L’on présente la situation de GPA en disant souvent qu’elle est « complexe », ce qui implique mille réflexions avant d’avoir une opinion nette, voire que cela exclut d’en avoir une. La position adéquate serait bien plutôt de dessiner de multiples solutions : parce qu’il y aurait tant de cas possibles, mille cas possibles, allant de la plus horrible des situations à la plus admirable, ce qui doit impliquer mille solutions adaptées à chaque cas, de l’exclusion horrifiée dans certains cas à l’admission enthousiaste dans d’autres. Mais de position de principe, non, cela serait tout à la fois impossible, car réducteur de la réalité humaine et inadéquat, car cette réalité serait si « complexe ».
Cette complexité ne serait comprise que par quelques experts qui diront ce que l’opinion publique doit penser, experts qui raconteront les cas qu’ils connaissent dans leur diversité, puisque la GPA relève de leur domaine d’expertise. Ainsi la GPA serait une question d’expertise, dont nous ne devrions pas avoir souci en ce que cela ne concerne que quelques milliers de cas, qui ne peut être véritablement comprise que de professionnels en médecine ou en droit de la famille, et qui doit recevoir des centaines de solutions adaptées à chaque cas, solutions élaborées par ces experts.
Cela est faux. La situation de GPA est simple. Et la position qu’elle appelle est également simple. Il faut faire un choix : dire Oui à la GPA ou dire Non à la GPA. C’est non seulement aisé à faire mais c’est pour nous un devoir de le faire car à travers ce cas qui paraît si particulier de la GPA c’est un choix de société qui s’opère et dont les citoyens ne peuvent être exclus, puisqu’il s’agit de déterminer quelle est la place de l’être humain dans l’organisation économique et sociale.
La réponse positive, qui conduit à admettre la pratique de la GPA, comme la réponse négative, qui conduit à exclure cette pratique, peuvent être formulées. Les deux réponses peuvent être étayés sur des arguments forts. Il est essentiel de ne pas les craindre. Mais il est aujourd’hui crucial de faire ce choix collectif clairement car à travers cette question qui paraît particulière et circonscrite de la GPA, c’est un choix de société qui est fait aujourd’hui et maintenant.
Si nous ne le faisons pas explicitement, par le seul jeu de nos comportements qui se superposent sur nos silences, nos ambiguïtés, notre lâcheté aussi qui se dissimule sous le prétexte de ce qui serait le discours de la "complexité", le choix se fera de lui-même.
Il est déjà en train de se faire : parce que nous n’avons pas le courage de dire clairement ce que collectivement nous voulons comme modèle de société pour nous êtres humains, nous coulons doucement vers une acceptation jour après jour, cas après cas, émiettement de règles après émiettement, exception après exception, vers un Oui.
Et pourquoi pas ? Pourquoi ne pas dire Oui à la GPA ? Il y a des arguments pour l’admettre. Mais il faut le faire clairement. En l’assumant. Dire Oui. Aller vers cette société-là.
Ou bien, si l’on ne le veut pas, parce que la GPA implique nécessairement un statut de la femme, de l’enfant, de l’être humain, et de l’organisation sociale, que l’on ne veut pas, alors il faut dire Non. Et cela aussi, il faut l’assumer.
Il faut dire, savoir dire Oui comme il faut savoir dire Non. C’est cela être responsable. Dans une société libérale, nous devons exprimer notre volonté et dire clairement ce que nous voulons.
Pour une question si importante, cette situation apodictique de la GPA conduisant à déterminer ce qui constitue la valeur d’un être humain, il n’est pas admissible de répondre à la fois Oui et Non, comme il n’est pas admissible de répondre ni Oui ni Non.
Il faut répondre nettement si le Droit, qui exprime et garde les valeurs fondamentales d’une organisation sociale et y place les êtres humains qui la composent, admet ou n’admet pas cette pratique. Oui ou Non.
Pour l’instant, à cette question il n’est plus répondu. Alors qu’il est admissible de répondre Non, qu’il est admissible de répondre Oui, il n’est pas admissible de ne pas répondre.
L’enjeu actuel n’est donc pas d’être pour ou d’être contre. L’enjeu est d’exiger que chacun assume sa position et qu’à partir de là, en raison de l’ampleur de la question générale impliquée par la situation particulière de la GPA, le Droit, le corps social et le Politique décident de la réponse, qui donne la place de l’être humain dans le système économique et social.
Ainsi, la Californie a choisi de répondre Oui, renvoyant à un certain modèle d’organisation économique et sociale. Que va faire l’Europe ?
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La GPA est un sigle qui désigne une pratique consistant pour une personne à obtenir d’une femme son consentement pour qu’elle porte un enfant et qu’à la naissance de l’enfant elle le lui remette afin qu’un lien de filiation soit établi entre l’enfant et celui ou celle au bénéfice duquel ce service a été demandé.
L’on peut présenter cela d’une façon plus technique, plus diverse, plus imagée, plus détaillée, mais cette pratique revient toujours à ce cas de figure. Cette façon de faire consistant dans cette proposition et l’acceptation qui en est faite, l’enfant qui en résulte et le lien de filiation qui est noué n’a pas besoin de technologie ni même de médecin. Cet accord sur un tel projet suffit. Le procédé est ancien. Le désir d’enfant est de tout temps. Les femmes fertiles et disponibles sont présentes depuis toujours. La rencontre se fait, de nombreux récits le relatent.
Par l’exercice de leur pouvoir général de qualification, les tribunaux ont désigné cette pratique par l’expression de « convention de mère-porteuse », puis les lois l’ont appelée « convention de gestation pour autrui », puis tout le monde a pris le raccourci du sigle : GPA.
PREMIERE PARTIE
L’ENJEU D’UNE POSSIBLE SOCIÉTÉ CONSTRUITE SUR LES SEULS CONSENTEMENTS
La GPA illustre un possible changement vers une société dont le seul socle d’organisation serait les « consentements » (I). La notion de consentement est aussi ancienne que celle de « volonté » mais la pratique de la GPA est devenue industrielle, le changement quantitatif ayant produit une transformation qualitative (II).
Prenons une première chronologie. Il est essentiel de garder à l’esprit cette chronologie des volontés et des phases qui se succèdent. Par la suite, les changements quantitatifs bouleverseront cette chronologie.
Dans un premier temps dans l’esprit d’un être humain adulte, seul ou en couple, existe un désir d’enfant. Dans un deuxième temps ce désir d’enfant se transforme en demande d’avoir un enfant nouveau-né ressemblant à cet adulte qui ressent ce désir, un enfant issu donc de ce désir. Dans un troisième temps cette demande trouve une acceptation pour la satisfaire. La rencontre des consentements s’étant opérée, celle-ci a ultérieurement dans un quatrième temps pour résultat la venue au monde d’un enfant.
Ce n’est que dans un cinquième temps que l’État est requis, lorsque par la suite un lien de filiation doit être établi, entre l’adulte demandeur d’enfant et l’enfant. Une situation de fait s’est constituée entre l’adulte et l’enfant désiré par celui-ci. L’État est alors présent dans ce dernier temps car seul l’État détient le pouvoir de lier les personnes par le lien de filiation.
Ainsi dans une première chronologie et dans une perspective plus juridique, c’est une sorte de valse à deux ou à trois temps. En effet, le temps du « désir d’enfant » n’est pas juridique. Il est hors du Droit. Le premier temps est celui d’une demande d’enfant, qui rencontre une acceptation (formation de l’accord entre les adultes consentants), le second temps est celui consistant à porter l’enfant, à l’accoucher, à le remettre (triptyque consistant dans l’exécution de l’accord).
Dans ces deux premiers temps juridiques, la première volonté est celle d’un adulte qui veut un enfant, qui rencontre une personne qui peut engendrer celui-ci et qui consent à concrétiser le désir d’enfant de la première personne. L’enfant n’est lui-même qu’un temps dans le processus mais dans la chronologie des volontés, l’enfant est normalement le point final. En effet, après sa naissance, dans un troisième temps déconnecté, les adultes s’avisent de se soucier de la situation juridique de l’enfant et, comme s’ils la découvraient, se tournent alors vers l’État pour demander l’établissement de la filiation de cet enfant. L’établissement de la filiation, affaire d’État, est donc un mécanisme autonome de l’affaire privée du désir d’enfant et de la satisfaction de celui-ci par l’accord entre adultes.
Mais cela n’est pas exact dans les faits. En effet, et dès le départ, la GPA est une opération non pas à deux temps mais à trois temps : la concrétisation du désir d’enfant n’est pas le désir isolé d’un enfant qui naît et qui sera éduqué par les soins de l’adulte qui a demandé sa venue, mais le désir d’avoir un enfant à soi, un enfant rattaché par un lien de filiation à l’adulte. Le processus n’est donc pas achevé par la seule naissance ; il n’est réussi que par ce troisième temps qui est l’établissement d’un lien de filiation entre l’enfant qui est né et l’adulte qui a désiré sa venue.
Ce troisième temps est d’ailleurs prévu et inclus dans le départ dans la situation de GPA. Or, toute la difficulté technique de la GPA tient dans ce que ce troisième temps de l’établissement de la filiation n’est pas maîtrisé par les individus qui ont échangé leurs volontés particulières et leurs consentements : ce recouvrement du lien entre l’adulte et l’enfant désiré par un lien de filiation relève du seul État puisque celui-ci a le monopole d’attribution des filiations et qu’il est impossible d’attribuer des filiations par conventions privées.
Sans qu’il soit besoin de porter le moindre jugement éthique, il est donc essentiel de distinguer le moment où les adultes s’accordent sur ce qui leur conviennent, ce que l’on pourrait appeler l’amont de la situation, du moment où l’État exerce son pouvoir de revêtir le lien entre les adultes et l’enfant, ce que l’on pourrait appeler l’aval de la situation.
C’est bien là où le bât blesse, car certains systèmes juridiques et sociaux admettront que l’amont intègre virtuellement cette attribution de filiation et d’autres excluront ce mélange des genres entre l’amont d’un échange des volontés privées entre des adultes et l’aval de l’attribution d’une filiation par un État.
En effet la GPA est avant tout un « projet », c’est-à-dire une projection dans l’avenir, revendiqué comme telle : les adultes qui sont actifs dans la GPA ont un « projet », un « projet d’enfant », tandis que la femme qui s’y prête y est passive. Cela est toujours souligné par les personnes qui revendiquent la licéité de la situation : les personnes qui désirent l’enfant en ont formé le « projet », se « projettent » comme « parents », tandis que la femme qui le porte et en accouche est passive et affirme n’entendre pas être la mère de l’enfant.
Si l’on suit cela, et pourquoi pas, il faut par méthode continuer de suivre la description faite par les promoteurs de la pratique de la GPA, en cherchant quel est ce « projet » qui est toujours à l’œuvre dans toute GPA ?
En termes plus juridiques, il faut rechercher la « cause finale » ou si l’on s’exprime d’une façon plus moderne, ou anglo-saxonne ou européenne, plus contextuelle, développant alors une « analyse « téléologique » : effectivement, chaque phase n’a de sens qu’au regard de la fin poursuivie. Or, la fin poursuivie n’est pas la grossesse, qui n’est elle-même qu’un moyen ; la fin poursuivie n’est pas même la naissance de l’enfant, mais bien l’établissement d’une filiation entre l’adulte qui veut un enfant et un enfant qui n’existe pas encore.
