Mise à jour : 23 juin 2014 (Rédaction initiale : 23 juin 2014 )
Porte dérobée sur le Droit : Histoire et Droit
Une question sur le Droit
par Marie-Anne Frison-Roche
© mafr
L'apogée est le point extrême d'une ellipse, que est elle-même une boucle dont les différents points ne sont pas équidistants par rapport au centre.
Cette définition tirée de l'astronomie est souvent utilisée dans un sens imagé : on désignera comme un apogée ce que marque le point "extrême" , c'est à dire le,plus remarquable, le plus caractéristiques, le plus parfait d'un mouvement artistique, d'une époque, d'une civilisation, Ainsi, certains soutiennent ainsi que le Grand Siècle a été l'apogée de la France.
On entend bien souvent que "le Code civil est l'apogée du droit français".
Cela semble aller de soi et relève donc de la vulgate du discours sur le droit.
Pourquoi ?
Parce que Carbonnier l'a écrit, et nous admirons tant ce maître ....
Parce que Napoléon s'en est mêlé, et nous admirons tant Napoléon ...
Parce que la France à l'époque dominait le monde, 1804, et nous si nostalgique de cela ....
Parce que c'est une immense Loi et qu'en France, nous n'aimons que la Loi, pas les décision de justice, que l'écrit, pas les pratiques...
Parce que c'est l'œuvre de codification par excellence et que nous continuons à poser que la codification, c'est l'art du droit même ....
Parce que le Code civil, par sa langue simple et pure, admirée par Stendhal, est une œuvre littéraire, et que la France est une Nation littéraire ....
Bref, nous ne nous posons même pas la question !
Mais mais ouvrons la question, en repartant de la définition précise formulée par l'astronomie.
L'apogée suppose une lancée par rapport à une base, le point le plus haut, lequel une fois atteint ne plus que revenir vers le bas. Il y a toujours tristesse et nostalgie à viser le Code civil comme apogée du droit, car plus de 200 ans ont passé et nous serions donc descendu bien bas.
On peut le soutenir, et on le proclame si souvent. Perdu. L'art de la concision ; perdu, l'art de manier une langue juridique précise et proche de la langue commune. Cela est vrai et qui souhaiterait à chacun, comme le faisait Stendhal pour le Code civil, le code du travail ou le code monétaire et financier en "livre de chevet"?
Et et de se lamenter sur l'âge d'or du Code civil de 1804 ou de se concentre sur les moyens de le restaurer, voire de nouveau d'exporter le chef d'œuvre.
Mais la question est-elle vraiment bien posée ?
En effet, l'on trouve certes au début de l'ouvrage des dispositions très générales sur la promulgation des lois, la portée des jugements ou celle des lois et le droit international. Mais enfin, ce n'est que le Code "civil" ! Et la majorité des dispositions portent sur le mariage, la filiation, les successions, etc., c'est à dire du pur droit civil spécial.
Certes, Carbonnier l'a inscrit dans les Lieux de mémoires de la France et affirmait qu'il constitue la Constitution civile de la France. Il est vrai que ce Code, s'appuyant notamment sur les travaux de doctrine de Pothier et de Domat, a certes unifié droit écrit et droit coutumier formant une apogée par rapport au passé.
Mais c'est en 1811 que les Ordonnances de Colbert trouvèrent leur place à travers le code de commerce, qui a peu les honneurs de la doctrine.
Plus encore, le droit, non seulement ne se réduit pas au droit civil, mais il ne se réduit pas au droit privé.
L'arrêt Blanco de 1873 posa que l'administration n'est pas régie par le Code civil. Cet arrêt est l'acte de naissance du droit administratif, dont certains disent qu'il constitue lui aussi le génie juridique français.
Or, or, le droit administratif ne put naître que par soustraction au Code civil.
Ainsi, lorsqu'on voit dans celui-ci l'apogée du droit français, ne méconnaît-t-on une grande partie de celui-ci ?
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