est débitrice et se délivre de cette qualification juridique en s’appauvrissant par le remboursement.
Mais la régulation est une matière volontairement « archaïque », qui considère les choses « en vrai ». Elle constate que pendant le temps où les fonds sont à la disposition de la banque, elle les a sous la main, elle exerce sa « puissance », elle en a la « maîtrise » (ce qui est la définition économique de la propriété …). Tout le temps que le dépositaire ne vient pas toquer la porte de la banque pour demander restitution, la banque dispose de la puissance financière sur des fonds. Ainsi, un dépôt particulier d’un client se fond dans tous les dépôts particuliers de tous les autres clients. Il se fond dans tous les autres moyens dont la banque dispose pour agir.
Plus encore, cette puissance de cette banque sur l’ensemble des dépôts est continue, en ce que le remboursement de certains par la banque est compensée par la rentrée par des dépôts apportés par d’autres clients. Ainsi, le mécanisme général du dépôt, globalement pris, participe à la solvabilité de la banque, peut servir de garantie. Il n’y a aucun problème. La seule hypothèse serait celle dans laquelle tous les dépositaires viendraient en même temps retirer les fonds tandis que nul autre client ne viendrait en apporter : c'est l'effet de run , c'est la crise systèmique.
Dès lors, dans une perspective financière et prudentielle, tout à la fois, il n’y a aucun problème pour estimer que cette masse disponible constitue des quasi-fonds propres et peut servir d'adossement de garanties, tandis que dans le même temps, ils constitue l'élément premier de la fragilité de tout le système, puisqu'il s'y loge le risque systémique.
Cela explique que le droit bancaire va glisser vers le droit financier, que le droit bilatéral des contrats va s'intégrer dans un droit de supervision de secteur entre les mains de la puissance publique.
3. De l’argent aux moyens de payer
Plus concrètement, lorsque les personnes ouvrent un compte, à vue ou de dépôt, c'est pour obtenir des moyens de paiement afin d'exécution des opérations usuelles de la vie quotidienne. Car rien n'est plus quotidien dans la vie des personnes que la relation bancaire et c'est dès l'enfant que l'on connaît la banque de ses parents, voire que l'on a soi-même un compte à la banque, forme avancée de la gestion de l'argent de poche.
Richard Routier décrit la façon dont la relation de compte se crée et "s'entretient", dans une relation dont Jérome Lasserre-Capdeville montre qu'elle doit demeurer marquée par la confiance.
Certes, en soulignant que la bilatéralité des mouvements qui distingue le compte à vue du compte de dépôt n'est que peu effective dans la réalité, Richard Routier montre le caractère déséquilibré de la relation, la "remise" opérée par la banque prenant le plus fréquemment la forme de découvert dont Charles Juillet souligne que seule la loi permet de limiter le fait que la banque en est le maître.
Concrètement, lorsqu'une personne ouvre un compte, c'est surtout pour obtenir des moyens de paiement, un carnet de chèque mais désormais une carte de paiement, voire de crédit, des numéros permettant de payer directement par Internet, par téléphone, etc.
Or, si le droit est resté intouché quand à savoir ce qu'est un dépôt ou une relation juridique de compte, car il s'agit de notions abstraite que le droit tient à sa disposition à l'intérieur même de son ordre, il n'en est pas de même des moyens de paiement. En effet, Jean Stoufflet a indiqué que l'avenir de la législation bancaire allait être sur Internet et sur la monnaie qui y circule, le bitcoin.
Les États-Unis ont choisi de la réguler d'une façon très vigoureuse - arrêtant son fondateur pour soupçon de blanchiment d'argent, la Fédération de Russie de l'interdire. La France n'ignore pas l'existence de cette "crypto-monnaie" sans intermédiation, mais ce sont les divers régulateurs qui interviennent, par diverses mises en garde. Ainsi, l'ACPR y procède, mais également l'ARJEL est intervenue, car le bitcoin devient une façon courante de payer dans les jeux de poker en ligne. La diversité des moyens de paiement entraîne la diversité des moyens, la diversité des lieux de paiement, désormais parfois virtuels, va engendrer de l'interrégulation.
