Un décret du 6 décembre 2016 avait mis sur pied une Inspection Générale de la Justice, comme il y en a une pour les Finances ou pour les Affaires Sociales.
Mais l'idée d'un contrôle, d'une évaluation, d'une étude même ne va pas de soi parce que l'institution judiciaire est par principe indépendante du Gouvernement et que la mise en place d'une sorte de bras armé au bénéfice de celui-ci paraît contraire à ce principe politique fondamental. Cela est encore plus vrai pour la Cour de cassation, qui dispose d'une autonomie de gestion - et l'on ne comprend plus alors l'objet même des inspections - , les deux chefs que sont le Premier Président et le Procureur Général ayant des pouvoirs directs et constitutionnellement conférés contre les ministres.
On avait donc pu protester car une telle emprise du gouvernement sur la Cour de cassation est contraire à la Constitution : lire le document de travail ayant servi de base à l'article publié immédiatement dans le journal Le Monde et la présentation de l'article publié dans Le Monde du 16 décembre 2016.
Par une décision du 23 mars 2018, Syndicat Force Ouvrière Magistrats et autres, le Conseil d’État a estimé qu'il y avait effectivement une contrariété avec la Loi et la Constitution, justifiant l'annulation.
Dans cette décision, le Conseil d’État distingue l'institution judiciaire générale et la Cour de cassation. D'une façon générale, elle estime que celle-ci peut faire l'objet d'un mécanisme d'inspections. En effet, pour les cours et tribunaux, un corps d'inspecteurs qui se limite à contrôler, évaluer, étudier l'aspect de gestion et d'efficacité des organismes que sont aussi les juridictions peut se justifier. Le communiqué diffusé par le Conseil d’État sur son site insiste d'ailleurs sur cette validité du décret.
Mais ce qui retiendra sans doute l'attention est l'annulation de la partie du décret concernant la Cour de cassation. La motivation est la suivante
d’une part, aux termes de l’article L. 411-1 du code de l’organisation judiciaire : « Il y a, pour toute la République, une Cour de cassation ». Cette dernière a seule pour mission de juger les pourvois contre les décisions rendues en dernier ressort par les juridictions judiciaires. D’autre part, l’article 65 de la Constitution confie au premier président de la Cour de cassation et au procureur général près cette cour la présidence, pour le premier, de la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature ainsi que de la formation de ce conseil compétente à l’égard des magistrats du siège et, pour le second, de sa formation compétente à l’égard des magistrats du parquet. Ce dernier exerce également, en application des dispositions combinées de l’article 68-2 de la Constitution et de l’article 8 de la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République, le ministère public près cette cour, chargée, en vertu de l’article 68-1 de la Constitution, de juger les membres du Gouvernement pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés de crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Eu égard tant à la mission ainsi confiée par le législateur à la Cour de cassation, placée au sommet de l’ordre judiciaire, qu’aux rôles confiés par la Constitution à son premier président et à son procureur général, notamment à la tête du Conseil supérieur de la magistrature chargé par la Constitution d’assister le Président de la République dans son rôle de garant de l’autorité judiciaire, le décret attaqué ne pouvait légalement inclure la Cour de cassation dans le champ des missions de l’inspection générale de la justice sans prévoir de garanties supplémentaires relatives, notamment, aux conditions dans lesquelles sont diligentées les inspections et enquêtes portant sur cette juridiction ou l’un de ses membres. Son article 2 doit, par suite, être annulé en tant qu’il inclut la Cour de cassation dans le champ de la mission permanente d’inspection, de contrôle, d’étude, de conseil et d’évaluation exercée par l’inspection générale de la justice.
Le Conseil d’État insiste sur le fait que la Cour de cassation est une sorte de "juridiction à part" (elle a "seule pour mission" ; techniquement, nous dirions qu'elle n'est atteinte que par des voies de retours extraordinaires) et qu'elle est au sommet de la hiérarchie judiciaire, ce qui lui donne un statut particulier : la formulation utilisée nous fait penser à une évocation d'une sorte de check and balance, comme si le fait d'être tout en haut de la hiérarchie judiciaire la mettrait trop haut pour le gouvernement.
Mais l'essentiel de la motivation vise les deux personnages que sont le Premier Président et le Procureur Général, non pas tant dans leur rôle interne à la Cour de cassation, mais externe. En effet, dans leur rôle interne, l'office d'une Inspection Générale de la Justice se justifierait plutôt, puisque c'est là qu'ils opèrent des tâches de gestion, voire de management, et l'un et l'autre. Mais c'est bien en tant qu'ils ont des responsabilités extérieures de niveau législatif et constitutionnel qu'ils ne peuvent être touchés, pas même dans leur fonction interne à la Cour de cassation.
En effet, c'est bien en raison de leurs rôles respectifs au sein du Conseil supérieur de la magistrature qui "assiste le Président de la République comme garant de l'autorité judiciaire" (voilà qui fait encore penser à un jeu de check and balance) d'une part et dans les procédures devant la Cour de justice de la République d'autre part où le Procureur général joue un rôle essentiel constitutionnellement organisé.
Cette partie là du décret est donc annulée.
L'annulation n'est pas "sans appel". En effet, à lire la décision du Conseil d’État, le Gouvernement pourrait le réécrire pour qu'y figurent des "garanties" afin que l'exercice par les personnages au sein du CSM et pour le Procureur Général ne soit pas affecté dans son indépendance objective par les contrôles exercés par ailleurs sur leurs activités internes à la Cour.
Il demeure qu'une telle rédaction, qui débute sur le fait que la Cour de cassation est au sommet de la hiérarchie judiciaire, qui fait plusieurs fois penser à un système d'équilibre du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire tranche avec le discours tenu par le Président Emmanuel Macron à l'audience de rentrée de la Cour de cassation au cours de laquelle celui-ci avait signifié que le ministère public ne devait pas rêver d'indépendance.
Si le Conseil d’État s'en mêle à son tour ....
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