Pour l’obtention du vrai objet du désir, c’est-à-dire la filiation entre l’enfant désiré et l’adulte qui désire sa venue, il faut qu’un enfant naisse. Pour cela, en amont il faut nécessairement qu’une femme le porte et l’accouche, comme en aval il faut nécessairement qu’une autorité publique (juge ou/et officier d’état civil) crée un lien de filiation entre le nouveau-né et le porteur du projet d’enfant.
C’est pourquoi la convention, le contrat, l’arrangement, peu importe le terme et ses variantes, est toujours l’instrument adéquat, car il est par essence l’instrument juridique de la prévision, celui par lequel les individus peuvent se mettre d’accord pour se projeter dans l’avenir.
Pour l’instant, on ne peut pas faire d’enfant sans femme (amont) et on ne peut pas faire de filiation sans État (aval). Les personnes qui ont un « désir d’enfant » et qui ont un « projet d’enfant » sont donc bloqués entre cet amont et cet aval.
Cela impose à ces porteurs d’un projet qui leur est propre deux contraintes absolues, l’un en amont et l’autre en aval, contraintes qui les brident dans leur projet apte à concrétiser leur désir d’enfant. Comme dans toute « entreprise », il convient pour les intéressés de transformer les contraintes en opportunité et en partenariat.
En effet, pour avoir un « enfant à soi », l’on ne peut pour l’instant éliminer les deux besoins, amont et aval : avoir besoin d’une femme - pour porter l’enfant et pour l’accoucher , faute de quoi l’enfant n’apparaît pas - et avoir besoin d’un État - pour relier l’enfant aux porteurs du projet d’enfant par une filiation - à soi avant ou après l’apparition de l’enfant.
La première transformation de la contrainte en opportunité est assez facile à opérer, en raison du nombre de femmes consentantes disponibles. La seconde est plus difficile, en raison du nombre d’État qui se refusent à attribuer une filiation en situation de GPA. Or, c’est la filiation qui est convoitée et c’est donc non seulement le consentement des femmes qui sera sollicité, par la convention, mais encore le consentement des États, par la loi générale ou par des jugements particuliers.
Mais les types de volontés, celle des femmes et celles du Législateur ou des tribunaux, ne sont pas de même nature. Dans le premier segment de la chronologie des volontés, sont à l’œuvre des volontés privées, à propos desquelles – si l’on est favorable à la pratique de la GPA - l’on pourrait soutenir que les adultes font ce qu’ils veulent, les femmes pouvant à leur guise donner leur corps et leur enfant à d’autres, le plus souvent plus riches et plus puissants, dont elles désirent faire le bonheur ou qui leur donnent des contreparties qui leur conviennent.
Mais dans le second segment de la chronologie des volontés, c’est la volonté de l’État qui détient le monopole des filiations et qui ne peut pas n’être qu’un agent d’exécution des contrats dont l’objet est l’établissement d’une filiation sans que sa propre volonté étatique intervienne. En effet, la volonté se définit par le pouvoir de décider et de choisir. Or, si l’État n’est plus que celui recopie l’expression de la volonté privée de deux personnes privées d’établir un lien de filiation entre un adulte et un enfant, alors il ne décide plus de rien, c’est-à-dire qu’il renonce à exercer sa volonté, pour devenir un scribe de volontés particulières.
Dans un tel schéma, un transfert de volonté aura été opéré de l’aval vers l’amont, de la personne vers l’État, devenu scribe, vers les personnes privées devenues titulaires du pouvoir politique d’établir les filiations, à charge pour l’État de le recopier par la suite sur ses registres, donnant simplement une opposabilité absolue à l’acte sous seing privé préalablement élaboré.
Un tel renversement est sans doute concevable dans des systèmes juridiques où l’État est simplement conçu comme une externalité de gestion optimale – ce qui est le cas de la Californie, ou bien où l’État est trop faible pour revendiquer sa puissance normative – ce qui est le cas au Laos, par exemple.
Mais la nécessité de ce que doit être l’État dans une démocratie libérale explique pourquoi en Europe les États continentaux ayant développés une conception forte de l’État de droit se sont opposés à de telles conventions. Pour deux raisons. La première raison tient au fait que dans la tradition européenne, même dans le premier segment des volontés privées, lorsque des adultes se mettent d’accord pour qu’un enfant soit engendré pour être cédé à la naissance, même s’il n’est pas vendu, même si c’est pour faire le bonheur d’un proche, même si l’enfant sera très heureux dans ce foyer, l’État se mêle des affaires privées des personnes car il est gardien de certains principes, comme le fait que les êtres humains ne sont pas des choses et ne peuvent pas être cédées, ni la mère ni l’enfant, même sans contrepartie financière.
L’on peut concevoir les choses autrement pour l’avenir car les traditions peuvent n’être pas conservées mais en Europe l’on concevait les relations entre les êtres humains ainsi et l’État en était le gardien. Cela peut changer si la population veut changer la définition de l’être humain et des droits que celui-ci a sur lui-même et sur autrui. Cela dépend notamment du crédit qui est fait au « consentement » des personnes en situation de faiblesse ou qui ne sont pas encore nées.
La seconde raison tient au fait que le but de l’ensemble des consentements entre les adultes mis en contact avec les entreprises et professionnels spécialisés est de nouer un lien de filiation entre l’enfant et l’adulte ou le couple qui a désiré sa venue. Or, dans ce second segment des volontés, parce qu’il s’agit de la filiation, c’est une affaire d’État. L’État n’est pas le scribe qui sous la dictée prend acte de la volonté des adultes d’avoir par un rattachement pour enfant tel ou tel individu. L’État par son officier d’état-civil reçoit des informations apportées par des personnes qui sont les parents ou des témoins de la naissance d’un enfant et par un acte de puissance publique il noue un lien dont les adultes ne disposent pas, insérant l’enfant dans le groupe familial, dont par exemple l’enfant portera le nom. L’enfant est ainsi inscrit, ancré par l’État.
Cet état du Droit peut plus difficilement évoluer car cela suppose que l'État s’efface complètement devant la volonté des personnes privées et que celles-ci disposent à leur volonté non seulement d’elles-mêmes et de leur corps, mais encore de leur ancrage social, de qui est leur enfant, de qui est leur parent, de leur généalogie, c’est-à-dire de la société d’une façon générale. La société deviendrait alors entièrement structurée d’une façon horizontale, puisque le contrat est un instrument horizontal, chacun pouvant réaliser à sa volonté son groupe familial et social.
A travers la situation particulière de la GPA, la structure de la société perd sa nature verticale pour adopter une nature horizontale, le modèle contractuel devenant l’unique référence de l’organisation sociale. L’État étant le technicien qui transcrit la volonté particulière qui élabore la famille qui lui convient le mieux Cela n’est pas inconcevable, mais c’est un choix qu’il convient d’opérer clairement.
Ce qui est aujourd’hui en jeu c’est donc non seulement l’expulsion de l’État dans le premier segment des volontés par l’affirmation comme quoi ce sur quoi des adultes s’accordent cela serait leur seule affaire, leur seule vie privée, dès l’instant qu’elles y consentent, l’intrusion de l’État dans la sphère de leur vie privée étant une atteinte à leur liberté individuelle, à la disponibilité qu’elles ont d’elles-mêmes et de leur vie, mais encore, voire surtout, l’enjeu pour l’avenir est l’expulsion de l’État dans le second segment des volontés par l’affirmation comme quoi l’État n’a pour fonction que de transcrire sur les registres qu’il tient la filiation qui résulte des liens ainsi noués librement dans la première phase et qu’il devrait recueillir d’une façon neutre. Si l’on admet le principe de la GPA, alors l’État n’inscrira plus rien, il recopierait ce que les personnes ont voulu : la filiation serait toute entière contenue dans la volonté des adultes de faire advenir l’enfant, par le projet qu’ils ont eu de lui.
De cette façon, l’État est expulsé de sa fonction institutionnelle fondamentale consistant à placer les individus dans le groupe social. Si l’on en arrive là, à propos de cette pratique de la GPA, l’on en arrive à une révolution sociale : l’État ne serait plus qu’un scribe reproduisant sur des registres les traces publiques de ce qu’ont voulu des volontés individuelles qui s’ajustent pour concrétiser des projets. Ici un enfant désiré, demain ce que d’autres volontés désirent et obtiennent d’autres prestataires qui consentent à fournir d’autres commandes. L’État tient simplement les registres probatoires des seuls actes de volontés que seraient désormais les contrats.
En cela, ce qui peut arriver via la GPA est un nouveau mode de société.
Pourquoi pas. Il faut en mesurer les conséquences, le prix à payer pour les uns et pour les autres. Et via la GPA dire Oui ou dire Non à ce nouveau modèle social.
Ce n’est qu’après avoir répondu à cette question simple, Oui ou Non, admettons-nous la pratique de la GPA et à travers elle le modèle social, économique et politique qu’elle implique, qu’il faut se poser la question de savoir si en Droit nous avons les moyens de soutenir le « Oui » ou de soutenir le « Non » par lequel nous avons répondu à la question.
La question n’a pas toujours été si nettement et simplement posée. Peut-être par tactique, beaucoup de discours posant que « la question ne se pose pas », puisque la GPA étant interdite la réponse est donc « Non », alors même que dans le même temps il est aussi affirmé que « la question ne se pose pas » puisque la globalisation nous permet d’avoir des enfants autant qu’on veut et comme on veut … Il est tout de même étrange que cette question sans doute la plus importante pour l’avenir de notre société nous soit si souvent présentée comme ne se posant pas et que nous soyons donc privés d’y répondre…
Il faut au contraire y répondre, librement y répondre, le faire fermement, au besoin dire « Oui », avoir encore l’espoir de pouvoir dire « Non ».
La question de l’admission de principe ou de rejet de principe de la GPA est éminemment « qualificative », en ce qu’elle implique le principe de disponibilité d’un être humain à tel point que celui-ci puisse disposer totalement de lui-même, totalement de son corps, totalement de l’être qui s’y développe, totalement d’un autre être humain, totalement de l’État, et cela à une condition autour de laquelle tout tourne, condition qui serait toujours nécessaire mais qui serait toujours suffisante : le « consentement ».
Par la « société du consentement » qui se met ainsi en place et dont la GPA est le bastion avancé, tout deviendrait possible dès l’instant que la personne dont une des valeurs est désirée (ici la capacité à engendrer) par un autre dès l’instant qu’elle y consent. Cela remet en cause l’État dans sa fonction première d’organisation sociale, fonction recouverte par cette société des consentements dont il ne pourrait plus que prendre acte. C’est cela qui est en train de se passer. Sommes-nous d’accord pour cela ?
Ce changement qualificatif est issu d’un phénomène quantitatif. C’est en effet quantitativement que la pratique de la GPA, qui n’est pas nouvelle, a pris une autre dimension. C’est par ce changement quantitatif de grande envergure que le changement qualificatif s’est opéré. Il a tenu dans deux mouvements principaux, tenant aux personnes impliquées et tenant aux localisations, deux mouvements qui vont jouer en dialectique.
Le changement quantitatif s’est opéré de tous les côtés. En premier lieu par le nombre d’êtres humains impliqués par cette pratique qui n’a rien de nouveau. Non pas tant par ceux impliqués dans cette rencontre que forment la femme qui engendre, la personne ou le couple qui désire un enfant à eux, et l’enfant au centre de cette rencontre et qui la justifie, mais par tous les professionnels qui sont apparus : médecins et avocats, cliniques et conseils, associations et intermédiaires.
