Le Conseil d'Etat vient de publier son avis du 3 mai 2018 concernant le projet de "loi pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace".
Cet avis sera certainement très commenté, notamment dans la présentation que le Conseil d'Etat donne de son rôle à propos d'un texte de niveau constitutionnel.
Comme le sera un texte qui réforme la Constitution sur des questions très importantes, notamment la suppression de la Cour de justice et l'organisation procédurale et substantielle de la responsabilité pénale des ministres, le rapprochement du statut des membres du ministère public vers celui de la magistrature assise au sein du Conseil supérieur de la magistrature, la réforme du Conseil Economique, Social et Environnemental devenant "Chambre de la participation citoyenne", l'inscription de la lutte contre le changement climatique dans l'article 34. l'accroissement du pouvoir des commissions ainsi que celui du gouvernement dans la fixation de l'ordre du jour, la suppression du statut des anciens président de la République comme membres de droit du Conseil constitutionnel
Prenons ici ce qui sera peut-être moins commenté : le titre de cette loi.
Le Conseil d'Etat n'en dit rien.
Pourtant, il marque une évolution générale : désormais l'objet d'une loi est constituée par son but (I).
Et concernant cette loi-là, le but n'est-il pas étrange, montrant à tout le moins que "l'efficacité" serait bien le but vers lequel tout doit converger (II) ?
Lire les développements ci-dessous.
Le dispositif mis en place préservant Valéry Giscard d'Estaing, qui pourra demeurer.
I. PAR PRINCIPE, L'OBJET DE TOUTE LOI EST DÉSORMAIS CONSTITUÉ PAR SON BUT
Il faut distinguer trois temps, comme dans les valses.
Dans un premier temps, le titre de la loi désignait son objet, c'est-à-dire son périmètre technique. Par exemple une loi réformant le 3 janvier 1972 le Droit dans le périmètre de la filiation portait comme titre "Loi sur la filiation" ou bien réformant les régimes matrimoniaux portant comme titre "loi réformant les régimes matrimoniaux" ou bien la loi réformant le droit des sociétés a eu pour titre "loi sur les sociétés". Leurs buts étaient explicités dans les travaux préparatoires, qui pouvaient servir à l'interprétation, comme l'explique Capitant, ou dans une perspective plus sociologique, sous la plume de l'auteur du projet dans des Essais sur les lois.
L'on comprend qu'il ne soit pas utile de voter sur de tels titres qui ne sont que le reflets de ce sur quoi portent les dispositions soumises au vote du Parlement.
Le deuxième stade a concerné le Droit économique. Dans cette partie du Droit, c'est parce que la technique juridique a un statut d'instrument, fait partie d'une "boîte à outil", la loi étant un instrument parmi bien d'autres, certains juridiques (la réglementation, les normes, les lignes directrices, les communiqués, etc.), d'autres non-juridiques (les incitations, par exemple), il est alors très important d'exprimer le but pour lequel les instruments sont mis en place car dans un Droit de nature téléologique c'est dans les finalités que réside la normativité.
Dans un Droit téléologique, le Droit de la Régulation étant par nature téléologique, le Droit de la concurrence l'étant également, les discussions portent sur les finalités parce qu'en pratique l'interprétation et l'application des textes découlent des fins
En conséquence, les lois de "droit économiques n'ont plus besoin d'avoir un "périmètre" puisqu'elles trouvent leur unité dans leur but. D'ailleurs, le "Droit économique" lui-même n'est guère enfermé dans une branche du Droit et l'on y trouvera aussi bien du Droit pénal que du Droit des sociétés ou du Droit civil, l'on y trouvera du Droit public aussi bien que du Droit privé. Peu importe puisque le but donne l'unicité à l'ensemble. Et le but lui-même n'est pas juridique : ainsi, la loi sur "la confiance dans le numérique" ou la loi sur "les nouvelles régulations" ne visent aucune branche du droit, n'ont pas de périmètre, mais elles ont un but : inspirer confiance, donner de nouvelles règles du jeu.
