La loi du 17 mai 2013 a ouvert le mariage aux couples entre personnes de même sexe. Le projet de loi qui est à son origine a été très controversé. La loi votée a pourtant été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et promulguée par le Président de la République le jour-même. Pourtant, le Président de la République avait dit sur le perron de l'Élysée qu'il y aurait une "clause de conscience" pour les maires qui ne voudraient pas appliquer la loi, d'autres maires s'en chargeant alors. Mais le Ministre de l'Intérieur édicta une circulaire le 13 juin 2013 affirma qu'un tel refus d'appliquer la loi justifiait des poursuites pénales. Un collectif de maires attaquèrent la circulaire pour illégalité et posèrent une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en affirmant que cette "clause de conscience" existait à leur bénéfice et avait valeur constitutionnelle. Le 18 septembre 2013, le Conseil d'État transmet la QPC au Conseil constitutionnel, en posant que la question est "nouvelle", ce qui suffit à fonder la transmission, soulignant qu'il n'a pas à se prononcer sur la question de savoir si la question est "sérieuse", puisque les deux critères sont alternatifs. Mais est-ce une "question sérieuse" ?
La loi du 17 mai 2013 a donc fait entrer dans l'ordre juridique français le mariage homosexuel. Le Conseil constitutionnel avait déclaré le mécanisme conforme à la Constitution.
On remarquera que le Conseil d'État, sur son site sur lequel est disponible l'arrêt du 18 septembre 2013, le présente sous la rubrique "Mariage pour tous", ce qui est une appellation politique (les enfants ne peuvent pas se marier, les morts ne peuvent pas se marier, les personnes marier ne peuvent pas se marier, etc.
Donc "tous" ne peuvent pas se marier. Il est regrettable que la Haute Juridiction utilise sur son site cette expression, qui n'est jamais utilisée dans ses arrêts, car elle est inappropriée et produit ensuite bien des contresens.
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L'arrêt lui-même est fort bien rédigé.
Il relève que les textes concernés par cette affirmation de l'existence constitutionnelle d'une "clause de conscience" des officiers d'état civil, qui rendrait ainsi la circulaire Valls illégale, met en jeu des textes qui n'ont pas été jusqu'ici déclarés conformes à la Constitution.
En outre, il constate que la question est "nouvelle", ce qui suffit à la transmission. Ainsi, le Conseil d'État transmit la question constitutionnelle, en soulignant qu'il n'a pas à se poser la question de savoir si elle est sérieuse.
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Il convient donc de se demander si elle est sérieuse.
Quand on lit les opinions diffusées sur les réseaux sociaux, souvent radicalement, on lit des espoirs politiques assez peu fondés juridiquement, dans un sens ou dans l'autre, mettant en perspective un Conseil constitutionnel, soit balayant de la main la QPC au nom de l'effet obligatoire de la loi, soit se levant au nom des règles éternelles au dessus des lois humaines.
Si l'on reprend d'une façon plus modérée, on observe tout d'abord que la circulaire du 13 juin 2013 est parfaitement bien rédigée en droit. Elle rappelle les textes applicables et affirme que les officiers d'état civil doivent appliquer la loi.
La circulaire, aujourd'hui attaquée pour illégalité devant le Conseil d'État, affirme que l'officier d'état civil qui refuse d'appliquer la loi (la circulaire n'évoquant pas même au nom de quoi il le ferait, "clause de conscience ou autre chose", soulignant par là-même, que il ne peut faire sous aucun motif, sous aucun prétexte) commet une voie de fait.
Dès lors, il pourra être poursuivi à la fois par la voie pénale et par la voie disciplinaire.
Pourquoi la question de l'existence constitutionnelle d'une "clause de conscience" pourrait n'être pas "sérieuse" ?
La loi s'applique à tous et les agents publics ont pour fonction d'appliquer la loi.
Il est inconcevable que pour une sorte de "convenance personnelle" un officier d'état civil, qui a pour ordre, en application d'une série de dispositions législatives, de célébrer les mariages, s'y refuse.