Tout d’abord les êtres humains impliqués à titre non professionnels. Beaucoup plus de femmes pour porter l’objet du désir : l’enfant dont le projet est dessiné et qui viendra au monde pour combler le désir qu’une personne en a. Beaucoup plus d’êtres humains impliqués dans la pratique : des médecins, des cliniques, pour suivre la santé de la femme qui porte et sans laquelle le projet ne peut aboutir, pour prélever l’ovocyte s’il y a disjonction entre la fourniture de l’ovocyte et du ventre, des avocats pour prévenir les contentieux ou les gérer, des juristes pour rédiger les contrats, les agences qui mettent en contact les êtres humains qui désirent les enfants et les femmes qui sont par avance d’accord pour se prêter au projet que les premiers en ont. Il en résulte beaucoup plus d’enfants. Des milliers.
Il y a donc à titre non-professionnel la femme, qui par nature a la possibilité entre le moment de la puberté et celui de ménopause la puissance de fait d’engendrer un enfant, la personne seule ou le couple qui désire un enfant et cela est un désir que beaucoup ont et qui n’est en rien illégitime en soi et l’enfant. Ces trois personnes ont toujours existé, mais l’enfant n’est que potentiel tandis que le désir qu’on en a a toujours existé. L’explosion quantitative tient à ce qu’on liait naguère la concrétisation du désir d’enfant avec l’aptitude physique à engendrer, c’est-à-dire l’existence d’une famille, l’enfant étant le résultat d’un couple. Une rupture dans ce triangle de fait, non pas nécessairement « naturel » mais de fait entre la femme féconde et un conjoint engendrant l’enfant, entraînait le renoncement à la venue d’enfant. Par exemple du fait d’un célibat, d’un couple homosexuel masculin, de la stérilité ou de la ménopause de la femme.
Puis sont venus les professionnels. C’est pourquoi la GPA est avant tout une affaire économique car il a fallu des business men qui aux États-Unis ont repéré une niche pour gagner de l’argent et c’est au titre du Droit des affaires que la technique de la GPA a vocation à être étudiée. Ces professionnels ont inventé l’offre de GPA. Car la GPA est une prestation de service, offerte par des agences qui en ont inventé le concept dans les années 85. C’est même un coup de génie, de ceux dont on se demande pourquoi personne n’y avait pensé avant.
Ces personnes extérieures et antérieures à ce triangle des porteurs du projet d’enfant, à la personne apte physiquement à engendrer et l’enfant qui est le projet d’engendrement, les professionnels aptes à concrétiser le désir de deux premiers, l’enfant étant l’être humain passif puisqu’il est l’heureux bénéficiaire d’un accord auquel il devra son existence même. Ces professionnels, principalement des médecins, n’ont pas inventé le « désir d’enfant » mais ils ont innové en inventant l’idée que ce désir pouvait toujours être satisfait. Car il y avait toujours un moyen de le satisfaire. Puisqu’il existe toujours une femme fertile quelque part. Quand on suit la jurisprudence, ce sont en Europe des médecins qui ont, les premiers, proposé d’être des intermédiaires tandis qu’aux États-Unis ce sont des hommes d’affaires qui ont directement élaboré l’idée.
Par ce même dynamisme, ces professionnels ont informé les femmes que ce qui leur paraissait un poids, à savoir leur fertilité, pouvait être un atout, soit pour apporter le bonheur à autrui, si le désir de faire plaisir était leur motivation, soit pour gagner de l’argent. Ainsi, ils avaient inventé la GPA à partir de deux malheurs, le malheur des uns de n’avoir pas d’enfant et le malheur des autres de n’avoir pas d’argent. En neutralisant ces deux malheurs, leur fortune fût faite. L’idée fût même avancée de soutenir qu’ainsi remerciements devaient leur être rendus.
Entre des personnes qui ne voulaient plus renoncer à leur désir d’enfants, ce qui n’est pas reprochable en soi, et des femmes qui étaient désormais d’accord pour porter l’enfant en échange d’une juste contrepartie financière, ce qui n’est pas davantage reprochable, des associations à but non lucratif constituées par des médecins ou par des hommes d’affaires ont permis leur rencontre en masse, prélevant largement sous une forme ou sur une autre sur les flux financiers allant des premiers vers les secondes. Des avocats ont rédigé les conventions. Les enfants sont nés, ont été déclarés avec une filiation entre l’enfant et ceux qui avaient souhaité leur venue.
Les cliniques se sont multipliées, les cabinets d’avocats se sont spécialisés, les process se sont technicisés pour transférer le plus précocement possible l’enfant et segmenter le plus possible les mécanismes. La Californie est le système actuellement le plus achevé puisque la filiation peut être transcrite au bénéfice des « parents d’intention » avant la naissance.
La construction de l’enfant est désormais segmentée. L’on peut distinguer la femme fournissant l’ovocyte de la femme portant l’enfant, cette segmentation pouvant aller de plus en plus loin, par exemple lorsque la femme ayant accouché fournit le lait maternel mais que celui-ci est donné au nouveau-né par celle qui a convenu avec la première d’être la mère de l’enfant, ou lorsque l’enfant pendant la grossesse est isolé du milieu familial de celle-ci dans le ventre de laquelle il est là et entouré des voix et milieux artificiellement reconstitués du foyer dans lequel il vivra, la femme étant donc traitée comme un utérus-machine, ce à quoi elle consent. La notion de « femme-objet » qui renvoie à une segmentation du corps de la femme en fonction de son utilisation a trouvé une nouvelle illustration.
Ainsi, les professionnels démultiplient les intervenants dans le processus et des notions comme les multi-parentalités ou la multi-maternité ont été proposées pour traduire ce phénomène. L’aspect contractuel ou conventionnel qui était au départ le socle de la chronologie a été effacé pour être remplacé par une formulation plus technique et donc plus « neutre » : la GPA a été présentée comme une technique, comme une technique nouvelle, comme une technique médicale nouvelle, comme une technique médicale nouvelle d’assistance à la procréation pour cause de stérilité.
Pour ce faire, il a fallu changer la définition de la stérilité pour que demeure un point de contact avec la pratique de la GPA. Cela fût fait, notamment par l’Organisation Mondiale de la Santé, la définition de la stérilité étant elle-même transformée pour devenir non plus l’impossibilité physique de procréer affectant des personnes en âge de le faire mais d’une façon plus générale toute personne ne pouvant pas le faire, quelle que soit l’origine de cette impossibilité. Par un tel changement de définition, le nombre de personnes « stériles », pouvant être aidées par cette technique médicale de procréation assistée que serait la GPA, était démultiplié puisqu’il suffit d’être âgé ou célibataire pour entrer dans la définition, devenue une définition médicale neutre.
Par cette médicalisation d’une pratique à la fois ancienne et très marginale, la GPA change de nature. Il peut alors s’agir d’une personne célibataire, ou trop âgée, ou un couple non hétérosexuel. La GPA cesse d’être définie d’une façon première comme une convention entre personnes consentantes pour la réalisation d’un projet. Elle devient alors une technique médicale parmi d’autres à propos de laquelle le Politique n’aurait pas son mot à dire. Elle constitue une « aide » que l’on apporte à une personne en souffrance puisqu'elle ne peut pas avoir d’enfant et qu’il faut pallier cette inégalité pour tous les moyens techniques disponibles, notamment médicaux, le Droit devenant lui-aussi résiduel.
Plus encore, arrive l’idée comme quoi il pourrait y avoir un « droit à la GPA », au titre du droit à l’accès aux techniques d’aide à la procréation médicalement assistée. Cela est juridiquement inexact mais cela permettrait de bilatéraliser la GPA et la PMA dans des débats approximatifs.
Par cette technicisation de la pratique de la GPA pour l’inclure tactiquement comme technique de PMA et la démultiplication des personnes utilisées, cette pratique a étendu son emprise, à travers notamment le consentement des femmes qui peuvent « venir en aide », notamment les femmes pouvant apporter leurs ovocytes et leurs « capacités gestantes », les techniciens médicaux et les cliniques se multipliant partout dans le monde, les implantations s’opérant partout.
C’est alors qu’apparaît le second effet quantitatif. Il tient précisément dans le nombre de localisations.
En effet au départ, cela se faisait « sur place », c’est-à-dire dans les familles. Depuis toujours, une sœur a porté un enfant pour la femme stérile et personne n’en a rien su, secret de famille, histoire de la Bible relatée aujourd’hui comme une sorte de preuve de licéité religieuse, qui ne montre que l’ancienneté d’une pratique faite dans le fond des alcôves du non-droit, là où l’on ne veut rien savoir, où l’on étouffe les cris tout en chuchotant les échanges.
Puis la pratique s’est étendue, des médecins prenant l’initiative de mettre en contact des adultes voulant avoir des enfants et des jeunes femmes disponibles pour les porter, l’accord prenant la forme d’une déclaration directe de l’enfant par les commanditaires, l’intermédiation prenant la forme d’association.
Interrogé par le Parquet, le juge a tranché par l’interdit. En s’appuyant sur les principes généraux du Droit, la Cour de cassation par son arrêt du 18 mars 1991, a posé que la convention de mère-porteuse est atteinte d’une nullité d’ordre public, car le corps de la mère est indisponible et qu’un enfant ne peut pas faire l’objet d’une convention, même à titre gratuit.
En réaction à cela, les professionnels ont proposé aux personnes d’aller à l’étranger dans des pays dont le système juridique admet ou tolère la pratique de la GPA. De très nombreux États européens refusant l’efficacité de la convention de mère-porteuse, les mêmes entreprises qui proposeront le service sur le marché domestique se sont implantées à l’étranger, dans tous les pays où la pratique est soit licite, soit tolérée par la loi. Au fur et à mesure les pays ont adopté des lois nouvelles interdisant la pratique de la GPA, ce que font les pays pauvres au fur et à mesure que les entreprises de GPA ravagent leur population, celles-ci ont été dans des pays de plus en plus pauvres.
Les porteurs de projet d’enfant ont suivi les entreprises. En effet en contrepartie de l’argent versé, les entreprises garantissent qu’immédiatement de retour chez eux les « parents d’intention » seront les parents reconnus par le Droit national des enfants obtenus par une convention de GPA.
C’est actuellement ce que les entreprises peuvent effectivement offrir aux adultes européens. Car de fait il suffit d’aller sur un site et chacun peut devenir le parent d’un enfant enfanté selon ses désirs et reconnu comme tel par le Droit français. Ainsi l’enfant sera le sien en ce qu’il l’aura désiré et comme il l’aura désiré. La pratique particulière de la GPA pose donc dramatiquement mais clairement la question du principe même de la place de l’être humain dans notre société. C’est pour cela qu’il ne faut pas éviter la question.
DEUXIÈME PARTIE :
LA GPA pose la question du PRINCIPE DE NOTRE SOCIÉTÉ :
L’individu a-t-il une valeur en soi ou a-t-il pour valeur ce que l’autre désire en lui ?