L'actuel projet de loi dit "PACTE" va plus loin puisque la loi n'est plus elle-même qu'un élément parmi d'autres d'un "Plan d'Action" qui ne doit sa cohérence qu'au regard d'un but qui lui-même est double : la Croissanc et la Transformation des Entreprises. Toutes les branches du Droit s'y mêlent alors dans des dispositions qui s'amoncellent.
Voilà donc des titres tout à la fois très ambitieux et très politiques. Le lien entre les dispositions techniques, qui demeurait encore par exemple entre les techniques de procédures collectives et une loi qui vise à la "prévention des défaillances", devient très distant lorsqu'il s'agit par exemple d'une façon très large de "reconquérir l'économie réelle" ou de favoriser la "croissance". Et ces titres, qui doivent pourtant guider l'interprétation par les juges des dispositions techniques continuent à n'être pas votés ?
Le troisième stade est la généralisation de ce procédé. Et nous y sommes. Toute loi désormais exprime dans son titre ce pour quoi elle est faite, même hors le Droit économique. Par exemple les textes réformant le droit du travail par des ordonnances visant au "renforcement du dialogue social". De la même façon, parce qu'un but très large permet de toucher toutes branches du Droit, c'est dans la loi ayant pour titre la "modernisation de la justice du XXIième siècle" que la réforme du divorce sans juge fût adoptée.
Il semble qu'il n'y ait que la réforme du Droit du contrat qui ait eu la sagesse de prendre pour titre "réforme du droit du contrat, du régime général de la preuve et du droit des obligations". Il est vrai qu'il s'agit d'une réforme à plus d'un titre exemplaire et classiquement opérée. Visant son périmètre. Simplement cela. Un texte à l'ancienne.
Car classiquement les raisons pour lesquelles une Loi est prise relève des travaux préparatoires, elles ne doivent pas baver dans les lois, ni dans leur titre. L'esprit des lois est exprimée par ceux qui les manient et c'est ainsi que les Lois peuvent demeurer longtemps sans qu'on ait à en changer sans cesse les dispositions.
C'est aussi ainsi que la Loi n'est pas réduite à être un simple instrument au service d'un but, si grandiose soit-il, la "confiance", le "progrès", le "bien". A l'inverse, c'est bien parce que la loi de ce seul fait se considère comme un simple instrument qu'elle est perçue comme une réglementation comme une autre.
C'est aujourd'hui le cas, il suffit de se reporter aux travaux d'économistes pour lesquels la Loi n'est qu'une réglementation, un instrument qui doit être le plus "souple" possible, le plus "adapté" possible, le plus "efficace" possible.
Et dans cette perspective, une norme technique ou la Constitution ont exactement la même valeur.
Et justement, voilà le projet de loi constitutionnelle aujourd'hui présenté comme un ensemble de dispositions "pour une démocratie plus .... efficace".
II. LE BUT DE LA RÉFORME CONSTITUTIONNELLE : UNE DÉMOCRATIE "PLUS REPRÉSENTATIVE, RESPONSABLE ET EFFICACE"
C'est un titre bien singulier.
Admettons que cette loi ,de niveau constitutionnelle suive le mouvement et qui, comme toute loi désormais, affiche dans son titre même son but.
L'on relèvera sans développer davantage que la loi qui porte sur les institutions politiques majeures prend donc comme modèle le Droit économique, berceau du Droit téléologique.
Sans doute Alain Supiot aurait-il donc raison lorsqu'il affirme que l'Économie, pour laquelle le Droit n'est qu'une réglementation qui devrait puiser son sens à la finalité qu'elle sert avec l'efficacité requise, se pose ainsi comme la "discipline-mère" de toutes les autres.
Si l'on prend acte de cela, regardons donc les trois buts.
Car l'on ne peut penser que la démocratie soit le but d'une réforme constitutionnelle. L'on peut en effet poser qu'il y a dans un Etat de Droit une tautologie entre la Constitution et la Démocratie. La Démocratie est donc l'objet d'une réforme constitutionnelle. La Démocratie est toujours son périmètre. Cela ne peut pas être autrement. Ce sont donc les trois "qualités substantielles" dont la loi veut parer le système démocratique qui nous gouverne et que la Norme fondamentale protège, qui constituent les trois buts spécifiques du projet de Loi.