Nous n'en sommes encore qu'au début de l'alliage entre le droit des télécommunications et le droit bancaire. Ce qui nous permet de le toucher dès maintenant, c'est le droit des données personnelles qui est déjà au croisement des deux et sur lequel la Commission tente d'élaborer une directive.
D'une façon concrète, les personnes ont besoin d'un compte non pas tant pour y puiser de l'argent que pour utiliser des chèques, lorsqu'elles ont peu d'argent, pour utiliser des cartes, lorsqu'elles sont plus fortunées. C'est dans cet esprit que la Loi Bancaire a fait naître un "droit au compte" décrit par Nicolas Mathey. Celui-ci souligne le lien entre celui-ci et l'appartenance au groupe social, puisque sans moyen de paiement, il devient difficile de se mouvoir dans une société.
4. La Soft Law.
Nous parlons de la Loi Bancaire. Par prétérition, nous y voyons le socle, le droit, le fondamental. Cela a été souligné explicitement par Charles Juillet : « seule la loi peut trancher, pas le juge qui n’intervient que ponctuellement ».
Mais l'évolution du droit bancaire nous éloigne de ce respect traditionnel dû à la loi dans un droit légicentré. En effet, le droit semble aspiré tout entier par un droit de l'Union européenne qui coule sur la France alors même que l'encre de ses brouillons n'est pas sèche. Par dessous, ce qui compte, ce sont les « positions » prises par les régulateurs sous forme de communiqués publiés sur les sites Internet.
Ordinateur, connexion, site Internet des régulateurs et "droit souple", voilà l'avenir tel que Muriel Cohen-Branche l’a visé. A nous aussi, il faut beaucoup de souplesse, pour comprendre qu'il faut suivre à la ligne des communiqués qui se présentent comme non-contraignants et produisent des dispositions de textes communautaires qui ne sont pourtant que des projets. Les banques, fines mouches, ont depuis longtemps compris qu'il y a là des obligations et, par exemple, ont intégré les normes de Bâle III dont seuls quelques érudits continuent à dire qu'elles ne seront obligatoires qu'une fois insérées dans un "paquet", joli vocable", communautaire.
L'obligatoire est ce qui "fait effet" et les anglais ont sans doute raison de faire de l'enforcement une branche du droit à part entière. Ainsi, dans un système gouverné par un souci d'efficacité des "outils" juridiques dirigés vers la satisfaction des fins recherchés par les législateurs et les régulateurs, chacun peut devenir puissant s'il est apte à "faire effet", y compris vis-à-vis de lui-même.
C'est l'enjeu des chartes par lesquelles les banques affirment tenir aux dents leur propre puissance. Elles le font aussi sous la pression des associations, lesquelles sont très actives, comme le montre Nicolas Mathey à propos de l'effectivité du "droit au compte". La création par la Loi Bancaire de 1984 d'un Observatoire de l'inclusion bancaire a pu paraître à l'époque de peu d'importance mais se développe aujourd'hui comme une nouvelle façon de faire la norme.
Ainsi, la Loi Bancaire ne vise pas en tant que telle la notion très nouvelle, voire étrangère, d' "inclusion bancaire". Elle ne le fait qu'en créant un "Observatoire de l'inclusion bancaire", c'est-à-dire quelque chose qui relève de la Soft Law et sur lequel on ne s'est que peu arrêté.
Mais "l'inclusion bancaire" renvoie à l'idée que toutes les personnes qui ont un compte forment une communauté, que celui qui n'en a pas est un "exclu". Que celui qui a un compte entre dans le groupe social, et que celui qui n'a pas de compte est exclu de ce groupe social.
