Mise à jour : 5 septembre 2011 (Rédaction initiale : 30 novembre 2010 )

Enseignements : Les Grandes Questions du Droit, semestre 2010

Onzième cours Grandes Questions du Droit

par Marie-Anne Frison-Roche

La personne juridique est identifiée comme telle non seulement, comme nous l'avons vu, en tant qu'elle est apte à être responsable, mais encore en ce qu'elle a le pouvoir de s''engager. C'est pour cela que la liberté contractuelle a aujourd'hui rang constitutionnel.

Cette aptitude de la personne à s'engager, qui l'oblige, ce qui explique que le Code civil traite du contrat parmi les sources des obligations des personnes et non d'une façon absolument autonome, suppose que l'on revienne sur la définition même du contrat, avant d'étudier sa formation, puis son exécution.

La définition du contrat balance entre une conception subjective et une conception objective. Le Code civil, à travers l'article 1110, présente le contrat sur un mode subjectiff, puisqu'il le déffinitt comme un lien d'obligation entre des personnes qui s'obligent les unes par rapport aux autres. Dans une telle prévalence de la personne dans l'engagement, découlent deux conséquences.

Tout d'abord, la qualité de l'échange des consentements (l'offre et l'acceptation) et la pureté des volontés des personnes vont être l'objet principal des preuves requises pour la validité des contrats. Ainsi, les vices du consentements seront rédhibitoires, mais si les volontés sont libres et éclairées, alors le contrat est valide, même s'il est objectivement déséquilibré ou ineffficace.

En second lieu, le droit positif, non seulement les textes mais plus encore la jurisprudence influencée par une doctrine pétrie par la théorie de "l'autonomie de la volonté", va concentrer son attention et ses règles sur la formation du contrat, en accordant moins d'important à l'exécution de celui-ci.

Mais on peut aussi adopter une conception objective du contrat et y voir l'instrument neutre et préalable à une opération économique. Le droit économique voit appréhender le contrat davantage de cette façon. Il faut alors distinguer le contrat préalable à l'échange économique, notamment la vente ; c'est ainsi que le droit de la concurrence qui appréhende les marchés sur lesquelles les biens et services circulent par des contrats conçoit ceux-ci. Mais, poursuivant la distinction du professeur Paul Didier entre le "contrat-échange" et le "contrat-organisation", le contrat peut aussi être un moyen de construire une organisation économique. Dans le cas d'un groupe de contrats, cela permet d'organiser des chaînes économiques, plus ou moins intégrées, comme en matière économique. Plus encore, le contrat de société fonde la personne morale sociétaire, instrument par laquelle l'entreprise peut accéder au commerce juridique.

Dans cette conception objective, l'équilibre entre les prestation, la commutativité effective des obligations, devient une préoccupation première. La jurisprudence, notamment parce que le droit des contrats est aussi bien manié et conçue par la première chambre civile de la Cour de cassation que par la chambre commerciale de celle-ci, admet de plus en plus, de prendre en considération "l'économie du contrat", comme on le voit dans l'arrêt de la Chambre commerciale du 15 février 20009.

Dans une telle conception objective, en second lieu, et pour reprendre l'expression du doyen Carbonnier, le "centre de gravité" du contrat se déplace de la formation vers l'exécution, car ce sont les obligations en elles-mêmes et non plus tant la qualité des volontés fondatrices qui prévalent. Le cadre européen des contrats qui est en train de se construire, et que certains appelle le "Code civil européen" s'occupe avant tout des questions d'exécution des obligations et des responsabilités liées à l'inexécution. En effet, comme l'a démontré le professeur Philippe Rémy, si l'on analyse objectivement les règles, la responsabilité contractuelle n'est pas tant la sanction d'une faute (conception subjective) que une autre voie pour obtenir l'exécution par équivalent pécuniaire des obligations contractuelles (conception objective).

Si l'on reprend donc ce premier temps qu'est la formation du contrat, le droit exige que les volontés qui s'aliènent dans l'engagement aient une qualité sufffisante pour que la personne mesure son intérêt. C'est à cette condition que l'afffirmation classique "qui dit contractuel, dit juste" peut être exact", dès l'instant que la première expression de la liberté contractuelle est avant tout la liberté de ne pas contracter.

C'est pourquoi l'article 1111 du Code civil attache à l'erreur sur la subtance de la chose la nullité. Il s'agit d'une nullité relative, dont l'action se prescrit par 5 ans et qui ne peut être soulevée que par sa victime. Rapidement la jurisprudence étendit la notion d'erreur sur la substance à celle plus large et moderne d' "erreur sur les qualités substantielle". Une difficulté particulière est apparue concernant l'authenticité des tableaux, suivant que l'acheteur avait voulu ou non acheter un tableau du maître. C'est souvent le prix payé qui est une présomption de celà. Ainsi, l'arrêt Verrou de Fragonard  de la première Chambre civile du 24 mars 1987 précise qu'il faut que l'erreur sur l'authenticité entraîne la nullité si cette qualité est "entrée dans le champ contractuel".

Le Code civil attache également une nullité au dol, c'est-à-dire à l'erreur provoqué par la tromperie ou des stratagèmes. C'est l'objet de l'article 1116. Le dol n'est pas seulement une erreur aggravée et une plus forte protection de la partie qui commet l'erreur : la nullitté est une punition de l'auteur du dol (c'est pourquoi il ne peut être l'autre partie), le dol étant un "délit civil". Cet aspect disciplinaire justifia que la jurisprudence attache au silence la qualifiation de dol, ce qui est pourtant un raisonnement par analogie, donc extensif, sur un texte répressif, pour sanctionner les banques en matière de cautionnement, pour discipliner celles-ci. On peut citer par exemple l'arrêt de la première chambre civile du 13 mai 2003.