Il est vrai que les journalistes bénéficient d'une "clause de conscience" mais cela résulte d'une loi du 39 mars 1935 sur le statut du journaliste professionnel. C'est donc la loi qui prévaut expressément, et d'une façon dérogatoire, parce que le journaliste fût-il salarié et à ce titre obligé d'obéir à son employeur, a un lien avec l'information du public, l'organisation démocratique d'un Etat de droit. Mais c'est la loi qui lui confère cette "clause de conscience".
Dès lors que la loi du 17 mai 2013 n'a pas prévu une telle disposition au bénéfice des officiers d'état civil, quelle que soit la justification que l'on pourrait par ailleurs trouver, cette "clause de conscience" n'existe pas.
Ainsi, le principe même de la légalité, qui fonde les poursuites pénales et disciplinaires évoquées par la circulaire, exclut l'existence de la "clause de conscience", puisque le législateur ne l'a pas prévue.
Certes, le Président de la République en a parlé. Mais c'est un propos politique, qui ne lie pas l'Etat. Seule la loi a ce pouvoir. Et la loi n'a rien dit.
Pourquoi la question de l'existence constitutionnelle d'une "clause de conscience" pourrait être "sérieuse" ?
La démonstration précédente est inattaquable lorsque le légicentrisme est la clé du système politique et juridique : le droit est contenu dans la loi, la loi contient tout le droit.
Mais cela fait longtemps que le système juridique français s'est éloigné du légicentrisme.
Ainsi, tout d'abord, la critique du légicentrisme met le législateur face à la Constitution. Celle-ci a une valeur supérieure et les auteurs ont attaqué cette idée de toute-puissance de la loi parce que s'il y a "toute puissance", alors c'est à la Constitution qu'il faut la reconnaître et non pas à la loi.
Qui aujourd'hui peut contester l'effectivité de cette hiérarchie, sa véracité et le recul du légicentrisme à ce titre ?
Ensuite, la critique du légicentrisme met le législateur face au juge, qu'il soit commun ou constitutionnel. La "découverte" par le juge judiciaire, administratif ou constitutionnel de principe général, de droit et de prérogative divers, "implicitement" contenus dans le droit leur ont permis de construire ou de démolir des pans entiers du droit.
Enfin, il est difficile de dire qu'un propos tenu par le Président de la République lui-même n'est "rien". En effet, le pluralisme juridique montre que le droit des personnes a des sources multiples. Bien sûr pas seulement la loi, mais même pas seulement le juge. En effet, la source première des prérogatives des personnes (par exemple, le droit de refuser de célébrer un mariage) vient de la croyance légitime dans le fait qu'on en a le droit.
Si le Président de la République affirme avec solennité que les maires auront le choix, le Président utilisant formellement l'expression "clause de conscience", alors les maires ont cru qu'ils en bénéficié. Si l'on ne peut plus croire le Président de la République, qui peut-on croire ?
La notion de "croyance légitime" est une notion juridique, née dans le droit de l'Union européenne, mais aujourd'hui très fortement reprise par le Conseil d'Etat et par le Conseil constitutionnel.
Ainsi, les officiers d'état civil auraient une clause de conscience en matière de mariage homosexuel, et uniquement à propos de cela, parce que le Président de la République l'a dit, et parce qu'ils ont cru ce qu'affirmait le Président de la République.
La théorie juridique de la croyance légitime fait naître des droits et des prérogatives véritables, de nature juridique. Ainsi, les officiers d'état civil auraient le bénéfice d'une "clause de conscience" de ce fait.
S'il en était ainsi, cela écarterait une perspective. En effet, imaginons un maire qui dirait : "je ne veux pas marier un noir et une blanche", ou bien un agent de l'administration "je ne veux pas vendre ce billet à cette personne dont la tête ne me revient pas", etc., ce qui aboutirait à une pulvérisation de l'Etat, sans parler même du caractère inadmissibles de tels comportements.
En effet, les propos du Président de la République n'ont visé que l'hypothèse très précise du mariage "entre personnes de même sexe", aucune autre hypothèse. Ainsi, si la clause de conscience existe, par le jeu de la croyance légitime, elle ne peut et ne doit concerner aucune autre hypothèse.
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On mesure ainsi que les deux raisonnements sont tout à fait soutenables.
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Pour ma part, je considère en droit que la question est non seulement nouvelle mais qu'elle est sérieuse.
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