A contrario, si l'on veut lutter contre l'exclusion sociale, alors pour faire rencontrer quelqu'un dans le groupe social dont il est exclu, l'une des choses à faire est de lui ouvrir un compte puisqu'il y a une transitivité entre "l'inclusion bancaire" et "l'inclusion sociale", reflet du fait social dommageable qu'est l'exclusion sociale et l'exclusion bancaire. Le lien négatif de fait entre le deux a conduit le Législateur de 1984 à concevoir l'inclusion bancaire comme moyen de droit de lutter contre l'exclusion sociale. Ainsi est né "le droit au compte" et son fondement en Soft Law : une politique publique dont la charge est mise sur les banque.
Dès lors, par ce droit souple très vivement encouragé par le Conseil d'Etat, l'Etat va conduire à repenser les rapports entre les banques et leurs clients en termes de droits subjectifs. Ainsi, les droits subjectifs, non seulement le "droit au compte" mais ce qui va devenir le "droit au crédit" décrit par Dominique Legeais, vont forcer les contrats, qui deviendront l'outil de concrétisation des droits subjectifs conférés par la loi.
Ainsi l'évolution du droit bancaire vers un droit de plus en plus tourné vers la régulation va comprimer à chaque fois davantage le droit classique des contrats, non seulement par souci de l'intérêt du secteur mais encore pour faire place à des droits subjectifs propres.
En effet, en droit de la régulation, un contrat peut être défini comme l’outil de concrétisation d’un droit subjectif conféré à une personne par le législateur, notamment un droit d’accès à une infrastructure essentielle. Cela est acquis pour les contrats d’accès au réseau de transport, qui concrétise un droit subjectif d’accès.
Mais lorsqu’un « droit au compte » est évoqué, qui se concrétise par un contrat de compte entre la banque et la personne « bien-aimée » par le législateur parce qu'il s'agit d'une « personne fragile », ce n’est plus un contrat tel que traditionnellement conçu qui est visé par le droit ,ce n'est plus qu'un outil de concrétisation d’un droit subjectif dont le client est titulaire actif et dont la banque devient titulaire passif.
Plus encore, si l’on suit la démonstration de Dominique Legeais, comme il semble que le droit, et le législateur y vont tout droit …, est en train se s'établir « un droit au crédit" au bénéfice des « opérateurs fragiles » parce que le législateur les aime bien (les PME), alors le contrat de crédit ne serait que la concrétisation d’un droit subjectif, opposable à la banque. Ainsi, par exemple, le refus devra être justifiée ….
Il demeure que même en massacrant le droit des contrats, l’articulation ne se fait pas aussi aisément, ni maintenant, ni à l’avenir. On peut en effet tout à fait concevoir une nouvelle construction avec les éléments du droit, les mêmes particuliers faisant les nouveaux ensembles. Encore faut-il que pour qu'il y a une nouvelle articulation entre la logique traditionnelle conservée par la Loi Bancaire de 1984, à base de droit des contrats et la logique européenne dont l'année 2014 sera l'année de naissance, à base de droit des marchés financiers, nous disposions des conditions requises : des finalités claires et des définitions arrêtées.
II. LES CONDITIONS DE L’ARTICULATION
Pour arriver à poser les conditions de l’articulation, il faut satisfaire deux nécessités. Tout d’abord, il faut poser les finalités (1). Ensuite, il faut poser les définitions (2).
Or, nous sommes très loin du compte …
1. La nécessité de fixer les finalités
Charles Juillet souligne qu’en matière de cautionnement, l’on ne peut aujourd'hui rien anticiper, voire rien comprendre, parce qu’on ne distingue pas les finalités les mécanismes exigés par le législateur en la matière, les textes techniques se télescopant, les finalités poursuivies par le législateur dans un texte ou dans l’autre demeurant inconnues, voire contradictoires.
