12 octobre 2010

Base Documentaire : Doctrine

MANENT, Pierre

Du souverain juge au juge souverain

Référence complète : MANENT, Pierre, Du souverain juge au juge souverain, in TERRE, François (dir.), Regards sur le droit, Dalloz, 2010, p.147-154.

 

L'auteur analyse la façon dont en France on est passé d'un système où "le juge est subordonné au souverain politique à un dispositif dans lequel le juge attire de plus en plus à lui la souveraineté.".

L'auteur définit la "tâche du politique" comme celle de maîtriser le jeud entre l'intérieur et l'extérieur, entre l'intérieur du corps politique et l'extérieur du corps politique (ce qui peut être les relations entres les différents corps politiques).

La Grèce classique se caractérisa par l'idée d'autarcie. L'Europe classique par l'idée de souveraineté. L'autarcie vise tous les biens dont l'homme a besoin pour mener une vie humaine dans les limite de la cité, la loi de la cité devant la loi de toutes les actions possibles dans la cité.

La notion de souveraineté est plus étroite : la souveraineté vise la loi supérieure qui peut laisser prospérer les lois inférieures, ou non, à volonté. Elle peut "couper", comme au jeu.

Ainsi, la souveraineté laisse l'espace de la liberté pour chacun, notamment dans la République libérale, sans régler l'action ni lui donner de substance mais en lui donnant des conditions d'exercice (par exemple en matière d'égalité, qui s'exprime par "l'égalité des chances"). Ainsi, la loi libérale est par nature indéterminée.

Pour constituer une telle souveraineté l'Europe eut recours à l'Etat qui s'institua en se mesurant à Dieu, le roi d'Angleterre devenant chef de l'église et Louis XIV étant tenté de convoquer un concile. Ainsi, le souverain a le pouvoir de concevoir à partir de rien l'homme comme un être qui a des droits, l'Etat étant une immense invention abstraite.

Le XXième a discrédité la nation et la souveraineté. Par une sorte d'instinct, les citoyens se regroupent autour de ce qui reste : les droits et "nous vivons donc aujourd'hui exclusivement selon le principe des droits de l'homme et sous la loi libérale".

Mais ce droit est très différent de ce qu'il fût dans le passé, celui de l'Etat souverain, parce qu'il ne s'agit pas d'un droit qui organise le corps politique mais d'un droit qui organise "tout corps possible".  "Il y a toujours une règle de droit applicable.".

Dès lors, "le droit n'a plus d'appui que sur le juge, ou plutôt ... le droit est suspendu au seul juge.", le juge jugeant alors au nom de la communauté la plus élargie possible, c'est-à-dire de l'humanité.

Dès lors, l'intérieur devient à la merci de l'extérieur, qui seul règne, le juge parlant au nom de tous, et ceux qui appartiennent à une communauté particulière ne pouvant qu'être humiliés. La nouvelle religion, la "religion de l'humanité" produit les excommunications.

Nous risquons de ce fait une "tyrannie judiciaire" car, au nom des droits de l'homme, nous devons rendre compte de nos pensées.

L'Europe en est arrivé là, car le pouvoir judiciaire que l'on croyait modéré parce qu'il est d'origine aristocratique, est le lieu de passions démocratiques, contre lesquelles Montesquieu mettait en garde. L'âge des souverainetés étant définitivement passé en Europe, celles-ci ne peuvent faire contre-poids, face à cette nouvelle "souveraineté sans territoire, détachée de tout corps politique concret".

En France, la place naturelle des juge est certes une place d'honneur mais ce n'est pas la première place : ils doivent rester subordonné au souverain politique et non pas prétendre parler au nom d'une humanité inconstituée.

 

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