Si nous posons que la GPA est une pratique licite car des adultes y consentent et que cela suffit pour fonder cette pratique sociale, le Droit étant là pour lui donner la sécurité dont elle a besoin, notamment dans l’intérêt de l’enfant, alors c’est le principe de la société qui se dégage : les liens aussi fondamentaux que les liens ascendant entre les êtres humains sont de l’ordre des volontés particulières et l’individu trouve sa place dans la société non pas par l’assignation qu’en fait l’État ni par une valeur qu’il aura « en soi », ce dont l’État et le Droit seraient les gardiens « en soi », mais dans la valeur que lui accorde autrui. Ici, le désir qu’un être humain a d’avoir un enfant ; le désir qu’une personne a qu’une femme utilise sa puissance d’engendrer à son bénéfice. Ainsi la personne de l’enfant et la personne de la femme n’ont pas de valeur « en soi » mais en tant qu’ils correspondent à un désir du demandeur d’enfant. Poser que la personne de la femme et de l’enfant n’ont pas de valeur en soi mais n’ont de valeur qu’à la mesure du désir qu’on a d’eux est un principe radical, signe d’une société dans laquelle nous ne pouvons assumer d’entrer.
Mais il faut avoir l’audace de le faire. Les entreprises californiennes de GPA le font, qui appellent les femmes des « ventres » ou plus exactement encore des « fours », rappelant qu’elles ont consenti à cette qualification. Mais la tentation est grande de ne pas l’assumer (I). On observe surtout en Europe une tactique consistant à ne pas poser la question pour pouvoir imposer une situation de fait inverse au principe proclamé (II) Il faut pourtant choisir (III).
I TENTATION DE NE PAS POSER DE PRINCIPE À PROPOS DE LA GPA POUR NE PAS AVOIR À SE POSER LA QUESTION DU PRINCIPE DE NOTRE SOCIÉTÉ
Il est difficile de poser la question et d’y répondre, aussi bien quand on aboutit au Oui que lorsqu’on aboutit au Non.
Prenons tout d’abord la réticence à poser la question de principe lorsqu’on est tenté d’y répondre par Non. Il y a bien des motivations pour ne pas répondre Non. La réticence tient au fait que le rejet de la pratique de la GPA constitue la position du Droit classique des pays européens continentaux, ce qui renvoie à l’image du « Droit d’hier », ceux qui y tiennent étant de ce fait qualifiés de « réactionnaires » face à ce qui serait un « progrès », une modernisation des règles à opérer face à une évolution des pratiques dans une société plus ouverte.
Prenons ensuite la réticence à poser la question de principe lorsqu’on est tenté d’y répondre par Oui. La réticence à assumer la simplicité de la question – et donc de la réponse – est liée au fait que les femmes sont généralement hostiles à une pratique qui selon elles s’assimile de fait à un vaste marché mondial aux esclaves.
Enfin et cela est un trait commun aux deux côtés, sans doute l’un des principes de vie les plus pénibles à satisfaire est le principe de cohérence. La cohérence suppose que quelques principes soient posés et qu’à partir de ces principes posés, se déroulent d’une façon causale des principes secondaires puis en arborescence des séries de règles techniques qui nous tiennent dans nos comportements les plus quotidiens par la même fermeté que celle avec laquelle nous avons posé les principes premiers.
La cohérence doit gouverner aussi bien le Droit que l’Ethique. Dans une société, ce qui est essentiel et que gardent les Constitutions tient dans les principes de départ. Or, la GPA en ce qu’elle consiste en amont pour une femme à se donner pour donner à la naissance un enfant et en aval pour l’État à recopier la constitution par des personnes privées d’un lien de filiation issu du seul désir qu’elles en ont eu, par la seule force de leur consentement, met en jeu des valeurs constitutionnelles que sont la Personne, la Filiation et les Droits Fondamentaux.
Si l’on change les principes pour considérer que les êtres humains disposent d’eux-mêmes et d’autrui selon le seul critère du consentement, c’est une nouvelle conception du rapport entre les êtres humains, ainsi que dans le rôle que doit jouer l’État dans l’organisation sociale et dans les rapports entre les êtres humains, ayant ou non le monopole de fixer les liens d’ascendance (filiation), ayant ou non la légitimité pour bloquer les consentements, pour protéger l’être humain faible contre l’être humain fort.
Si l’on admet le principe de cohérence, les personnes qui sont favorables à la licéité de principe de la GPA doivent admettre que celle-ci n’est qu’un exemple d'un principe plus général à admettre corrélativement : les personnes seraient donc si puissantes que par leur consentement elles disposent entièrement d’elles-mêmes, y compris de leur corps sans restriction y compris d’un autre être humain qui s’y développe ; leur liberté serait donc entièrement contenue dans leur consentement qui permet de transférer l’enfant à ceux avec lesquels le consentement a été échangé ; l’État, qui aurait pour seule fonction de sécuriser les volontés privées, devrait d’une façon neutre prendre acte de cet échange fondateur des liens d’organisation interpersonnelle (dont la filiation est un exemple).
Cela vaut pour la filiation. Mais cela va pouvoir valoir pour bien d’autres pratiques. Dès l’instant qu’il y a consentement.
Sinon, il fallait dire Non. Si l’on répond par la négative, alors on affirme que l’être humain a été qualifié par le Droit et l’Éthique de « Personne », qu’il soit homme, femme ou enfant. A ce titre, il a une valeur en soi. Il ne peut faire l’objet d’aucune convention et ne peut être cédé, à aucun titre et à aucune condition. Même si la femme est bien traitée, même si l’enfant en est très heureux par la suite. Jamais.
Il est vrai que si, souvent, la question n’est pas clairement et simplement posée, c’est pour une raison commune à ceux qui sont favorables ou défavorables à la pratique et qui tient dans le fait que lorsqu’on a répondu nettement, la cohérence produit un inconvénient aujourd’hui mal enduré : on a moins d’amis. En effet, les personnes qui sont favorables au principe d’une interdiction effective de la GPA sont souvent qualifiés d’esprits rigides et étroits, grenouilles de bénitier, fascistes , réactionnaires, naturalistes, rétrogrades, tandis que les personnes favorables au principe d’une admission de la GPA sont qualifiées d’ultra-libéraux.
La tentation est donc très grande de faire le pire : d’avancer masqué sans plus jamais poser la question de principe. Il est si agréable de bien converser avec son voisin. Cela peut aussi être plus habile.
II TACTIQUE HABILE ET DÉLÉTÈRE CONSISTANT À NE PAS POSER LA QUESTION POUR POUVOIR IMPOSER DES SITUATIONS DE FAIT EN CONTRADICTION AVEC DES PRINCIPES JURIDIQUES POSÉS
Il y a longtemps, lorsque les esprits n’étaient pas encore échauffés comme ils le sont aujourd’hui et que les injures n’avaient pas remplacé le débat, les questions étaient posées de la disponibilité du corps humain et les réponses étaient corrélativement assumées.
Par exemple les personnes qui étaient attachées au principe de l’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes étaient dans le même temps hostiles à la GPA, tandis que d’autres estimaient que le temps était venu de remettre en cause ces deux principes, principes selon eux dépassés, et qu’il fallait admettre par principe la GPA. En effet, l’évolution des biotechnologies avait mené à une détachabilité des organes de sorte que la notion de bien avait été proposée, au point que l’on a pu suggérer de penser la GPA sur le modèle juridique du « don d’organe ». L’idée était double : de fait techniquement de plus en plus l’on peut détacher des éléments du corps, en implanter d’autres, etc.
La conclusion est que chacun fait ce qu’il veut de lui, y compris se donner entièrement, la GPA étant l’exemple le plus parfait de ce don de soi. Cela serait même le plus beau. Il faudrait donc changer la façon de se penser soi-même dans son rapport à autrui (de droit) et cela d’autant plus que la technique le permet plus aisément (de fait).
Il y avait donc une cohérence entre les deux pensées entre, d’une part, ceux qui étaient pour l’interdiction de la pratique, avec les éléments de fait et de droit qui justifient toujours cette interdiction parce que la femme ne peut disposer d’elle-même pour se rendre elle-même esclave et parce qu’elle ne peut céder l’enfant car l’enfant est une autre personne qu’elle-même et, d’autre part, ceux qui étaient pour l’admission de la pratique, avec les éléments de fait et de droit qui justifient toujours cette admission parce que l’on fait ce que l’on veut de soi-même, y compris pour une femme s’aliéner totalement et pour l’enfant l’essentiel est qu’il soit heureux chez ceux qui ont désiré sa naissance.
Mais être aussi cohérent conduit à une attitude qui n’est plus si courante aujourd’hui : avoir une opinion claire et nette, s’opposer, y compris chez ceux qui pensent que la GPA est une activité économique d’avenir et une façon pour les femmes qui n’ont « rien d’autre » de nourrir leur famille. Pourquoi pas, la prostitution est souvent justifiée de cette façon-là, on retrouve les mêmes arguments pour justifier la prostitution et pour justifier la GPA.
On note bien plutôt actuellement une grande confusion qui a pour manifestation des contributions longues aux appareils documentaires très fournis mettant en débat non pas des questions de principe amenant à des prises de position mais plutôt des multitudes de « cas », des digressions et des principes qui ne sont posés que pour émettre autant d’exceptions dans tous les sens.
Ainsi, comme on le fait parfois en technique pédagogique et non pas lorsqu’on cherche soi-même à savoir où l’on en est, des situations particulières sont exposées : souvent le cas d’un nouveau-né arrivant en France sans document d’identité et devant être inscrit à la crèche. Que lui arrive-t-il, à ce petit garçon que ses parents d’intention ont appelé David et qui sourit sur la photo mais se met à pleurer puisqu’il est refusé à la porte de l’école ?
Comme lorsqu’il s’agit d’amener des étudiants à entrer dans une matière juridique, celui qui raconte tel Cicéron connait déjà la réponse puisque ce n’est qu’une façon pédagogique de faire, comme d’autres utilisent un plan ou des slides. En matière de GPA, cette méthode est désormais si souvent utilisée, par exemple lors de travaux parlementaires. Elle est présentée comme objective du fait qu’elle part de « faits » mais elle n’est constituée que d’effets rhétoriques. Dans ce cas, par exemple présenté ici, par ce seul énoncé il s’agit en réalité de suggérer une situation de GPA licitement constituée aux États-Unis ou au Royaume-Uni, puisque la notion de « parents d’intention » est une notion juridique renvoyant à une qualification appartenant à ces systèmes juridiques-là et que le cas a été conçu pour aboutir à une difficulté factuelle : le petit David n’a pas les documents administratifs pour être inscrit comme les autres petits bébés à la crèche. Celui qui a élaboré les quatre faits sait que dans l’état du Droit l’enfant n’a de lien de filiation qu’avec sa mère et son père et non pas avec ceux qui sont entrés dans une convention de GPA pour faire advenir sa naissance. Il ne peut donc être inscrit à la crèche. La qualification de « parent d’intention » oriente déjà la réponse avec une qualification des adultes qui ont en charge l’enfant et avec ce qui va immédiatement apparaître comme un « vide », voire une « injustice » du système juridique français. Pourtant la description paraît neutre ; en réalité la réponse est déjà dans l’énoncé et dans les deux lignes qui paraissent attendre d’une façon neutre et ouverte une réponse tandis que le Droit français est déjà condamné. Sans que la question de principe de l’admission de la GPA ait été posée, une photo d’un bébé pleurant devant une porte de crèche fermée aura suffi pour que soit constitué un « appel au Législateur » pour qu’il vienne modifier le Droit français.