Certes, du fait de l'article 4 du Code civil, ce sera le juge qui décidera ce qu'il en est, notamment de la portée des violations des exigences en matières de mention manuscrites, mais l'on ne sait plus si l'on peut encore soutenir qu'il s'agit d'un formalisme de protection ou d'une mesure d'information pure et simple, dont la mention n'est que la preuve.
Or, si le droit bancaire doit emprunter de plus en plus au droit de la régulation bancaire, ne l'excluons pas..., cette indétermination des finalités est très préoccupante. En effet, le droit de la régulation est téléologique
Le droit de la régulation place la normativité dans les fins qu'il poursuit et développe un souci d'effectivité avant que toute disposition ou mécanisme, contraignant, incitatif, etc., aboutise à la concrétisation des fins. Ainsi, "la fin justifie les moyens" et le droit ne devient "positifs" que par sa réussite, c'est-à-dire l' "implémentation" des résultats escomptés. L'efficacité et l'effectivité font alliance.
Une loi si bien faite soit-elle qui ne produit pas les effets économiques et financiers que l'on attend d'elle est une loi "ratée". Ainsi, Dominique Legeais signale la déception causée par la Loi Bancaire qui n’a su rendre attractif le mécanisme Dailly, les réformes successive n'ayant pas plus pu faire disparaître la plaie française du crédit interentreprise.
En effet, dans un système de régulation, la seule chose qui importe, c’est la satisfaction effective de finalités efficaces sur l’économie dans les projets politiques que le législateur a à propos de celle-ci. Il est donc essentiel de connaître préalablement la fin poursuivrie et les économistes de la régulation précise que le législateur ne doit poursuivre qu'un seul but. Car s'il n'exprime pas le but qu'il poursuit ou qu'il en indique plusieurs, alors de fait il donne tout pouvoir au Régulateur, de fait il instaure un régulateur discrétionnaire.
Pourtant, on ne connaît guère les fins de la régulation bancaire, et plus cela va moins on les discerne …
En effet, pour la Commission européenne, tel qu'on peut le déduire des projet et des discours du Commissaire en charge du Marché intérieur, la régulation bancaire a pour fin la prévention et la gestion du risque systémique bancaire, afin de préserver le système financier.Cela implique, et la conséquence est de taille, que le droit bancaire va se dissoudre dans le droit financier …
Mais la loi du 26 juillet 2013 sur la séparation et la régulation bancaire a réaffirmé fortement le « droit au compte » que Nicolas Mathey montre la finalité sociale et qui n'a pas de rapport avec le risque systémique, l’accès au compte à chacun ne concourant en rien à la préservation du risque systémique.
Plus encore, la loi du 26 juillet 2013 met en avant deux finalité, non seulement la préservation du système financier contre le risque systémique mais encore la possibilité pour les banques d'assurer leur rôle de financement de l’économie. Le "droit au compte" étant conçu au bénéfice des "personnes fragiles", il s'agit là d'une troisième finalité. l'ACPR a été ainsi dessiné en 2013 comme un régulateur quasi-discrétionnaire.
Ainsi, l'évolution de la législation bancaire ne serait pas vers un droit de la consommation, comme peut l'être la loi n’est pas du droit de la Dodd-Frank aux Etats-Unis, mais un droit de protection sociale. Si le troisième but, retenu par la Loi Bancaire de 1984, amplifié par la loi de régulation de 2013, est bien celui-ci, alors, le compte est un « bien commun ». Si l'on estime que l'accès au compte n'est lui-même d'un droit-média pour avoir accès à des moyens de paiement qui permettent à la personne de demeurer "incluse" dans le groupe social, alors la Loi Bancaire est une loi exprimant un choix politique.
S'il s'agit d'un choix politique, parce qu'il ne s'agit pas que d'un souci consumériste pour ceux qui sont déjà dans le système bancaire et financier alors la qualification juridique du rapport entre la banque et son client change et notamment par rapport au droit de la concurrence car celui-ci régit sans partage les relations entre l'offre et la demande, mais pas l'organisation d'accès à un bien commun, voulu par le Politique.