La première qualité est le fait que toutes les dispositions projetées accroissent le caractère "représentatif" du système démocratique. Cela renvoie sans doute au mécanisme de la pétition mis en place auprès de la "Chambre de la participation citoyenne", dont le Conseil d'Etat relève que la composition ne change pas beaucoup. Une chambre dont il prend soin de souligner qu'il reflète une "société civile" dont on ne connaît pas la définition juridique tandis qu'il souligne que la sécurité viendra surtout du fait que les avis émis par cette chambre seront antérieurs à ceux émis par le Conseil d'Etat lui-même et qu'ils éclaireront surtout le Conseil d'Etat, lequel éclairera à titre principal le gouvernement...
La deuxième qualité est le fait que le système démocratique soit "responsable". Soulignons qu'en droit ce sont les personnes qui sont responsables et non pas les systèmes. Une "démocratie responsable" est une expression qui juridiquement n'a pas de sens. Peut-être n'est-ce qu'une façon de parler. Peut-être pour faire écho à la responsabilité des ministres. Mais à partir du moment où l'on demande de "prendre la responsabilité au sérieux"
La troisième qualité est que le système démocratique soit "efficace". Mais cette qualité peut s'appliquer à tout.
Ainsi, toute loi a l'ambition d'être efficace. C'est en cela que Carbonnier écrivait dans son ouvrage Essais sur les lois que "toute loi est une bonne nouvelle", car tout législateur pose que la loi qu'il vient d'adopter est meilleur que les lois précédentes, sinon il ne l'aurait pas adoptée.
Ainsi, nous pourrions reprendre toutes les lois et y ajouter à chacune : "loi pour un droit des contrats efficace" ; "loi pour un dialogue social efficace" ; "loi pour un divorce efficace", etc.
Pourquoi mentionner ce qui est évident, à savoir en premier lieu qu'une loi est faite pour être appliquée, qu'en deuxième lieu elle est faite pour être appliquée "efficacement" c'est-à-dire atteindre ses buts (par exemple une Démocratie doit fonctionner démocratiquement, toujours plus démocratiquement), et qu'en troisième lieu qu'elle doit rendre plus "efficace" le système sur lequel elle s'applique, quelque soit le système en question, qu'il soit familial, pénal, social ou politique ?
Si les rédaction du projet de loi constitutionnelle ont pourtant estimé pertinent d'exprimer ce but d'efficacité, c'est peut-être par une technique de communication : car qui se lèvera pour dire : "pour ma part, j'ai une autre conception et voudrais vous proposer une loi dont le but serait l'inefficacité ?" ou bien d'une façon moins impossible "pour ma part, je n'ai aucun souci d'efficacité, j'ai autre chose en tête".
C'est ainsi que débutent ceux qui promeuvent l'efficacité comme seule mesure du droit, par exemple les auteurs des rapports Doing Business : nous voulons un droit simple, prévisible, constant, peu coûteux et efficace. Qui n'en voudrait pas ? Puis à ce titre, ils proposent ce qui leur paraît adéquat. Et comme nous avons admis les ambitions, nous admettons les "remèdes", ce terme désormais juridique grâce au Droit de la concurrence (remedies).
Pour prendre le présent projet de loi, l'efficacité tient notamment dans la diminution du droit d'amendement dans la procédure parlementaire, de la même façon que c'est au nom de l'impératif de célérité des procédures (car il est plus efficace d'aller vite plutôt que d'aller lentement, qui le nierait ?) que le Conseil d'Etat observe avec réserve un pouvoir d'avis accru conféré à la nouvelle Chambre de la participation citoyenne venant concurrencer son propre pouvoir d'avis.
Voilà ce que l'on peut dire au nom de l'efficacité, lorsqu'elle est érigée en but et que ce but devient l'objet même de la Loi, alors que l'efficacité ne doit être qu'une mesure d'un objet qui lui est extérieur. Lorsque l'efficacité devient le but, et le but de toute loi, le Droit n'est plus grand chose.
V. par ex. et en dernier lieu Roda, J.-Ch. Réflexions sur les objectifs du droit français de la concurrence, 2018, à paraître au Recueil Dalloz.
Delmas-Marty, M. et Supiot, A. (dir.), Prendre la responsabilité au sérieux, 2015.
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