Pendant une semaine, l'on ne parla que de cela. Une semaine après, le fait était oublié. Pourtant, Cecil fût pendant l'éclair d'une affection planétaire, d'un deuil porté par tous les internautes, celui dont on parla le plus.
Pourtant, quoi de plus banal. Un dentiste américain ordinaire s'amuse à chasser. A chacun ses plaisirs. Chasser n'est souvent plus nécessaire, mais l'activité continue à plaire. Walter Parker aime cette activité qu'il pratique régulièrement. Il rémunère un organisateur de chasse Théo Bronkhorst pour lui organiser une chasse au lion au Zimbabwe. Cela est facile à celui-ci car l'organisateur de chasse, chasseur professionnel, est de nationalité zimbabwéenne. Tout se passe au mieux et la chasse est aisée. Le lion est superbe, en pleine forme, très beau et il est abattu hors de la réserve naturelle de Hwange. Tout à côté mais pas à l'intérieur de celle-ci. Un coup d'arc tiré par le dentiste et la bête est à ses pieds : la photo est prise, c'est une chasse très réussie. Il pourra la raconter, montrer la preuve de son exploit, avant de partir vers d'autres exploits, puisque une telle chasse ne coûte qu'environ 55.000 $.
Mais le lion n'est pas un "animal" comme les autres. C'est la vedette du parc naturel. Qui ne le connaît ? Il a 13 ans. Il est le mâle dominant de la réserve. Sa photo a toujours un grand succès sur les réseaux sociaux, car lui seul a une crinière noire. Et qui ne connait son nom ? "Cecil". Dès son décès appris, les réseaux sociaux s'enflamment pour pleurer la "victime" : Cecil si beau, si magnifique, si aimé, si gentil, si utile, si inoffensif, trucidé par un stupide dentiste américain ! Les milliers d'internautes demandent la mort du Dentiste ! Le nom de celui-ci est immédiatement révélé. Son adresse est communiquée et des peluches de lions affluent, obstruant son cabinet dentaire qu'il doit fermer. Des pétitions circulent pour qu'il soit, si ce n'est mis à mort, œil pour œil, dent pour dent, à tout le moins extradé vers le Zimbabwe.
Avant que cette petite histoire ne retombe dans l'oubli, arrêtons sur "le cas Cecil".
En droit, l'on parle souvent des "cas". Pour désigner une situation ou une histoire particulière, sur laquelle l'on va s'appuyer pour en tirer une règle plus générale, qui va avoir une influence sur la solution imputée ultérieurement à une autre situation. Plus le système juridique est "casuistique", comme le sont les systèmes de Common Law, et plus les "cas" ont de l'importance. L'importance du "cas Cecil" est révélateur de plusieurs choses. Tout d'abord les protagonistes appartiennent à des cultures de Common Law (États-Unis ; Zimbabwe), ce qui se reflète dans son traitement. Mais il s'agit d'un "cas planétaire", dont le traitement dans un premier temps va dans se déployer dans l'espace numérique, dans ce que certains appellent désormais la "civilisation numérique". Dès lors, faudrait-il en conclure qu'Internet est avant tout alimenté par des "cas", des événements (et non pas par l'Histoire), propice en cela à un développement de la Common Law ?
En tout cas, le "cas Cecil" est en premier lieu révélateur de l'inadéquation du statut juridique actuel de l'animal par rapport à la psychologie sociale : soutenir que l'animal est une chose, ce qui est juridiquement exact et fondé, n'est plus compris. Lorsqu'il porte un prénom humain et qu'il est une vedette du Net, encore moins. La dimension planétaire de son décès, le sentiment de tristesse et d'injustice montre que le rapport entre les êtres et les animaux est en train de s'inverser. Mais cette inversion ne s'opère que s'il s'agit des animaux aimés par les êtres humains, comme si dans cet engouement l'être humain ne cherchait qu'à s'aimer lui-même (I). Il demeure que le Droit est en route : le "cas Cecil" va susciter des qualifications, des procédures et des raisonnements juridiques, voire des lois (II). Carbonnier dit : "à petites causes, grands effets".
I. LE "CAS CECIL", RÉVÉLATEUR DU RAPPORT INVERSÉ ENTRE LES ÊTRES HUMAIN ET LES ANIMAUX AIMÉS
A. "CECIL", PLUS QU'HUMAIN ?
1. La summa divisio des "personnes" et des choses et la nécessaire inclusion des animaux dans les choses
2. Cecil, le cas extrême des "grands chats"
B. LA DIFFICULTÉ DES MISES EN CATÉGORIES
1. Le bouleversement prochain de la summa divisio entre les personnes et les chose
2. La notion incertaine des "êtres sensibles"
3. La pertinence directe conférée au "vivant"
II. LE TRAITEMENT "JURIDIQUE" DU "CAS CECIL"
A. L'APPEL POPULAIRE ET PLANÉTAIRE A UNE PUNITION IMPLACABLE
1. La surréaction de l'espace numérique non procéduralisé
2. L'escalade de la violence
B. LA RÉACTION JURIDICTIONNELLE DANS LE MONDE CLASSIQUE
1. La protection du chasseur par la territorialité du droit
2. Le raisonnement téléologique pour condamner l'organisateur de la chasse
C. LA LÉGISLATIVE SUR LE COMMERCE DES TROPHÉES
1. Liberté de chasser et faiblesse des États
2. L'ingéniosité de la Régulation des points d'entrée des infrastructures essentielles de transport
Conclusion : enseignements du "cas Cecil". Une réaction efficace consiste à trouver la "raison" de l'action et à frapper non pas l'acte mais la raison de l'acte, ici le trophée. Si l'on ne peut plus montrer avec fierté la victime abattue, alors on ne l'abat plus. Il faut soit empêcher de montrer, soit attaquer le sentiment de fierté (exemple de la prostitution).
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