Mise à jour : 16 novembre 2010 (Rédaction initiale : 27 octobre 2010 )

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Le Conseil constitutionnel rend à César ce qui est à César : il estime que la question de l'adoption d'enfant par un couple homosexuel relève du pouvoir du Législateur

par Marie-Anne Frison-Roche

Décision du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2010

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 6 octobre 2010, a déclaré conforme l'interprétation restrictive que la Cour de cassation a donnée de façon constante de l'article 365 du Code civil qui permet à celui qui vit avec le parent biologique d'adopter l'enfant de celui-ci, en limitant cette possibilité aux seuls couples mariés. La Cour cherche de fait à exclure l'adoption dans un couple homosexuel, en tant qu'elle estime qu'un tel environnement est contraire à l'intérêt de l'enfant. Le Conseil constitutionnel, posant que l'interprétation de la loi est totalement intégrée dans la loi elle-même, ce qui montre bien que la jurisprudence est source de droit, estime en outre qu'il s'agit là d'une question politique et qu'il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du Législateur. En cela, le Conseil emprunte à la sagesse du juge, se gardant de toute morale officielle.

La rationalité populaire dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions et le droit reprend l’idée dans sa sagesse et sa prudence en affirmant avec retenue que "il ne sonde ni les reins ni les cœurs", ce qui signifie que le droit ne se laisse pas emporter par les sentiments ni les passions et n'en demande pas comptes aux hommes.

En outre, peut-être contrairement aux Etats-Unis ou le système repose sur une Cour suprême qui est ouvertement un organe politique opérant des choix de société (voir Richard Posner, How Judges think, Harvard University Press, 2008, p.269 et s.), le juge français, fut-il suprême, laisse cette tâche-là au Parlement. En cela, la décision du 6 octobre 2010 du Conseil constitutionnel, rendue sur question prioritaire de constitutionnalité, est exemplaire.

En effet, la question prioritaire de constitutionnalité rend le Conseil constitutionnel quasiment tout puissant puisque même les lois les plus anciennes deviennent par cette procédure susceptibles de contrôle (voir sur le blog, billet du 19 août 2010). En l’espèce, c’est le Code civil lui-même qui est attaqué ! et l’on peut penser qu’à juste titre tous les articles fondamentaux de toutes les branches du droit passeront à la paille de fer du contrôle de constitutionnalité.

L’article 365 du Code civil pose que "l’adoptant est seul investi à l’égard de l’adopté de tous les droits d’autorité parentale, ..., à moins qu’il ne soit conjoint du ou de la mère de l’adopté.".

Le Conseil constitutionnel ne se contente de la mention du texte de la loi, il se réfère à l’interprétation constante qu’en donne la Cour de cassation, l’interprétation de la loi faisant donc corps avec celle-ci. Il faut donc une nouvelle fois que l’on cesse de nous dire que la jurisprudence ne serait pas source de droit, puisqu’il est manifeste que ce que dit le juge est sur le même plan normatif que ce que dit la loi. L’expression qu’en fait le Conseil constitutionnel par réalisme et par la représentation qu’il donne à voir des différents pouvoirs dans l’ordre juridique est tout à fait bienvenue.

Or, la Cour de cassation estime que "lorsque le père ou la mère biologique entend continuer à élever l’enfant", c’est-à-dire concrètement lorsqu'il ne l’abandonne pas, le transfert des droits d’autorité parentale qui résulterait de l’adoption de l’enfant par "le concubin ou le partenaire du parent biologique est contraire à l’intérêt de l’enfant.".

Juridiquement, la Cour de cassation admet donc l’adoption par le conjoint du parent biologique lorsque le couple est marié et le rejette lorsque le couple ne l’est pas. Dans cette simple lecture juridique, on ne comprend pas la discrimination, alors même que le principe d’égalité est aujourd’hui maître dans le droit de la famille et constitue la clef de la réforme du droit de la filiation, acquise depuis 1972 et menée par le Doyen Jean Carbonnier.

Mais, il est très clair que la Cour de cassation rejette l’adoption non pas tant par des couples en ce qu’ils ne sont pas mariés, mais en ce qu’ils ne peuvent pas l’être, parce qu’ils sont homosexuels. La Cour estime que l’adoption d’un enfant qui aurait ainsi une filiation établie entre deux personnes du même sexe vivant en couple est "contraire à l’intérêt de l’enfant".

C’est cette question-là que le Conseil constitutionnel doit apprécier.

 Les réquérants avaient pour eux de forts arguments juridiques. En effet, le fondamental étant toujours le plus simple, une telle interprétation briserait le principe constitutionnel d’égalité devant la loi, visée par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

D’autre part, les requérants évoquaient le "droit de vivre une vie familiale normale", visée par le préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie du bloc de constitutionnalité.

Mais le Conseil constitutionnel écarte l’applicabilité de ces deux textes essentiels, pour deux raisons. D’une part, et très pragmatiquement, il souligne qu’un enfant peut mener une vie familiale normale avec son parent et le partenaire de celui-ci sans avoir nécessairement une relation de filiation à l’égard de ce dernier.

En second lieu, distinction très classique en matière d’égalité, le Conseil souligne que l’on peut traiter différemment des situations différentes, et que des couples mariés peuvent appeler un régime juridique différent de celui appliqué aux couples non mariés, dans l’intérêt de l’enfant.

Mais surtout, et c’est en cela que la décision est la plus importante, le Conseil constitutionnel ne se trompant pas de sujet, souligne qu’il ne lui appartient pas "de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conséquences qu’il convient de tirer en l’espèce, de la situation particulière des enfants élevés par deux personnes de même sexe.".

Ainsi, en même temps que le Conseil constitutionnel se juridictionnalise de plus en plus, il emprunte en même temps aux juges leur retenue. C’est ainsi que, de la même façon, la première Chambre civile avait affirmé à propos des mariages de couples homosexuels prononcés par le maire de Bègles, qu’il n’appartenait pas aux juges de prendre une position de principe sur cette question et que seul le législateur en avait le pouvoir souverain, le Conseil constitutionnel rend à César ce qui est à César : c’est au Politique de déclarer si les couples homosexuels peuvent adopter, directement ou indirectement, des enfants et se revendiquait comme des parents "ordinaires".

C'est toute la représentation de la famille sur le modèle de la nature, ce qui suppose la capacité préalable à engendrer biologiquement, qui est en jeu, ainsi que l'appréhension morale et sociale de l'homosexualité, soit comme une situation "ordinaire", soit comme une situation "reconnue".

On pourra lire par exemple l'ouvrage excellent de Daniel Borrillo, Homosexualités et droit (coll. "Les voies du droit", PUF, 1998).

En cela, non seulement le juge respecte l’espace du politique et la souveraineté qui est propre à celui-ci, mais il se garde d’une morale officielle, qu’elle soit dans le sens de la censure ou qu’elle soit libertaire. En cela, le juge est le gardien des libertés.

Il semble que le Législateur n’ait pas eu la même sagesse et le même esprit de mesure, car en ne suivant pas à propos de la loi sur la Burqa l’avis qu’avait rendu le Conseil d’Etat le 12 mai 2010 et en interdisant dans la loi du 10 octobre 2010 la dissimulation du visage dans l’espace public, il n’a pas été aussi respectueux des pouvoirs et des libertés.

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