10 octobre 2015

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GPA : La Cour d'appel de Rennes dans les pas du Procureur général près la Cour de cassation

par Marie-Anne Frison-Roche

Par son arrêt du 28 septembre 2015, la Cour d'appel de Rennes confirme l'annulation de la transcription sur l'état civil français d'une "filiation" de pure convenance, qu'une pratique de maternité de substitution réalisée hors de France avait pour objet de produire.

La pratique de maternité de substitution, qui consiste pour une personne, et plus souvent pour un couple, à demander à une femme de devenir enceinte et à leur "céder" l'enfant à l'instant de sa naissance pour que celui ou ceux qui le reçoivent, généralement avec une contrepartie financière de ce don, en deviennent les "parents", est sanctionnée en droit français par une nullité absolue, au nom du principe de dignité de la personne. En effet, les femmes et les enfants ne sont pas cessibles. Admettre une telle cessibilité, cela serait admettre une traite des êtres humains.

Certains systèmes juridiques tolèrent pourtant cette pratique. Par exemple la Californie, où tout s'achète dès l'instant que l'on "consent" à céder, la loi californienne posant que la femme qui porte et accouche n'est pas la "mère" mais n'est que la "gestatrice" de l'enfant, le Droit pouvant tout dire. C'est pourquoi des personnes ayant un "désir d'enfant" partent hors de la France pour échapper au droit français et reviennent ensuite avec un enfant fruit d'une convention de maternité de substitution (convention de gestation pour autrui - GPA). Comme la pratique est tolérée dans le pays d'où elles reviennent, c'est même pour cela qu'elles ont fait le voyage, elles se prévalent du caractère licite de leur comportement sur ces cieux-là et de l'acte d'état civil qui a été établi dans ce pays, par exemple en Californie, en Inde, en Thaïlande, au Népal (suivant leurs moyens financiers), acte qui mentionne un lien de filiation entre l'enfant et eux-mêmes.

Pour l'instant les Législateurs sont comme "assommés" par cette déferlante de désirs d'enfants sur-mesure offerts par des agences, qui affirment que "chacun a droit à l'amour d'un enfant" et qu'il suffit de leur verser environ 100.000 euros pour avoir l'enfant tant rêvé, les États devant plier devant ce projet privé de parentalité et ce bonheur familial qui s'ajuste avec l'efficacité d'un marché mondial, contre lequel il serait illusoire de lutter.

La Cour de cassation a rendu le 3 juillet 2015 deux arrêts qui opèrent un revirement de sa jurisprudence, laquelle excluait toute transcription des actes d'état civil ainsi établis à l'étranger sur l'état civil français, en posant que l'homme, "père biologique de l'enfant", qui déclare celui-ci à l'étranger comme son enfant, a le droit de faire transcrire cette mention sur l'état civil français, peu important que l'enfant soit issu d'une GPA. La portée de ces arrêts demeure incertaine.

L'arrêt que vient de rendre la Cour d'appel de Rennes le 28 septembre 2015 apporte de la clarté. Il se met dans les roues de l'opinion développée par Monsieur Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation.

Il affirme que lorsque l'état civil établi à l'étranger mentionne également comme "mère" la conjointe du "père biologique", laquelle n'est pas la femme qui a porté l'enfant, la mention n'est pas conforme à la réalité et qu'il faut en conséquence annuler la transcription de l'état civil établi à l'étranger sur l'état civil français.

C'est une solution qui protège la mère. Protège-t-elle l'enfant ?

Dans cette affaire, deux transcriptions avaient été contestées devant les juridictions.

Tout se passe à Nantes, parce que Nantes est l'endroit où les états civils établis à l'étranger sont transcrits sur l'état civil français.

Il est désormais acquis que l'homme, qui a recours à une femme pour obtenir un enfant après avoir fourni ses gamètes et qui après en avoir obtenir livraison l'a déclaré comme étant son enfant sur l'état civil tenu à l'étranger, peut obtenir la transcription de cette mention sur l'état civil français. 

C'est le sens indéniable des deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 3 juillet 2015.

L'incertitude demeurait sur la solution à apporter lorsque l'état civil établi à l'étranger mentionne non plus seulement le "père biologique" mais encore son conjoint (femme ou homme), qui n'a pas porté l'enfant. Ce conjoint peut également été mentionné sur l'état civil établi à l'étranger, comme "mère" ou comme "second parent". Cette mention peut-elle/doit-elle aussi être transcrite ? Le fait n'était pas dans les cas soumis à la Cour de cassation, cela demeurait incertain. Désormais, la solution est clairement négative (I).

On comprend que les juges du fond ont suivi non pas tant les deux arrêts eux-mêmes, mais l'avis du Procureur général, Monsieur Jean-Claude Marin, qui excluait une telle hypothèse en exigeant toujours un "lien biologique", ce qui entraîne l'annulation d'une transcription lorsqu'il ne s'agit que d'une relation affectueuse, d'un "projet de parentalité" et autre "parent d'intention".