Il est remarquable que ce ne soit pas la loi elle-même qui pose la finalité sociale, mais qu’elle le fasse d’une façon détournée, par la dénomination de l’Observatoire sur « l’Inclusion bancaire ». L’on va considérer que par cet intitulé, la loi a posé implicitement mais nécessairement la finalité.
Dès lors, tout d’abord, si l’on reprend les qualifications classiques, cela correspond à une mission de service public, que l’Etat organise et impose, au titre des biens publics (selon la théorie économique des biens publics). Cela implique alors que les banques sont en double charge d’un service public, du fait de la Loi Bancaire de 1984, amplifiée par les lois suivantes. Tout d'abord l'accès de tous à un compte, c'est-à-dire un service public social, et ensuite une obligation de financer l'économie, un service public économique et financier. La création de la Banque Publique d'Investissement (B.P.I.) a été le signe de cela. On comprend que cela soit assez difficile à admettre de la part de la direction de la concurrence de la Commission européenne.
Mais à l'avenir, les banques ont-elles vocation à être de plus en plus « paternalistes », incitées en ce sens par un législateur dont un instrument préféré est le Livret A, dont nous devons sans cesse justifié la raison d'être et les faveurs fiscales devant la Commission européenne ?
Dominique Legeais montre que si cette dimension d’incitation de crédit aux entreprises est devenue prégnante et si la Loi Bancaire a été un point marquant en accroissant l’efficacité du bordereau Dailly, il souligne qu'en 1984 l’on considère que les entreprises pouvaient supporter le refus de crédit ou endurer la mort par faillite faute de l'avoir obtenu.
Aujourd'hui, l’idée d’un « droit au crédit » commence à émerger. Un paternalisme commercial se répand, avec l’Etat comme protecteur des entreprises et les banques toujours plus proches d’une définition d'elles-même comme outil de service public alors que le droit de la concurrence leur projette de plus en plus les unes contre les autres.
Est-ce que le droit de la concurrence va admettre cela ? Surtout si les banques sollicitent de l'Etat des aides pour « avaler » ces clients qui ne rapportent rien, tandis que l’Autorité de la concurrence a sanctionner le système autorégulé des commissions interbancaire concernant le traitement des images-chèques qui visaient à rééquilibrer les coûts entre banques traitant beaucoup de chèques (banque des pauvres, comme la Banque postale ou la BPCE) et celles n’en traitant pas beaucoup (banques des riches).
Nous voilà dans une pure problématique de service public, d'application des critère dits Altmark en matière d'aides d'Etat et d'appréciation des services publics, tels que définis aujourd'hui par leurs missions.
2. La nécessité de fixer les définitions
La première définition nécessaire ramène à une question difficile : qu’est-ce qu’une banque ?
Richard Routier rappelle que la banque est l’entreprise qui ouvre des comptes et qui assure des prestations sur les fonds qui y sont déposés, avant de les restituer à son dépositaire à sa demande soit ponctuellement soit définitivement à la clôture du compte.
Dès lors, la banque est un prestataire de services.
Le Doyen Jean Stoufflet montre l’importance de la nouvelle catégorie de « PSB » (Prestataire de Service Bancaire). Ainsi, comme en droit de la concurrence, lequel définit l’entreprise comme l’entité qui a une activité économique sur un marché, c’est l’activité qui définit l’organe.
Le droit bancaire n'est plus "le droit des banques" mais de droit des prestataires de services bancaires. Dans cette définition fonctionnelle, caractéristique du droit économique, l'essentiel est donc dans le service rendu. Dès qu'on s'éloigne du critère organique pour aller vers le critère fonctionnel, la question du monopole se pose et Jean Stoufflet évoque les prochaines tempêtes et incertitudes juridiques qui vont souffler sur les financements "coopératifs" qui se mettent en place sur Internet, car le Kiss Kiss Bank Bank peut se retourner contre ses Gentils Organisateurs...
