10 mars 2018

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Le discours du "Don" conduit au libéralisme sans "tabou" et éloigne de la solidarité, solidarité humaine dont nous avons absolument besoin

par Marie-Anne Frison-Roche

Sylviane Agacinski a expliqué sur France-Culture le 9 mars 2018 son livre Le tiers-corps. Réflexion sur le don d'organes.

Le livre est remarquable ; ce entretien l'est tout autant.

Sylviane Agacinski y explique pourquoi le "discours du don" et le "discours de l'éthique" conduisent via la technique juridique du "consentement" au marché, et éloignent dans le même temps du mécanisme dont nous aurions besoin : la solidarité.
Cela est vrai tout aussi bien pour la GPA que pour le prélèvement d'organes sur les cadavres

L'on peut rapprocher cette démonstration d'un autre auteur, Alain Supiot.

En effet, Sylviane Agacinski montre parfaitement que le "discours du don" qui pave à la fois les cessions de femmes et d'enfants (sous le sigle GPA) et les cessions d'organes (pour "gérer la pénurie") mène à des techniques de marché, dont il est lui-même une technique (le "contre-don").

Sylviane Agacinski montre parfaitement que sur les deux sujets le Droit est utilisé d'une façon perverse à travers une notion : le "consentement". Qu'il s'agisse de la GPA (il suffirait que la victime "consente" et ensuite on "régule") ou du prélèvement des organes sur les cadavres (on a mis en place en France la notion de "consentement présumé" qu'elle conteste radicalement et à juste titre, car si l'on doit faire un lien entre la volonté et le consentement - et comment ne pas le faire ? sauf à couper ce lien et aller directement dans des techniques de pur marché).

Sylviane Agacinski souligne encore que plus l'on va dans le discours du don et plus on va sur le chemin du pur marché. Et qu'ainsi on s'éloigne de la solidarité.

Or, comment ne pas penser à Alain Supiot ? (elle se réfère d'ailleurs pendant l'entretien au mécanisme de la sécurité sociale, auquel il a consacré une année dans ses cours au Collège de France).

En effet, Alain Supiot a publié un ouvrage sur la notion juridique de "solidarité"

Il demande à ce que le Droit français fasse davantage de place à la notion de "solidarité", que la notion de "fraternité", qui a valeur constitutionnelle (Liberté, Égalité, Fraternité) ait un sens juridique. Il constate que pour l'instant cette notion non seulement n'a que peu de place mais qu'elle régresse.

Quand on écoute Sylviane Agacinski, l'on comprend que la perversion de la notion de "don", que les industries de l'humain ne cessent de mettre en avant, de louer et de valoriser, explique pourquoi la notion de solidarité n'a pour l'instant pas d'avenir.

Il est vrai qu'il paraît contre-intuitif de dire Non au don ... C'est la base de la stratégie des entreprises de l'humain qui en même temps qu'elles diffusent des photos d'enfants souriants et innocents issus de GPA montrent des femmes souriants et "consentantes" qui disent : "je suis si heureuse d'avoir fait un don magnifique", les entreprises affirmant que la solution est donc la "GPA éthique. Et personne ne parle jamais de "solidarité", puisque l'éthique des affaire (par exemple une limitation des prix, une juste répartition du chiffre d'affaire entre l'agence et la "gestatrice", etc.) a remplacé ce souci-là. 

Le marché de l'humain est construit sur ce "discours du don" (oseriez-vous être contre le don ?), adossé à un discours de l'éthique (oseriez-vous être contre l'éthique?), alors qu'il s'agit en réalité d'une Route de la Violence, puisque la GPA est une violence faite aux femmes et que notre devoir est de la refuser. Mais dans l'enjeu financier colossal qui est la construction, toutes les forces sont mobilisées : placer l'opinion sur la formulation de question qui contiennent déjà notre perte et nous aveuglent sur la violence dont nous sommes nous-mêmes les auteurs.

 

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Lire une présentation de l'ouvrage de Sylviane Agacinski : Le tiers-corps (2018).

Écouter l'entretien de Sylviane Agacinski et lire un résumé de son entretien (2018).

Lire une présentation de l'ouvrage d'Alain Supiot : La solidarité. Enquête sur un principe juridique (2015)

Lire un article, bilingue, sur La Route de la Violence, 2018.

 

 

 

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