Le contrat comprend également deux élements objectifs, l'objet et la cause. L'objet doit exister, être déterminé ou déterminable et licite. En outre, il doit, selon les termes de l'article 1128 du Code civil, être "dans le commerce juridique". C'est ainsi que les personnes ne peuvent être vendues et que les contrats de travail ne concernent que la force de travail. La question de la marchandisation des personnes est de nouveau âprement discutée, non plus tant par risque de retour de l'esclavage (encore que la question de la prostitution, en elle-même licite, continue d'être discutée, car il est difficile de cerner les intérêts à protéger), mais parce que les progrès de la technique permettent l'utilisation des produits et des organes du corps humain. L'arrêt de la Première chambre civile du 16 septembre 2010, Our Body, a mis un point d'arrêt pour l'utlisation des cadavres "plastinés".

La cause, dont il est question d'en faire disparaître la notion pour la remplacer la notion d'intérêt, dans ce qui serait une réforme complète du droit des obligations dans le Code civil français, avant que le droit de l'Union européen ait fondu sur nos principes directeurs, a un lien direct avec l'objet. En effet, dans un contrat synallagmatique, l'un est le miroir de l'autre : l'objet de l'obligation d'une partie est la cause de l'obligation de l'autre partie.

Indépendamment de cette exigence d'une cause objective, réelle et licite, la jurisprudence considère aussi la cause subjective, c'est-à-dire la raison pour laquelle la partie a contracté. A ce titre, les motifs illicites ou immoraux sont sanctionnés. Cependant, on peut aujourd'hui douter de la volonté de la Cour de cassation de contrôler la moralité des raisons pour lesquelles une personne contracte : l'arrêt Galopin, le bien-nommé, de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation du 29 octobre 2004, a posé que n'est pas nulle une donation consentie à l'occasion (voire en échange) d'une relation adultère. La doctrine universitaire a été très critique.

Aujourd'hui, la jurisprudence se développe de plus en plus concernant l'exécution des contrats. On se demande tout d'abord quoi exécuter. La doctrine classique, les professeurs Mazeaud, distinguèrent les obligations de résultat et les obligations de moyens. Mais aujourd'hui, les variations sont si fines qu'il s'agit davantage d'une gradation.

De la même façon, il était traditionnelleement aisé de déterminer qui devait exécuter. En effet, c'est la partie qui doit exécuter l'obligation, car, parce qu'elle y a volontairement consentiee, le contrat constitue pour elle une "petite loi", pour reprendre l'expression du doyen Carbonnier. C'est l'article 1134, al.1 du Code civil qui pose le principe de la force obligation du contrat, sur lequel tout le droit du contrat repose puisqu'il en fait un engagement, dont l'autre partie pourra demander l'exécution en justice. L'affirmation est tautologique car un contrat qui ne serait pas un engagement n'aurait aucun intérêt pour le créancier contractuel, notamment dans une perspective économique.

Cependant, parce que le principe de liberté des personnes demeure premier, l'exécution forcée qu'ordonnera le juge ne se fera en principe que par équivalent pécuniaire, c'est-à-dire par des dommages et intérêts, selon les termes de l'article 1142 du Code civil. Cela est concrètement identique si c'est une obligation concernant une somme d'argent, mais pas si c'est une obligation de faire. C'est pourquoi la jurisprudence a assoupli, voire de fait inversé la règle, en posant que l'obligation forcée pouvait être en nature, sauf si l'obligation était strictement personnelle, par exemple en cas de prestation artistique.

A l'inverse, par un effet de miroir entre l'article 1134, al.1 et l'article 1165 du Code civil qui prévoit l'effet relatif du contrat, les tiers ne sont pas contraints par un contrat, tout simplement parce qu'ils n'y ont pas consentis. La simplicité et l'évidence de la règle est de plus en plus mise à mal. En effet, le phénomène des chaînes de contrats et des groupes de contrats permeet à un tiers à un contrat situé à un moment antérieur dans la chaîne de se prévaloir d'une responsabilité non pas de type délictuel mais de type contractuel. Dans une série de décisions nuancées et complexes, il s'agit avant tout de protéger les victimes. Nous retrouvons ici le mouvement qui caractérise par ailleurs le droit général de la responsabilité, qui oblique vers un système de garantie.

Les sanctions des vices de formation ou d'exécution sont la nullité lorsque la formation est viciée et la résolution lorsque l'exécution est concernée. En ce qui concerne la nullité, les textes ont distingué la nullité relative et la nullité absolue. C'est la jurisprudence qui a modifié le champ de la nullité, soit en restreignant, par exemple à la seule clause viciée, soit en annulant le contrat mais en laissant survivre la clause (clause compromissoire). En outre, notamment lorsqu'il y a un groupe de contrat, s'il y a une indivisibilité entre des contrats (sous-contrat, contrat de vente/contrat de prête, etc., le juge peut prononcer des nullités réflexes.

Enfin, les responsabilités contractuelles est engagées en cas de mauvaise exécution. La responsabilité sera de nature délictuelle si le vice de formation anéantit le contrat. Des clauses limitatives de responsabilité tendent à être systématiquement iinsérées dans les contrats pour contrer le mécanisme protecteur de la victime. C'est pourquoi la première chambre de la Cour de cassation est intervenue en 1996 dans la "saga Chronopost" pour écarter la clause lorsqu'il y inexécution d'une "obligation essentielle". Mais en juin 2010, l'arrêt Faurecia  de la chambre commerciale de la même Cour a reconnu l'effficacité de cette clause dès l'instant que les parties professionnelles ont négocié un contrat dans lequel elles ont conçu une répartie entre elles une répartition des risques économiques. On retrouve ici la balance entre la conception subjective et la conception objective du contrat.

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