D'ailleurs, ces P.S.A. vont tout de suite penser à leurs cousins germains, les P.S.I., les prestataires de services d'investissement. Ceux-là relèvent certes du droit financier. Mais l’on voit que les services bancaires et les services financiers deviennent très proches, sont souvent conçus par les mêmes entreprises, se combinent dans une même "industrie" et auraient tendance à fusionner dans une même branche du droit. Ainsi, la définition de la branche du droit par l’organe disparaît au profit d’une définition par l’activité : la production de service consistant à proposer des produits matériels, qui rapportent immédiatement au P.S.A. qui le fournit et peut-être plus tard à celui-ci qui le prend, si le vent des marchés financiers lui est favorable, si le Libor rend un oracle favorable, etc.
Cette appréhension du droit bancaire l’entreprise uniquement par l’activité, correspond à la définition naturellement adoptée par l’Autorité de concurrence, pour laquelle tout est service.
Cela est notamment vrai lorsque la prestation de la banque consiste à délivrer des moyens de paiement, que sont les cartes bancaires. Cela a donné lieu à de multiples contentieux français, européens et nord-américains sanctionnant les banques pour ententes, les Autorités de concurrence montrant qu'il s'agissait de marchés autonomes et bifaces sur lesquels les banques ne pouvaient prétendre appliquer les mêmes règles que sur le secteur bancaire.
A l'avenir, l'articulation du droit de la concurrence et du droit bancaire se jouera sur la question de savoir de quelle façon et jusqu'à quel point les banques sont des entreprises ordinaires, quelle que soit la violence de la concurrence qu'elles se livrent entre elle.
En effet, même si elles sont en compétition, et en cela sont "ordinaires", leur monopole peut demeurer justifié par le risque systémique et la nécessité de les lester d'une la supervision prudentielle. Si l’on doit aller plus loin dans le sens d'un carcan prudentiel, et l’on a tendance à y aller comme le montre la construction de l'Union bancaire, notamment par les trois réglements communautaires des 24 novembre 2010, avec un durcissement de la supervision prudentielle et les exigences ex ante prudentielle, alors le monopole bancaire devrait être préservé.
Certes, les évolutions techniques rendent plus difficile qu'avant le maintien du monopole bancaire mais est posée ici la seule question de sa raison d'être, même si la banque est une entreprise dont l'activité est une activité ordinaire de services, en compétition avec d'autres. Il faut mais il suffit qu'existe un risque systémique pour que le monopole soit légitime. Ainsi à l'avenir l'opposition entre concurrence et régulation va apparaître plus nettement encore.
En outre, si l'on affirme que la banque est un prestataire de services comme un autre, alors sa finalité est la même que celle des autres entreprises : se développer et distribuer des bénéfices à ses associés du fait du contrat d'intérêt commun qui la fonde. C'est la base du mouvement Law and Finance.
Mais la loi du 26 juillet 2013 sur la séparation et la régulation bancaire ne dit pas cela. Elle assigne à la banque une fonction spécifique : financer l'économie réelle. Cela signifie que, de par la loi, la banque doit utiliser sa puissance financière pour la transformer en puissance économique. On décrit souvent l'industrie bancaire comme une "industrie de transformation", comme une transformation de prêts de court terme en prêts à long terme. Cette description serait devenue une prescription juridique, sur ordre du Législateur en 2013.
Cette définition de la banque comme dispensatrice de crédit à l'économie réelle, soit par soutien à la demande (crédit à la consommation), soit par soutien à l'offre (crédit aux entreprises) se conçoit d'autant plus que Richard Routier explique la différence entre un compte de dépôt et un compte-courant, puisque ce dernier est un compte par lequel la banque accorde le plus souvent un crédit au client par le biais du découvert, exerçant alors dans la relation bilatérale elle-même un crédit, sans qu’il soit besoin d’évoquer les relations de crédit qu’elle noue par ailleurs à l’égard des tiers.