Mais ce faisant, cette jurisprudence, heureuse dans ses effets protecteurs pour les femmes en tant qu'elles luttent contre leur effacement radical de leur existence maternelle, expose néanmoins les femmes et les enfants par le critère retenu, là aussi par emprunt au raisonnement du Procureur général, à savoir le lien biologique paternel, alors que c'est le fait que les enfants ne sont pas du "matériel humain" qui devrait fonder tout le système (II).

 

I. L’IMPOSSIBILITÉ AFFIRMÉE DE TRANSCRIRE DES FILIATIONS A L’ÉGARD DE PARENTS CONTRACTUELLEMENT POSES

 

Les maternités de substitution sont des pratiques organisées par des entreprises internationales, des "agences", qui mettent en contact les demandeurs, porteurs d'un projet d'enfant, et les offreurs, des femmes qui s'offrent pour faire advenir un enfant correspondant à ce désir. Les femmes sont choisies, sélectionnées, suivies médicalement et reçoivent une contrepartie financière. Des mouvements féministes néo-libérales protestent actuellement, en estimant que dans l'enveloppe financière globale auquel correspond l'enfant, soit environ 120.000 euros si l'opération se déroule aux États-Unis, elles ne reçoivent que la part congrue, alors qu'elle fournisse le travail principal.

A. La situation américaine d'une parentalité contractuelle

Le système ne fonctionne que grâce à la puissance d'organisation des agences d'une part, toutes situées à l'étranger et opérant principalement sur Internet et grâce au mécanisme du contrat, les parties prenantes prenant des engagements par un groupe de contrats. 

Ce sont des clauses contractuelles qui posent que la femme qui porte l'enfant n'en est pas la mère et que les personnes qui lui versent une contrepartie financière sont les "parents" de l'enfant. C'est à ce titre par exemple que, par une autre clause, c'est à eux de prendre une décision d'IVG s'il apparait que le fœtus est mal-formé. 

Le droit américain, sans doute parce qu'il donne au droit contractuel une grande puissance et conçoit la famille comme une sorte de "projet personnel", a intégré la notion de "parent d'intention" : est parent celui qui a l'intention de l'être.

Par contrat, il est donc possible de se substituer à la femme qui est la mère de l'enfant, dès l'instant qu'elle n'a pas "l'intention de l'être". Il s'agit d'un "déni contractuel de grossesse". L'on observe d'ailleurs fréquemment un désinvestissement et des dénis de grossesse encouragés par les agences, afin que le transfert de l'enfant s'opère plus aisément au profit de ceux qui désirent être les "vrais parents".

Il s'agit d'une "parentalité de convenance" au sens où le lien de filiation ne repose plus que sur la convention, sur le consentement des uns et des autres : le consentement des uns pour n'être plus parent (la mère dit qu'elle n'est pas la mère) et le consentement des autres pour le devenir!footnote-349.

 

B. Le refus européen d'une parentalité de convenance

La Cour d'appel de Rennes s'oppose aux jurisprudences américaines mais se situe dans la lignée des jurisprudences européennes, y compris la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme.

Alors que les juridictions américaines considèrent que les femmes offrent à travers leur grossesse une prestation!footnote-350, l ,l'administration fiscale américaine réclamant logiquement sa part dans cette activité économique réductible aux autres, les juridictions européennes raisonnent différemment.

La Cour européenne des droits de l'Homme a posé dans deux arrêts de section du 26 juin 2014 que les États signataires de la Convention sont légitimes à prohiber la pratique des maternités de substitution et à poser la nullité absolue des conventions qui lui donnent forme juridique.  Par ces deux mêmes arrêts, la section de la Cour européenne a néanmoins posé que lorsque l'homme qui a déclaré l'enfant issu de GPA sur l'état civil établi à l'étranger est le "père biologique" de celui-ci, alors ce lien biologique ne peut pas être méconnu par l’État, qui doit admettre ce lien. Cette reconnaissance doit prendre la forme d'une transcription sur l'état civil français du lien biologique entre le père et l'enfant. Cela, mais pas plus. Les arrêts de section de la CEDH ne reprennent pas la solution américaine imposant un lien de filiation entre l'enfant et ses "parents d'intention". La CEDH n'admet pas la parentalité de convenance, ne laisse pas la filiation au contrat.

Le Tribunal fédéral suisse a pris deux arrêts, l'un du 30 mai 2015, explicité par le Tribunal en juillet 2015, l'autre le 14 septembre 2015, en affirmant que par principe les enfants ne sont pas des "commodités" (au sens anglais de commodities, c'est-à-dire des "matières premières", les marchés des matières premières ayant été les premiers à s'organiser et à s'internationaliser). Il en déduit que si un lien de filiation mentionné sur l'état civil établi à l'étranger peut être transcrit sur l'état civil suisse entre l'enfant et son père biologique, il ne peut l'être entre l''enfant et le conjoint de celui-ci. La Suisse est signataire de la Convention européenne des droits de l'Homme. 

