Le Gouvernement français a indiqué le 30 août 2014 qu'il songeait à recourir à la technique des ordonnances. Il le projette dans le cadre d'un projet de loi relatif à la croissance, la jurisprudence constitutionnelle admettant en effet les projets "mixtes", c'est-à-dire des programmes ayant un but unique (ici favoriser la croissance) mais recourant à deux modalités, ici un projet de loi traditionnelle et une demande faite au législateur d'habiliter le gouvernement à recourir à la technique des ordonnances. Le résultat devrait donc être un "package" constitué à la fois par une loi classique et des ordonnances, l'ensemble visant à favoriser la croissance française.
Il le peut, puisque si l'article 34 de la Constitution liste les matières réservées tandis que l'article 37 vise ce qui est l'objet du pouvoir de l'exécutif l'article 38 de la Constitution utilise le terme d'"Ordonnance" pour qualifier l'acte par lequel le pouvoir exécutif intervient dans le domaine réservé à la loi.
L'article 38 dispose que :
Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.
Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation. Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse.
A l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif.
Peut-on considérer que par l'usage des ordonnances, c'est le Gouvernement qui fait la loi ?
A première vue et par exégèse, la réponse est Non.
En effet, même si la technique de l'ordonnance permet à l'Exécutif d'aller sur le terrain réservé au Législatif, c'est sur l'autorisation du pouvoir constituant lui-même, dans l'article qui suit celui qui vise les pouvoirs réservés au Parlement (article 34), pendant un temps limité et selon une procédure préétablie et spéciale.
L'on a donc dans un premier temps considéré que c'était en quelque sorte le Législateur qui aimablement ouvrait sa porte au Gouvernement, lui offrait son fauteuil quelque temps, pour mettre en oeuvre un programme particulier. Il n'est fait référence à aucune circonstance extérieure, à aucune difficulté politique ou autre d'obtention des votes, mais simplement d'un "programme", qui sans doute nécessite une action cohérente et rapide, ce à quoi satisfait davantage l'action réglementaire.
Il est très vrai que si l'on regarde l'oeuvre de codification, la codification dont se glorifient tant les système de Civil Law, elle ne se concrétisa de façon vraiment satisfaisante que dans deux circonstances historiques très précises : la première fût 1804 avec la présence de Napoléon (Code civil), la seconde fût 1972, avec l'élaboration d'un nouveau Code de procédure civile rédigé par décrets par quelques professeurs.
Ainsi, le "beau droit" ne pourrait-il être "législatif" que s'il n'était l'oeuvre que de quelques uns et non pas de cette multitude de parlementaires à propos desquels l'abstraction du singulier que l'on utilise pour désigner "Le Législateur" convient si mal ?
Toujours est-il que l'équilibre des pouvoirs ne saurait être remis en cause à première vue puisque c'est le pouvoir constituant qui a tout prévu et que le Législateur est partout.
Ainsi, tout débute par la "loi d'habilitation". Le Gouvernement peut la demander au Parlement par un projet de loi ou peut-être par un amendement glissé dans une proposition de loi
En revanche, le Conseil constitutionnel est exigeant sur le domaine des mesures envisagées.
Pourtant, l'ordonnance paraît bien une intrusion de l'Exécutif dans le domaine législatif. Cela résulte de la jurisprudence du Conseil d'État, peut-être sensible aux arguments de l'Exécutif. En effet, le Conseil d'État n'a pas vu dans ce mécanisme une délégation de pouvoir consentie par le Législatif au profit de l'Exécutif, mais bien une extension du pouvoir exécutif. On comprend l'intérêt du Conseil d'État à préférer cette qualification car ainsi, il est compétent pour contrôler les textes, puisqu'ils demeurent réglementaires, compétence dont il n'aurait pas été titulaire si les ordonnances avaient été des lois.
Ainsi, les ordonnances, tant qu'elles ne sont pas ratifiées par le Législateur, ont la valeur d'un règlement. Les dispositions reprises dans la loi d'habilitation accèdent quant à elles au statut législatif. Mais s'il s'agit de dispositions non ratifiées qui modifient une loi et qui (faute d'une nouvelle habilitation) ne pourront être modifiées par la suite que par une loi, alors elles accèdent elles-aussi au statut législatif.
On mesure à quel point le Conseil d'État a construit un édifice fin et subtil pour élaborer une doctrine quant au domaine, à la nature et au régime des ordonnances, notamment à l'occasion des Ordonnances du Plan Juppé. Ainsi, le système confère avant tout au Conseil d'État un grand pouvoir pour mettre le curseur là où il lui paraît bon entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.
Dès lors, la cascade d'arrêts du Conseil d'État montre que certes celui-ci fait en sorte que l'ordonnance soit une technique qui fait pencher la balance en faveur de l'exécutif, ce qui n'avait pas nécessairement voulu le Constituant en écrivant l'article 38 de la Constitution, mais dans le même temps l'exécutif lorsqu'il s'ébat grâce aux ordonnances dans le pré carré du Législateur ne le fait que sous la surveillance étroite du Conseil d'État.
Qui est le grand gagnant ?
Même si cela a fait froncer les sourcils du Conseil constitutionnel, par une décision du 20 janvier 2005.
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