Mais l’on peut également imaginer un effet rhétorique inverse. Il suffit de poser une question factuelle sur un cas inverse. Car les deux tenants en ont des centaines à proposer, engendrant autant de questions qui contiennent d’ores et déjà les réponses. Par exemple sera présenté un cas d’une petite fille Éloïse, tout aussi gentille et innocente que l’est le petit garçon du cas précédant, pleurant sur la photo, entre deux couples qui se disputent car ils ont l’un et l’autre versé l’argent exigé par la mère qui a successivement conclu avec les uns et les autres une convention en exploitant le désir d’enfant des deux couples. Il s’avère que la petite fille qui a été l’objet de deux projets des deux couples de parents d’intention, a pour père le mari de la gestatrice. Elle a pourtant été délivrée à la naissance au second couple car il avait servi un acompte plus important en application d’un accord passé sur un site d’un journal féminin et le premier couple qui comptait se prévaloir d’un lien biologique au cours du référé ayant conduit à une expertise sanguine ne peut plus être satisfait. Il menace pourtant et de déposer plainte pour escroquerie. Dans un tel cas, la GPA est condamnée par celui qui entend l’histoire, condamnation qui vient en redondance de ce qu’en dit le Code civil.
Dès lors, si l’on prend les centaines de cas, avec des enfants qui par centaines sont dans des situations inextricables, voire beaucoup plus tristes que ces deux premiers, objets de contentieux qui se multiplient tandis que des cabinets d’avocats se prévalent de leurs expériences indéniables, qui dans la rédaction des contrats, qui dans les procès, les situations varient et à chaque fois il faut trouver la moins mauvaise des solutions. Il peut arriver qu’il s’agisse du retrait de l’enfant, placé alors dans une famille d’accueil.
La description n’en devient pas « complexe », elle est « compliquée ». En effet, comme dans toute pratique avec tant d’argent qui circule, les cas sont à la fois très nombreux et très divers. Moins on sera ferme sur un principe, et plus on ira vers des solutions ponctuelles, pouvant aller dans un sens ou dans un autre, le sort des enfants étant tiré au hasard de l’équité des cours. L’incohérence de l’émiettement du Droit qui est en train de s’opérer est de deux ordres.
En premier lieu, si l’on répond par principe et qu’on affirme, parce que c’est un principe, que celui-ci doit être effectif, alors l’on dit que Oui la GPA est une situation licite et dans ce cas le Droit l’organise, contrat comme un autre, engendrant des contentieux d’inexécution comme les autres, pas moins mais pas plus, et l’on endure les conséquences du changement de société que cela implique. Ou bien l’on affirme que Non, la GPA est une situation illicite et l’on exclut toutes les situations qui aboutissent de fait à lui donner pourtant plein effet.
Car pour l’instant par la référence au cas par cas, l’on aboutit à une incohérence totale permettant d’organiser juridiquement des situations de GPA « comme si » elles étaient licites, tout en affirmant que le principe d’interdiction doit être maintenu. C’est le principe d’incohérence poussé à son point le plus extrême. Certaines personnes affirment en effet que le principe d’interdiction de la GPA devrait être maintenu, voire renforcé pénalement, mais qu’en revanche au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant innocent il conviendrait d’obliger l’État français à établir un lien de filiation entre lui et les adultes qui sont ses « parents d’intention ». Mais il est incohérent de demander à la fois l’interdiction de la GPA, c’est-à-dire l’achat d’une filiation et l’obligation pour l’État de conférer une filiation ce qui est un dont-acte de cette même filiation. En revanche, Monsieur et Madame Mennesson sont parfaitement cohérents lorsqu’ils agissent à la fois contre l’État français pour obtenir un lien de filiation entre eux et les deux enfants qu’ils ont obtenus par GPA et qu’ils agissent comme mandataires de l’association CLARA, association constituée pour obtenir la légalisation de la GPA en France.
En second lieu, par le même phénomène quantitatif produisant un mouvement qualitatif, actuellement il y a tant d’exceptions au principe de prohibition que celui-ci est totalement recouvert. L’on estime qu’il existerait des solutions « si particulières », par exemple dans les familles, ou bien des motivations « si particulières » par exemple la volonté de rendre service, ou bien des exceptions « si particulières » par exemple la nécessité de pallier une stérilité médicalement constatée, qu’en additionnant tous ces cas particuliers, le principe de prohibition finit par disparaître.
Plus encore, l’on constate, éventuellement en soupirant que si la prohibition demeure en France, les frontières étant ouvertes les enfants commandés arrivent sur le territoire et, exemple de la crèche à l’appui, il convient de nouer un lien de filiation entre celui-ci et ceux qui l’ont commandé, de sorte que le résultat est exactement le même que si la GPA était licite. Cela permet de soutenir à la fois que l’on est favorable au maintien du principe de prohibition tout en organisant ce qui est une généralisation sans exception de situations identiques à ce qui serait le résultat d’un principe de licéité. Sans avoir à assumer les conséquences éthiques du principe, puisque l’on peut rejeter sur d’autres systèmes juridiques ce principe même, à savoir la disponibilité totale des femmes.
Pourquoi ne pas l’assumer ?
III NÉCESSITÉ ÉTHIQUE ET JURIDIQUE DE RÉPONDRE À LA QUESTION DE L’ADMISSION OU NON DE LA GPA POUR VIVRE SUR UN PRINCIPE ASSUMÉ D’ORGANISATION SOCIALE
Il n’est jamais bon de vivre d’une façon schizophrénique, en Droit comme en Éthique. Si l’on dit qu’une pratique est interdite en droit mais qu’en droit on peut la pratiquer et en tirer toutes les conséquences juridiques pour soi et l’enfant, le droit doit être réformé. Soit pour changer le principe, soit pour changer la pratique.
Si nous n’avons plus les moyens de soutenir le principe de prohibition, parce que la mondialisation conduit à importer dans notre société-même le principe de l’esclavage des femmes des pays très pauvres, assumons-le.
Si nous n’avons plus la volonté d’adhérer au principe de prohibition, parce que nous pensons que chacun fait totalement ce qu’il veut de son corps, y compris de son enfant, y compris en ne l’engendrant que pour le céder via des intermédiaires dont c’est le métier et que l’État doit rester extérieur à cela, si nous pensons que notre société doit être construite sur ce nouveau modèle des « consentements purs », assumons-le.
Ce qu’il ne faut pas, c’est à la fois mettre en place une mise en industrie de l’humain et une mise en place d’un commerce dont cette industrie des enfants est le sous-jacent, tout en affirmant que nous respectons l’idée que tout être humain est une personne protégée en tant que telle et qu’autrui ne peut pas saisir parce qu’elle ne peut pas être réduite à l’état de pur moyen, l’Occident ayant fondé pour cela l’idée de « personne ». Ne soyons pas duplice.
Assumons un changement de société et pourquoi pas ? Admettons que tout ce qui est désiré devienne accessible et que cela puisse devenir une sorte de loi constituant une organisation sociale à part entière. Ou bien défendons cette notion centrale de personne comme cœur de la société. Mais ne faisons pas semblant de ne pas choisir.
En effet, si nous ne choisissons pas, les gagnants de notre non-choix, de notre incohérence consistant à proclamer un principe de prohibition d’une pratique qui est parfaitement répandue, accessible et organisée par ailleurs à chaque instant et pour chacun d’entre nous par une simple visite sur n’importe quel site numérique, ce seront les entreprises.
Tandis que nous dormirons la conscience tranquille puisque nous pourrons dire que contrairement à d’autres systèmes politiques qui n’hésitent pas à traiter les femmes comme on traite des animaux de reproduction, adossés à des systèmes juridiques où elles n’ont quasiment aucun droit – leur mari ou leurs parents décidant de les rendre ainsi productives, nous prohibons cette exploitation tandis que nous pourrons bercer dans nos bras des bébés qui sont innocents et charmants et nous couvrent de bonheur. Les grands gagnants de cette situation, ce n’est ni l’enfant, qui est plutôt heureux d’être avec nous, ni la mère, qui se dit qu’ainsi elle n’est pas battue, reçoit un peu d’argent, est bien nourrie le temps de sa grossesse, les parents d’intention tout à leur joie d’être comblés : ce sont les entreprises qui ont construit ce nouveau marché qui n’existait pas. Ce marché mondial des enfants à naître, dont le sous-jacent est cette industrie mondiale.
Nous devons assumer pour l’addition de ces gains particuliers : une femme un peu moins maltraitée, des adultes plus heureux, un enfant qui sera content dans sa famille qui l’accueille avec joie, de créer une immense gagnante : l’industrie et le commerçant de l’enfant à venir. Ce sont eux qui nous ont proposé cet enfant miraculeux qui vient combler tous nos désirs. Ayons le cran soit d’accepter l’offre, soit de la décliner.
Le moment est venu.
TROISIÈME PARTIE :
LE CHOIX DE PRINCIPE, LE MODÈLE DE SOCIÉTÉ ET L’AJUSTEMENT JURIDIQUE CORRÉLATIF
L’essentiel est de répondre. Nous pouvons répondre Oui. Faisons-le (I). Ou bien répondons Non (II). Contrairement à l’impression que pourrait donner le droit positif européen, si nous répondons Oui à la GPA, alors il n’est pas nécessaire de changer le Droit positif, car de fait nous l’avons déjà admis. Mais parce que nous l’admettrons franchement, parce que nous admettrons que par son pur et simple consentement, un être humain peut laisser un autre être humain disposer entièrement de lui-même, y compris en lui livrant un autre être humain qu’il lui aura engendré pour lui sur-mesure, nous ferons alors face à la société construite sur un nouveau champs de forces. A l’inverse, si nous décidons de répondre Non, alors il ne suffira plus de se contenter d’une prohibition de façade, qui nous permet d’avoir bonne conscience car il faudra pour un minimum d’effectivité, pour que les mots aient une portée minimale et que les êtres humains ne puissent pas être « trafiqués », il faudra demander à d’autres forces que celles du désir portant sur les corps humains d’intervenir.
C’est là où se logerait une ambition autrement plus nouvelle car c’est alors requérir la force du Droit et du Politique contre la force du Désir qui porte sur les corps humains et sur l’argent … L’on peut éventuellement dire tout de suite que l’on jette l’éponge, en disant que jamais le Droit et le Politique n’ont eu assez de force pour lutter contre ces deux désirs « naturels » que sont ces deux désirs humains de s’approprier les corps des autres et de recevoir un avantage contre la mise à disposition de son corps. Jusqu’ici le Droit et le Politique avaient eu cette force. Sommes-nous si en deçà qu’ils ne l’auraient plus ? S’ils n’en sont pas dépossédés, nous sommes encore libres de poser la question de savoir s’il faut ou non admettre la pratique de la GPA.
Nous pouvons répondre Oui. Il y a de solides arguments pour le faire. Et il est aisé d’y procéder puisqu’en l’état du Droit positif, il suffit de ne rien faire (I).
À la question de savoir si l’on peut admettre que des adultes s’accordent pour qu’une femme utilise sa puissance naturelle d’engendrer pour permettre à d’autres personnes de concrétiser leur projet d’avoir un enfant, l’on peut choisir de répondre Oui, Oui par principe , en estimant qu’il faut mais qu’il suffit que soient réunis deux éléments, le Consentement des intéressés et le fait que toutes les parties prenantes sont bien traitées, cela suffisant que l’être humain ait sa juste place dans la situation, et d’une façon plus générale sa juste place dans la société (A).
Si l’on choisit cela parce qu’on se représente ainsi l’être humain et la société dans laquelle il est bon qu’il vive, alors il n’est pas besoin de changer le droit positif, celui-ci permettant déjà d’obtenir un lien de filiation entre les porteurs du projet d’enfant et l’enfant, soit directement soit indirectement (B).