La Cour de cassation française, par deux arrêts de l'Assemblée Plénière du 3 juillet 2015 ne se comprennent qu'à la lecture de l'Avis formulé par le Procureur général!footnote-351. Il apparaît que la transcription sur l'état civil français peut être imposée par ceux qui ont été réaliser une GPA à l'étranger que dans la mesure où il y a un lien biologique entre l'homme qui déclare l'enfant et celui-ci. A la lecture de l'Avis, une telle transcription ne peut s'opérer au bénéfice du conjoint, femme ou homme, du père biologique.

C'est pourquoi la Cour d'appel de Rennes a annulé une transcription faite au bénéfice des deux membres du couple qui avait eu recours à une GPA.

L'Europe s'oppose donc aux États-Unis. L'Europe ne laisse pas la filiation à la puissance du contrat. L'Europe ne laisse pas la puissance des contractants, c'est-à-dire de fait la puissance des agences et de leurs conseils qui rédigent les contrats d'adhésion, effacer les mères. 

S'il y a un pourvoi, et comment n'y en aurait-il pas un, la Cour de cassation ne pourra que tenir, puisque c'est d'elle que la Cour d'appel de Rennes a tiré la solution qu'elle a adoptée le 25 septembre 2015.

On peut s'en réjouir, parce que les femmes et les enfants ne sont donc pas abandonnés à la "loi contractuelle", réduits à être de la matière première pour réaliser les "désirs" de plus puissants d'eux.

Il faudra néanmoins aller plus loin, car le privilège laissé par les juridictions aux hommes demeure.

 

 

II. LA NÉCESSITÉ DE DÉTRUIRE LE PRIVILÈGE MASCULIN  DE S'OFFRIR DES ENFANT

 

Pour justifier l'annulation prononcée de la transcription sur l'état civil français, les juges de la Cour d'appel de Rennes se fondent sur l'article 47 du Code civil qui visent les qualités formelles attendues des mentions de l'état civil établi à l'étranger, notamment en ce que celles-ci doivent correspondre à la "réalité".

Dans les deux espèces, les juges estiment que les actes de naissance " ne reflètent pas la vérité quant la filiation maternelle des enfants, en désignant comme mère l’épouse du père biologique en ce que celle-ci n’a pas accouché de l’enfant ». Les actes ainsi établis à l'étranger ne peuvent donc "faire foi", selon l'article 47 du Code civil, ce qui interdit la transcription sur l'état civil français.

Cela signifie que de fait les hommes peuvent aller s'offrir le bénéfice d'un bébé choisi sur catalogue en fournissant leur gamète, alors que les femmes ne peuvent pas. Beaucoup y voient un triomphe de la "domination masculine". En effet, si le "lien biologique" suffit, que la théorie de la fraude est irrecevable, si le fait de la maternité de substitution est indifférent, par exemple l'homme qui a pratique une centaine de convention parce qu'il en avait le désir, sa situation de milliardaire le lui permettait, ne pose pas problème.

Il y a certes une cohérence dans la solution jurisprudentielle française mais son effet est malheureux puisqu'elle offre aux hommes le pouvoir de s'offrir sous couvert de la fourniture de quelque matériel génétique des femmes et des enfants, disponibles. 

Cette cohérence n'existe pas dans la solution suisse car le Tribunal fédéral suisse pour respecter les arrêts de section de la CEDH admet la transcription du lien entre l'enfant et le père biologique mais s'il exclut la transcription pour le conjoint, c'est au nom de la dignité de la personne humaine, de son indisponibilité absolue. Mais si la personne est indisponible à autrui, alors seule l'impossibilité d'une transcription opposée à tous, y compris aux hommes ayant un lien biologique est cohérente. Ne pas le poser revient à légaliser de fait la pratique de la maternité de substitution, mais à ne la légaliser au profit des hommes.

Côte mal taillée, alors que le sort des personnes est en jeu.

Il est vrai que l'Italie, condamnée dans l'affaire Paradiso par un arrêt de section analogue à ceux du 26 juin 2014 ayant condamné la France, a formé un recours devant la Grande Chambre de la CEDH et la Cour peut défendre les personnes contre le désir que de plus puissants qu'eux ont d'elles. L'Europe pourra ainsi montrer les valeurs fondamentales sur lesquelles elle s'est construite, c'est-à-dire la notion même de Personne, laquelle se définit par son indisponibilité, principe qui met tout être humain à l'abri de la puissance d'autrui.

Nous verrons.


 

 

1

C'est l'inverse absolu de la sagesse de Confucius qui, pour remettre de l'ordre affirmait : "il faut désigner la mère comme mère et le fils comme fils".

2

Sur l'état du droit américain, v. Fabre-Magnan, M., La gestation pour autrui. Mythes et réalité, 2013.

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