Si l’on définit ainsi la banque, alors elle est en charge d’une mission de service public, politiquement définie, avec les marges de discrétion dont l’Etat-membre dispose par rapport à’ l'Union européenne.
Par ailleurs, si l’on définit ainsi la Banque, la définissant par sa puissance à prêter grâce aux dépôts qui lui sont un temps laissés, alors la Banque est par nature autre chose qu’une compagnie d’assurance. Cela paraît une tautologie. Cela paraît évident. La Loi Bancaire ne porte que sur les banques Cela va de soi et il paraît à première vue stupide de le mentionner, car il parait que la Banque, naturel et exclusif objet du droit bancaire, paraît gravé dans le marbre.
Mais cela est-il bien certain ?
En effet, si la banque est un prestataire de service, qui notamment fabrique des produits financiers et fait principalement ses profits par des activités d’intermédiation de marchés, même si ce type d’activité est désormais pratiquées par une filiale distincte, alors la compagnie d’assurance a exactement la même activité lorsqu’elle propose ce produit d’assurance-vie, produit financier très courant.
L’Union bancaire en tire toute conséquence, en mettant en place un comité joint entre l' ESMA, l'EB et l' EIOPA, comité qui travaille sur les textes qui nous régiront demain mais dont les banques internalisent déjà des principes qui n'ont de souples que le nom.
En outre, est-ce bien sûr que la banque soit un prestataire de service ? N’est-elle pas plutôt un fabricant de produits, qu’elle met sur le marché, qu’elle vend à l’encan à travers de si nombreuses publicités. N'est-ce pas plutôt des produits que des services qui sont vendus ?
En effet, Muriel Cohen-Branche décrit les produits financiers incompréhensibles proposés par les banques. C'est là leur moindre défaut car nous savons désormais que beaucoup étaient toxiques et l'avenir sera le temps des procès. C'est le droit des produits défectueux et des produits dangereux qui est en train de se construire. Le juge national et communautaire y tiendra en grande partie la plume.
Et c’est alors le droit de la consommation des produits dangereux qui apparaît. Certes, sous une forme spéciale, celle de la protection du consommateur de crédit, le crédit étant un bonbon que mange ceux qui aiment les gros bonhommes verts inimitables, mais c’est la même idée. D’autant plus que ce consommateur entraîne dans son engouement d’avalement de crédit un personnage que le législateur se représente comme « innocent » : la caution.
Comme l'explique Charles Juillet, la Loi Bancaire prend comme moyen de protection l’information de la caution. C’est un moyen libéral, Charles Juillet soulignant que « la caution doit prendre conscience »). Cela rejoint la conception mise en œuvre par la loi Dodd-Frank dans la protection de l’investisseur : la bonne caution est la caution informée ; le bon investisseur est l’investisseur informé. Comme nous sommes dans une perspective concrète, le contrat est dans un « temps continué » et c’est pourquoi l’information est annuelle, comme les investisseurs le sont régulièrement par les sociétés, à travers les documents comptables et sociaux de l’émetteur des titres dont ils sont titulaires.
Nous en revenons ainsi à la notion qui st au coeur des marchés financiers : l'information. Nous voilà bien sûr du secret. L'avenir dira comment jouera la dialectique entre la finance et la banque, entre le contrat et la protection du secteur, entre la volonté des personnes et les politiques publiques. Il est certain qu'aucun de ces termes ne se retirera, ils étaient présents dans la Loi Bancaire de 1984, le droit en a tiré les fils par la suite et l'écheveau continuera, en espérant que le droit communautaire n'oublie pas que la matière bancaire est composée aussi de droit, ce qui était d'évidence quand on lit la Loi de 1984, ce dont on vient à douter quand on lit les projet de l'Union européenne, ce qui sera alors rappelé à nos dépens par les juges, qui ont toujours le dernier mot.
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