Il ne nous reste plus qu’à regarder l’ensemble de notre société, qui va se déployer sur un principe d’organisation générale qui sera celui des Consentements, le Droit n’ayant pour fonction que d’intervenir au cas par cas pour sanctionner d’éventuelles dérives (C).
Parce que nous sommes libres de choisir la société dans laquelle nous voulons vivre, nous pouvons choisir d’affirmer que si une personne ou un couple désire avoir un enfant et qu’ils rencontrent une femme, indirectement ou par un intermédiaire, qui est d’accord pour porter cet enfant, l’accoucher et le remettre à la naissance à ceux qui l’attendent, rien ne doit s’opposer à ces volontés convergentes dans un projet qui ne regarde que ces parties.
Il y a bien des arguments qui viennent à l’appui d’un tel choix. Il en existe une série, que l’on retrouve égrenée dans tous les travaux et les argumentaires déployés dans chacun des cas à l’occasion desquels la question est débattue.
Tout d’abord des arguments de type négatif.
En premier lieu, un tel arrangement ne dérangerait personne et relèverait donc de la seule sphère des personnes intéressées : la femme, le couple ayant un projet d’enfant et l’enfant. Il n’y aurait donc pas de raison de mêler des tiers à cette situation qui est de nature privée à double titre : d’une part, c’est un arrangement dont la nature serait de type contractuel, les intéressés signant un engagement contractuel, soit directement soit par le canal de l’agence ou de la clinique – il en résulte que les parties au contrat sont maîtresses de ce à quoi elles veulent s’obliger ; d’autre part, c’est une question de droit de la famille. En cela, c’est du Droit privé. Cela ne regarde donc pas l’État, qui n’est pas légitime à se mêler de la façon dont les personnes construisent leur famille.
Plus encore et en deuxième lieu, la famille est par excellence l’espace de la vie privée. On faudrait donc pouvoir y faire ce que l’on veut, notamment en matière sexuelle, et la façon dont on fait les enfants est le cœur de cela : la façon dont on engendre un enfant est le cœur de l’intimité de la vie privée de chacun. C’est un droit humain, le plus intime des droits fondamentaux. Dès lors et en contrepoint, si un État se mêle de la façon dont on fait les enfants, par GPA, par exemple, plutôt que par des relations sexuelles directes, cela signifierait qu’il se mêle en réalité des relations intimes des adultes et plus particulièrement de leurs relations sexuelles. Or, de fait ce sont souvent des couples homosexuels qui ont recours à la pratique de la GPA. Dès lors, et le syllogisme est très souvent déroulé, un Droit national qui interdit la GPA, est en réalité implicitement mais nécessairement … un droit homophobe. Le syllogisme est si bien monté que les États sont sommés de démontrer leur neutralité par rapport aux rapports de couple qu’entretiennent ceux qui ont construit un projet d’enfant les ayant conduit à recourir à une femme pour le concrétiser.
En effet, le grief d’homophobie ainsi construit contre le Droit est si puissant qu’il produit de lui-même un argument de type positif. En effet, l’État a l’obligation de lutter contre le fait d’homophobie. À ce titre, non seulement au titre du principe de l'État de Droit le conduisant à limiter sa propre puissance contre l’utilisation de son pouvoir contre les principes du Droit ce qui devrait le conduire à abandonner le principe de prohibition de la GPA, mais encore l’État aurait le devoir d’utiliser sa puissance pour lutter contre l’homophobie. Si ne pas avoir d’enfant parce qu’on est un couple homosexuel est une stérilité sociale équivalente à une stérilité biologique, alors le principe d’égalité entre les êtres humains devrait conduire l’État non seulement à admettre la GPA mais à organiser celle-ci comme un service public, à ouvrir dans les hôpitaux des services pour accueillir les demandeurs et à prévoir son remboursement sur fonds publics. Cela est demandé et cela est logique.
Sont également avancés des arguments de type plus nettement positif encore.
En premier lieu, l’enfant qui résulte de l’accord, si celui-ci n’avait pas été conclu, ne serait pas venu au monde. C’est justement l’accord qui a permis sa conception, son développement pendant la grossesse et sa naissance. Une prohibition effective de la GPA aurait conduit cet enfant qui existe, qui est là souriant et heureux, à ne pas exister … Comment dès lors dire que la GPA est contraire à ses intérêts, puisque son objet même est de lui donner la vie ?
En second lieu, puisqu’il s’agirait d’une affaire privée, dont le cercle pertinent est celui de la vie privée et la dimension juridique est celle d’un arrangement de type contractuel, la notion de référence est celle du « Consentement ». Celui-ci est à la fois nécessaire mais aussi suffisant. Deux consentements ne posent pas de grandes difficultés pour ceux qui soutiennent le principe de la GPA : le consentement de la « gestatrice » et le consentement de ceux qui demandent la venue de l’enfant dont ils ont conçu le projet. Le consentement des « parents d’intention » est donné à l’agence par « l’intention » qu’ils ont d’avoir cet enfant dont il ont une idée déjà précise puisque l’enfant est le plus souvent choisi par l’adhésion à des catalogues de caractéristiques proposées par les agences ou les cliniques, le projet d’enfant étant ainsi très précis et le hasard étant le plus possible écarté du processus .
Mais dans un système pensé sur la notion de consentements qui s’accordent et s’échangent, le consentement de l’enfant pourrait être plus discuté car dans la convention de GPA comme dans toute convention les consentements se nouent à la rencontre des volontés. Mais si l’on est favorable au principe de licéité de la pratique, fondée alors sur le consentement, l’on peut alors considérer d’une part que l’enfant est extérieur à cette convention, dont l’objet serait la « gestation », l’enfant n’étant alors que l’heureux effet de l’accord entre adultes. En outre, l’on pourrait dire que l’enfant ne peut rétroactivement que consentir à ce qui l’a fait naître car faute de GPA il n’aurait jamais existé. Si on le considère comme partie à la convention, l’on pourrait présumer d’une façon irréfragable son consentement.
Cela est soutenu, selon l’idée qui se défend mieux en économie qu’en droit selon laquelle l’on consentirait toujours à ce qui est dans son intérêt. La théorie économique assimile intérêt et obligation, alors que le Droit distingue l’obligation, que le consentement, et l’intérêt car c’est la liberté qui fait naître l’obligation par l’expression du consentement et non pas le seul intérêt qui renvoie à une vision mécanique de l’action. .
Enfin, l’on pourrait considérer que les parents d’intention étant juridiquement ses parents, par leurs consentements ils expriment aussi celui de l’enfant, qu’ils représentent légalement. Certes, il faut pour cela que le principe de GPA soit admis et que le lien de filiation soit reconnu. Mais, comme l’expliquent ceux qui veulent cette reconnaissance, c’est bien pour obtenir une telle sécurité juridique dans l’intérêt de tous qu’il faut l’admettre.
Il s’agit ici d’une sorte de rhétorique juridique en forme de cercle car la GPA est une pratique manquant de « sécurité juridique » du fait même qu’elle est prohibée et c’est au nom d’un « droit à la sécurité juridique » que certains exigent qu’il soit mis fin à cette prohibition. Comme l’a relevé la CEDH dans son arrêt Paradiso Grande Chambre du 24 janvier 2017 des adultes ne peuvent pas imputer à un État la situation de l’enfant dès l’instant qu’ils ont eux-mêmes construit cette situation. Mais pour que les choses soient le plus clair possible, admettons-le et intégrons dans la boucle des consentements requis et acquis l’enfant.
L’essentiel tient comme chacun le sait non pas dans le consentement des porteurs du projet ou dans le consentement de l’enfant mais dans le consentement de la mère-porteuse. La « gestatrice » a signé les documents, elle sourit sur les photos, au besoin elle raconte son histoire, heureuse. Interrogée, elle affirme qu’elle a consenti et qu’elle est contente pour les bénéficiaires de sa prestation. Les personnes qui veulent l’admission de la GPA montrent les contrats validés, les témoignages de consentement. Par méthode ne mettons en cause ni les récits, ni les cas, ni les entreprises qui les promeuvent. On a souvent souligné que les mères-porteuses, femmes pauvres vivant dans des pays pauvres, n’agissent pas librement mais sont contraintes d’accepter soit par leur situation de pauvreté ou de dépendance, soit par une personne de leur famille ou par une entreprise de GPA, activité désormais très prospère notamment en Asie. Elles sont contraintes d’accepter tout. Y compris de venir nous le raconter de cette façon-là. Ne cherchons pas davantage à savoir si les mots correspondent à la réalité. Croyons tout cela sur parole.
L’ensemble du dispositif va donc reposer sur le seul « consentement » de la mère, à être inséminée, à porter l’enfant, à s’en dessaisir à la naissance. Elle pourra recommencer autant de fois qu’elle consentira à le faire. Dès l’instant qu’elle a consenti. Il est souligné que le consentement est l’expression d’une volonté libre. Il en est conclu que ceux qui critiquent une telle expression sont liberticides. Si c’est un État qui bloque l’expression d’un tel consentement, alors qu’il s’exerce au bénéfice d’un couple homosexuel, l’État est à la fois liberticide et homophobe.
Si ce consentement a été émis consistant à être inséminée, à porter l’enfant et à s’en dessaisir en échange d’un peu d’argent, la femme étant pauvre et les bénéficiaires aisés, l’État ne doit pas davantage s’en inquiéter car le consentement étant la manifestation d’une libre volonté, il s’agit alors d’un phénomène d’altruisme, avec une contrepartie financière car la peine qu’elle a endurée pour apporter le bonheur à autrui mérite un dédommagement.
En effet, les femmes sont naturellement enclines à vouloir le bonheur des autres sans obtenir beaucoup en échange. L’État quant à lui ne comprendrait pas ce naturel altruisme féminin, montrant une nouvelle fois son incompréhension d’un monde plus généreux dont il faut au contraire favoriser la venue et dont les femmes, si généreuses, seraient les porteuses consentantes, toutes tournées vers autrui. De multiples écrits favorables à la GPA dessinent cette image de la femme.
Dans cette distribution des rôles, il suffit donc en Droit de s’assurer que ce consentement soit de bonne qualité, comme le veut le droit classique des contrats. Il ne faut pas que la femme soit maltraitée, il faut qu’elle soit bien nourrie, que l’on prenne soin d’elle médicalement et qu’elle puisse grâce à une contrepartie financière raisonnablement faire le bonheur autour d’elle, par exemple construire une petite maison. Cela est d’autant plus facile, et les cas sont mis en valeur car ils sont nombreux, que la différence de solvabilité étant très forte entre la mère-porteuse et les demandeurs d’enfant, avec l’argent que ceux-ci lui donnent, la mère pourra en contrepartie de l’enfant engendré et cédé construire une petite maison, ouvrir un commerce, voire fonder une agence de GPA comme le fît la mère-porteuse des deux enfants de Monsieur et Madame Mennesson.
Tous les arguments sont donc là pour dire Oui : un avenir de bonheur, d’enfants désirés et de care grâce à des femmes qui font des dons magnifiques de gestation dans un univers de concorde, enfin débarrassé d’un État homophobe et légaliste. Pourquoi pas ? Dès lors, comme faire ? C’est très simple : il suffit de ne rien changer.
Le droit positif est facile à décrire. En France l’article 16-7 du Code civil pose que les conventions de gestation pour autrui sont atteintes de nullité absolue. A ce titre, elles ne peuvent produire d’effet. C’est pourquoi si des personnes en concluent il ne leur est pas possible à ce seul titre de faire transcrire un lien de filiation entre l’enfant et ceux qui l’ont commandé sur l’état civil national.
