Mise à jour : 14 septembre 2012 (Rédaction initiale : 14 septembre 2012 )

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Le livre de Richard Millet, "Eloge littéraire d'Anders Breivik", pose la question du rapport entre l'ordre normatif du droit et l'ordre normatif de la littérature

par Marie-Anne Frison-Roche

Le Journal "Le Monde" a publié le 13 septembre 2012 un article d'Annie Ernaux, à propos du livre de Richard Millet "Eloge littéraire d'Anders Breivik". Elle affirme que "au prétexte d'examiner, sous le seul angle de leur angle de leur beauté littéraires les actes" de l'assasin, cet auteur ne veut pas d'une autre jugement que littéraire. En cela, Annie Ernaux, et les dizaines d'écrivains ou "intellectuels" qui signent à la suite de son article, estiment que c'est "dédouaner facilement la responsabilité d'un écrivaint". Si l'on juridicise davantage la perspective, on peut faire l'analogie avec le rapport entre le droit et l'historien. Celui-ci doit tout de même rendre des comptes. Même dans l'ordre de la littérature, Céline fût condamné.

 

Annie Ernaux affirme qu'elle ne se laissera "pas non plus intimider par ceux qui brandissent sans arrêt, en un réflexe pavlovien, la liberté d'expression et le droit des écrivains à tout dire  – on attend donc un "Eloge littéraire de Marc Dutroux" –, hurlant à la censure pour bâillonner celui ou celle qui, après avoir  examiné de quoi il retourne dans cet opuscule, ose – quelle audace ! – s'interroger sur les responsabilités de son auteur au sein d'une maison d'édition.".

Annie Ernaux continue : "Balayons d'abord la prétendue ironie du  titre que, selon l'auteur, les lecteurs, bouchés à l'émeri, n'ont pas perçue. Et pour cause, elle n'y est pas et on en chercherait en vain une once dans la suite du texte. On soupçonne l'adjectif "littéraire" de n'être là que pour la douane – la loi –, comme la précaution liminaire, réitérée plus loin par deux fois, dans laquelle Richard Millet déclare ne pa approuver les actes d'Anders Breivik. Et pour se mettre solidement à couvert, il ne craint pas d'user d'un sophisme tellement aveuglant qu'il a ébloui ses défenseurs : 1. La perfection et le Mal ont toujours à voir avec la littérature ; 2. Anders Breivik, par son crime, a porté le Mal à sa perfection ; 3. Donc, je me pencherai sur "la dimension littéraire" de son crime. Inattaquable. Saluez l'artiste qui se flatte d'isoler et d'extraire d'un criminel de masse sa seule "dimension littéraire".

 

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Ces propos sont très violents et sans doute écrits sans grande connaissance du droit applicable.

S'il s'avère que l'ouvrage fait l'éloge d'un ouvrage, même via le maniement de la langue, qui lui-même constitue une incitation à la haine raciale, alors l'ouvrage constitue une infraction dont l'auteur devra répondre devant les tribunaux répressifs.

Par ailleurs, la forme étant indissociable du fond, les juges (c'est l'avantage de la casuistique) vont apprécier dans quelle mesure en appréciant la forme, l'ouvrage de Richard Millet en réalité touchait le fond de l'ouvrage de Breivik.

C'est une question d'appréciation des faits (les juges sont souverains pour y procéder) et c'est une question de qualification : c'est leur métier d'y procéder.

Ainsi, lorsque les juges eurent à connaître du "cas Céline", ils estimèrent que "Bagatelle pour un massacre" devait être censuré, puis lorsqu'ils eurent à apprécier "D'un château à l'autre" ils ne le firent pas.

Cela dépend des cas.

C'est la prudence du droit et des juges que de procéder ainsi.

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