L’article 16-7 n’est lui-même qu’une application du principe contenu dans l’article 16-1 qui pose que l’être humain est une personne dont le respect s’impose en droit dès sa conception. Ce principe fondateur qui irrigue l’ensemble du Droit, inséré dans le Code civil par les lois de 1994 dites « Lois de bioéthique » pose que tout être humain est une personne et qu’on ne peut donc le traiter comme une chose. C’est en conséquence de cela que la convention de GPA, parce qu’elle traite la femme (par son corps utilisé comme un simple moyen, comme un pur objet par autrui) et l’enfant (qui n’est engendré que pour être cédé, ce qui revient à le traiter comme une chose) est sanctionnée.
Mais d’autres systèmes juridiques n’ont pas adopté ce principe-là. C’est la force politique d’un système de choisir ses principes. Cela ne tient pas nécessairement au caractère « démocratique » ou non d’un système, car un système démocratique peut ne pas adopter un tel système, comme le montre l’exemple de l’État de Californie.
Il peut s’agir de systèmes juridiques qui permettent ce type de conventions parce qu’ils s’adossent à une société dans laquelle, notamment du fait de la prégnance du primat économique chacun dispose totalement de lui-même au point où l’on peut se donner totalement, à charge pour chacun de défendre ses intérêts. En sécurité le juge intervient aux limites de ce principe de totale disponibilité de soi-même, en Ex Ante, lorsqu’il transcrit la filiation organisée par les parties à la convention ou en Ex Post par des contentieux entre les parties à la convention de GPA.
L’adoption du principe de licéité de la pratique a été motivée par un motif idéologique de nature économique, selon lequel les consentements suffisent à construire toutes les situations, y compris tout mode d’engendrement des enfants dès l’instant qu’il y a accord des personnes.La dimension idéologique est donc première dans l’admission du principe général d’admission de la pratique.
Dans une seconde catégorie de systèmes juridiques, il peut s’agir de systèmes de Droit qui permettent ce type de pratiques parce qu’elles rapportent beaucoup d’argent aux entreprises locales et que les femmes y ont très peu de droits : c’est notamment le cas de l’Inde ou l’Ukraine. C’est alors une contrainte de fait, en raison de la pauvreté de la population – la GPA ayant remplacé la prostitution souvent enfantine – ce qui est présenté comme un progrès car la GPA exige biologiquement un âge minimum – qui s’articule avec une réalité juridique qui est l’absence de droits des femmes.
La dimension idéologique d’une représentation du monde comme quoi l’être humain dispose librement de son corps par l’expression de son consentement et en tire avantage – conception développée au Royaume-Uni et aux États-Unis – y est particulièrement absente puisque la femme n’est souvent pas considérée comme un sujet de droit, tandis que l’enfant est plutôt considéré comme un poids, surtout s’il s’agit d’une fille.
Suivant la capacité financière des personnes ayant un projet d’enfant, le déplacement s’est, de fait, opéré vers la Californie ou vers un pays pauvre. Mais dans la mesure où le projet élaboré n’est jamais un « projet d’enfant » mais est constitué par un « projet de filiation », les personnes se sont heurtées aux États, sauf à rester vivre en Californie, voire dans des pays aussi éloignés culturellement que le Népal ou l’Inde.
Dans sa parfaite cohérence, le Droit californien considère que la GPA est une question privée et que le lien de filiation est noué par la volonté que les parents d’intention ont d’avoir cet enfant, lien que par sécurité juridique le juge peut établir avant la naissance de celui-ci. Les éventuelles difficultés contentieuses liées à l’absence de délivrance de l’enfant ou à sa non-conformité se résolvent devant le juge, l’enfant pouvant être éventuellement remis aux services de l’adoption.
Les demandeurs européens se sont heurtés au juge français qui a rappelé que la prohibition de l’article 16-7 du Code civil ne pouvait être contournée en tant qu’elle était d’ordre public international ; le fait d’aller pratiquer une GPA à l’étranger dans un pays où celle-ci est licite pour prétendre ensuite faire retranscrire sur l’état civil français un état civil établi dans ce pays mentionnant une filiation entre l’enfant et les parents d’intention constituant une fraude à la loi. La jurisprudence de la Cour de cassation a perduré jusqu’en 2013.
La Cour européenne des Droits de l’Homme a imposé une solution différente, mais qui ne rejoint pas pour autant la solution californienne. En effet, alors que le droit californien considère que le consentement des parties à la convention de GPA, consentement dont la qualité est contrôlée par le juge, suffit à produire des enfants et conduit ainsi le juge à transcrire le lien de filiation voulu par les parties au contrat, la CEDH n’a pas du tout voulu donné cette portée à la volonté privée.
Dans des arrêts du 26 avril 2014, Mennesson et Labassée, la Cour a rappelé que les États européens signataires de la Convention européenne des droits de l’homme sont légitimes à prohiber la GPA si cela est contraire à leurs valeurs fondamentales. Mais ils partent d’une autre perspective que celle des « volontés » et des « consentements ».
Comme cela est son office, la CEDH part des droits subjectifs des personnes impliquées par la situation. Elle estime que l’enfant a un « droit à la filiation ». À aucun moment elle ne pose que la GPA fait naître une filiation. Au contraire, dans l’arrêt ultérieur rendu par sa Grande Chambre le 24 janvier 2017, Paradiso , elle rappellera au contraire que l’État a le monopole pour établir et transcrire les filiations. L’enfant a un droit à la filiation vis-à-vis de sa mère et vis-à-vis de son père. Or du fait de la GPA la mère abandonne l’enfant à la naissance. Tandis que dans le cas qui lui était soumis en 2014, l’homme du couple des parents d’intention était le père de l’enfant. C’est donc à ce titre que l’enfant peut exercer son « droit à la filiation » à son égard. Et vis-à-vis de cela, la façon dont il a été engendré, à savoir une GPA, est impuissante a bloquer son droit : l’État doit donc retranscrire ce lien de filiation.
Ce même raisonnement fût repris par la Cour de cassation, dans ses arrêts d’Assemblée plénière du 3 juillet 2015. Puis lorsque le 11 juillet 2017 la première chambre de la Cour de cassation admit l’établissement d’un lien de filiation entre l’enfant et le conjoint du père qui avait fait une GPA, ce ne fût toujours pas au titre de la volonté exprimée par cette conjointe d’avoir pour enfant cet être humain dont le projet fût conçu dans le cadre d’une GPA : ce fût simplement parce qu’en droit commun une personne est recevable à adopter l’enfant de son conjoint. Là encore, le fait que l’enfant soit né au terme d’une convention de GPA est insuffisante à bloquer un mécanisme de droit commun, mais ce n’est pas la GPA qui a créé le lien de filiation entre la conjointe et l’enfant, c’est simplement le lien biologique entre le père et l’enfant en premier lieu, puis l’adoption de l’enfant opérée par le conjoint du père en second lieu.
Dans les faits, on aboutit au même résultat puisque le couple d’intention se retrouve rattaché par un lien de filiation à l’enfant mais ce n’est pas leur volonté qui a fait naître ce lien. C’est le lien biologique entre le père et l’enfant, lien déclaré à l’état-civil et transcrit sur celui-ci, puis le mécanisme de droit commun de l’adoption.
Il faut que nous soyons dans un cas particulier d’une GPA dans laquelle il n’existe pas de lien biologique entre l’un des membres du coupe bénéficiaire de la GPA et l’enfant pour que seule la convention apparaisse comme fondement possible du lien de filiation. Mais précisément l’Europe refuse alors de donner effet à la GPA car, comme le rappelle à la fois la CEDH dans son arrêt de Grande Chambre, Paradiso (24 janvier 2017) et le Tribunal fédéral suisse (14 septembre 2015), l’on ne peut créer une filiation par un simple contrat.
Ainsi, en Europe et par l’élimination de la théorie de la fraude par l’intervention du droit à la filiation de l’enfant, le fait de GPA est neutralisé mais nous n’aboutissons pas à la situation de la Californie dans laquelle ce n’est pas la biologie qui fait l’enfant mais le pur consentement des parties : dans un tel système, l’enfant paraît simplement parce que j’ai voulu et que j’ai trouvé quelqu’un qui y a consenti. L’Europe est en distance de cela. Radicalement.
La différence est très sensible sur les principes, mais en pratique cela revient au même. Les entreprises ne s’y sont pas trompées. En effet, les agences de GPA qui se sont développées dans l’espace numérique vendent aujourd’hui pour des montants adaptés à toutes les capacités financières des potentiels demandeurs des liens de filiation garantis quels que soient les systèmes juridiques d’arrivée, que celui-ci admette, que celui-ci régule ou que celui-ci prohibe la GPA. Simplement, cela sera plus ou moins long.
Si le système juridique admet le principe de GPA, comme dans l’État de Californie, le processus prendra le temps requis comme pour toute opération de marché. En raison de l’ajustement de l’offre et de la demande par les prix, le montant de la prestation étant élevé, l’offre est abondante et les délais assez courts.
Si le système juridique admet le principe de la GPA mais suppose qu’il peut y avoir des abus, notamment parce que l’un des parties à la convention est plus faible que l’autre (la gestatrice), la GPA est alors « régulée » – ce qui est le choix fait par le Droit au Royaume-Uni, le délai est plus long. Des conditions sont posées, notamment en matière de rémunération pour que la gestatrice reçoive quelque chose (comme le soulignent les promoteurs de la « GPA éthique », puisqu’elle donne, il convient qu’elle reçoive) mais cette contrepartie est plafonnée pour s’assurer du caractère désintéressé, garantissant cette dimension « éthique » de la GPA.
Les études sont publiées régulièrement pour indiquer que le nombre de candidates pour être « gestatrice » au Royaume-Uni est insuffisant pour satisfaire une demande qui est née du fait que l’on a présenté la GPA comme une méthode ordinaire pour avoir un enfant quand on en veut un. Cette tension entre le nombre de personnes qui « veulent un enfant » et le nombre de femmes qui sont « d’accord » pour porter un enfant et le remettre à la naissance à ceux qui veulent en avoir un, en recevant assez peu d’argent, tension qui n’a que peu de chance de diminuer a produit un enfant que l’on pouvait prévoir.
Au Royaume-Uni, le système d’admission du principe de GPA mais de limitation de l’argent que peut recevoir en Droit la « gestatrice » a engendré un temps d’attente très élevé. Égal à celui de l’adoption. Les personnes « voulant un enfant » et ayant les moyens financiers pour s’en offrir partent donc désormais en Californie. S’il s’agit de personnalités publiques, comme le principe est celui de l’admission de la pratique, ils racontent leur expérience heureuse, et le bonheur commun, partagé entre eux, la « gestatrice » ainsi largement rémunérée et les enfants.
De ce fait, les britanniques constituant la première population à recourir à la GPA à l’étranger, dans des conditions d’exploitation des femmes, s’ils n’ont pas les moyens financiers nécessaires pour bien traiter la femme qui engendre l’enfant, alors même que la GPA dite « éthique » leur est proposée par le Législateur national sur leur territoire.
À l’inverse si le système juridique dont relèvent les demandeurs n'admet pas la pratique de la GPA mais la prohibe, les agences, les cliniques ou les cabinets d’avocats indiquent simplement, par un exposé sur leur site, que cela produit un délai supplémentaire, puisqu’il faut d’abord aller à l’étranger, la liste des pays de destination étant fournie, puis aller à Nantes et éventuellement faire un procès – qui sera gagné dès l’instant que l’un dans le couple demandeur est le père de l’enfant, son conjoint ou sa conjointe procédant ensuite à l’adoption de l’enfant. Tout cela est disponible sur Internet.
Dès lors qu’en Europe l’on a certes refusé de dire qu’il était possible de construire une filiation par le seul désir qu’on en a et la seule preuve d’une rencontre particulière de consentements privés mais qu’on a accepté de dire qu’un « droit à l’identité » permettait de partir d’un droit de l’enfant pour alimenter la construction d’un marché mondial de l’humain, dans les faits celui-ci est désormais établi, actif, en plein essor.
Les entreprises se contentent déjà de cela, même si c’est encore un peu compliqué, un peu hypocrite, et qu’il serait plus simple de construire un marché sur la loi de l’offre et de la demande que sur un « droit de l’enfant ». Mais elles se contentent de cela parce que c’est ainsi qu’elles peuvent faire plus facilement admettre un tel marché.
Il est en effet probable que si nous devons admettre nettement et simplement que nous achetons par avance des enfants que nous faisons fabriquer dans un pays où tout se fabrique et se vend, la Californie, ou que nous le faisons à moindre coût dans des pays où la matière première humaine nous est moins onéreuse, nous deviendrons des consommateurs moins complaisants.
Il est en effet probable que si nous envisageons la situation comme elle est, nous qui sommes tous potentiellement les porteurs de projets d’enfant, si nous considérons la femme et l’enfant, si nous voyons ceux qui restent le plus souvent cachés derrière les cas et témoignages c’est-à-dire toutes les entreprises qui prospèrent dans chaque maillon de l’industrie de la GPA, et que nous faisons l’effort de nous mettre à la place des uns et des autres, si par simple « épreuve » nous nous demandons si nous voulons que notre fille ait pour activité de faire des enfants pour ceux qui en désirent, quelle sera notre réponse ?
Le grand brouhaha, les cas particuliers qui s’enchevêtrent, les invectives et les théories qui donnent à penser qu’il faudrait être expert pour avoir une opinion, tendent à nous priver de ce que nous devons faire : accepter ou non ce qui est déjà en place à travers cet exemple si frappant et si terrible de la GPA : une société gouvernée par les seuls ajustements des consentements privés. C’est en réalité une société gouvernée par les seules entreprises, lesquelles – ce qui est normal – ne sont guidées que par l’argent et pour cela activent et entretiennent chacun de nos désirs. C’est une société dans laquelle l’État n’a plus de place, n’a plus pour fonction que de « sécuriser » ces agencements privés de satisfaction de nos désirs. C’est ce qu’attendent certaines entreprises. La matière première en est l’humain. Nous nous en rêvons consommateur (ici les parents d’un bébé). Nous avons vocation à en être la matière première consommée.
Alors qu’en pratique toute personne qui veut pratiquer une GPA peut aujourd’hui le faire sans difficulté en suivant le mode d’emploi technique et juridique rappelé par toutes les entreprises de GPA pour que l’état civil établi à l’étranger soit recopié sur l’état civil français, l’enjeu des nouveaux contentieux actuellement menés est d’obtenir un établissement de la filiation sur l’état civil national par transcription directe de l’état civil établi à l’étranger, sans aucune vérification par l’officier d’état civil français de la « réalité », c’est-à-dire du lien biologique entre le père et l’enfant.
Si cela était admis, alors, lorsque comme cela est souvent le cas, l’état civil étranger transcrit une filiation parce qu’une convention de GPA a prévu contractuellement celle-ci, l’état civil français transcrira lui-même à son tour une telle filiation non plus parce que l’enfant a pour père l’homme mentionné, mais parce que l’homme a voulu être le père de l’enfant.
Si cela était admis en Europe, alors la filiation aura pour seule source la volonté des personnes privées. La filiation pourrait alors avoir pour seule source un contrat. Un contrat proposé par une entreprise. Existerait enfin un marché des filiations. A tous les prix ou avec simplement des « compensations financières » si la générosité naturelle des femmes les conduit à engendrer en échange de rien.
Cela est exclu aussi bien par les Cours suprêmes et constitutionnelles que par la CEDH. Mais c’est aujourd’hui l’enjeu majeur. Il est actuellement dissimulé, présenté comme un cas particulier, une question d’expert de droit de la famille.
Les promoteurs de la GPA le demandent régulièrement, cas après cas car s’ils l’obtenaient, la GPA, qui est déjà une pratique facilement accessible, deviendrait véritablement « de principe ».
Il est ainsi rappelé que cela devrait être aisément admis puisque l’adoption elle-même serait une filiation par la volonté des personnes, les adultes demandant bien à être rattachés à un enfant à propos duquel ils ont un projet. La GPA n’étant donc qu’une forme nouvelle de « filiation élective », et l’argument est suffisamment convaincant pour que la convention de Droit international privé sur la GPA internationale prenne comme modèle l’adoption internationale.
Mais le raisonnement est inexact. L’adoption n’a pas pour source la volonté des adultes et la CEDH dans l’arrêt Paradiso de 2017 rappelle que les adoptions réalisées par contrat sont illicites et contraires aux droits de l’enfant. La CEDH ne laisse pas la question à la souveraineté des États, comme elle le fait à propos de la déclaration d’illicéité de la GPA elle le déclare au titre du monopole des États pour établir les filiations. En effet pour la CEDH elle-même l’adoption est au contraire réalisée par l’État, en France par exemple par un acte de juridiction gracieuse prononcé par le juge. C’est un acte de puissance publique, les parties ne pouvant choisir l’enfant, encore moins le faire engendrer sur-mesure.
Si l’on admettait non pas seulement la situation de fait de GPA, admission de fait à laquelle pour l’instant nous avons abouti, par l’articulation entre d’une part le recours à des GPA à l’étranger soit dans des systèmes démocratiques où tout s’achète et tout se vend, soit dans des systèmes pauvres où les femmes n’ont pas de droits, avec un droit de l’enfant à sa filiation qui le rattache à son père puis au conjoint de celui-ci par l’adoption, mais que l’on passe à ce que l’on doit désigner comme le « principe véritable de la GPA », qui permettrait à un contrat entre personnes consentantes d’engendrer un lien de filiation, alors par ce principe nous entrerions dans une nouvelle société.
Pour l’instant nous ne l’avons pas encore fait. Chaque jour, par le récit relayé de femmes souriantes qui nous racontent comment par leur consentement elles ont été heureuses de rendre autrui heureuse, et par la projection de bébés souriants, l’industrie de l’humain nous le demande. Mais pour l’instant l’Europe n’a pas encore dit Oui.
Il s’agit d’une société dans laquelle des personnes peuvent avoir des « projets » ayant pour objet des liens qui sont des institutions comme l’est la filiation, personnes qui peuvent prendre comme moyens des personnes, le seul critère nécessaire et suffisant étant le « consentement ». L’État laissant chacun libre de faire ce qu’il veut et de trouver sa place, chacun devrait pouvoir exprimer des désirs et rencontrer des consentements, l’État n’ayant pour fonction que de sécuriser ces situations particulières.
Pour ne prendre que d’autres exemples, parce qu’ils sont actuellement discutés, il devrait être possible de revenir sur le principe de la réserve héréditaire, qui interdit à une personne de déshériter un enfant, car l’on peut estimer que l’on doit pouvoir faire ce que l’on veut de son argent, à travers le mécanisme des successions. Les contentieux sont en cours, qui opposent justement le Droit de la Californie et le Droit français.
L’on suggère encore que l’on devrait pouvoir librement changer non seulement de prénom, mais encore de nom de famille. Car l’État ne serait pas légitime à nous bloquer dans un nom que nous n’avons pas choisi nous-même et qui nous bloque dans un groupe que nous n’aimons peut-être pas ou qui nous a lassés. Ou bien nous devrions pouvoir vendre notre nom patronymique, car certains sont objets de désir et nous serions beaucoup à consentir à une cession.
Beaucoup d’économistes suggèrent que la difficulté de la pénurie des organes serait résolue si l’on voulait bien ne plus avoir l’étroitesse de toujours penser en termes de principe d’indisponibilité, en associant à l’exception de cession le principe de gratuité, pour le remplacer par le principe américain de cession et de rémunération qui permet par la rencontre de l’offre et de la demande de sauver bien des vies. Son absence de mise en place est souvent imputée à l’étroitesse d’esprit du Droit.
Si nous posons que Oui, la GPA doit par principe et non plus seulement de fait être admise par ce que la filiation aurait pour source le désir privé que l’on a d’un enfant à soi, la concrétisation de cette filiation étant du ressort de cette volonté et de l’aptitude des personnes ingénieuse et mobiles à trouver des solutions, les professionnels qui trouvent des solutions alors que le Droit ne sait que s’opposer, l’État que cette affaire ne regarde pas prenant acte de la situation nouvelle qui en résulte, alors nous accepterons qu’une société peut être composée d’une myriade de situations particulières ainsi constituées.
A chaque situation sa bonne configuration, puisque ce sont les personnes qui l’ont faite. Les intéressés seront bien servis puisqu’ils auront consenti. Le modèle d’une telle société constituée de situations particulières, ajustées selon un désir particulier, un projet propre, des consentements comme seule condition, un juge accessible pour éviter d’éventuel excès, correspond à un modèle où rien n’est soustrait à cette grande et unique loi du désir et de l’échange des consentements.
Dès l’instant qu’une prestation est désirée, dès l’instant qu’elle peut être consentie, dès l’instant que le désir du premier rencontre le consentement du second, alors la situation particulière se noue.
Mais que désirons-nous le plus, si ce n’est de dévorer l’autre ?
L’on pourrait certes discuter de la qualité des consentements. Car comment l’enfant qui n’est pas né pourrait-il s’en défendre ? Et sa mère, comment peut-elle concrètement consentir d’une façon libre et éclairée lorsque nous lui proposons plusieurs années de salaire pour ce qui lui parait finalement si peu …
Mais la question n’est pas là. Car tout miser sur le « consentement », sa qualité, ses conditions, c’est déjà admettre qu’un être humain peut efficacement consentir à n’être qu’une chose. Et tout le Droit, l’intérêt même pour l’Occident d’avoir inventé le Droit est d’exclure cela. C’est sans doute la plus forte des raisons de dire Non : l’exclusion de la logique du consentement pur.
À la question de savoir si par principe l’on doit choisir d’admettre le principe de la GPA, l’on peut choisir de répondre Non, puisqu’un être humain n’est pas cessible en tant qu’il n’est pas réductible à l’état de pur moyen pour autrui, état qui le destitue de son statut unique de « personne » que lui a conféré le Droit (A).
La question de savoir comment dire Non est particulièrement épineuse car de fait les systèmes juridiques qui posent le principe de prohibition, comme la France, l’admettent de fait, tandis que les systèmes juridiques qui l’admettent comme principe paraissent hors de notre portée (B).
Il faut donc faire preuve de bravoure et se souvenir de ce qu’a été et ce que demeure l’Europe dans la défense des êtres humains (C)
L’on peut choisir de répondre Non à l’admission de la pratique de la GPA pour une unique raison, qui se suffit à elle-même : les êtres humains ne sont pas des choses.
Certes dans l’ordre de la nature les corps des êtres humains sont objets de désir, leur esprit et leur âme sont désirés, leur venue au monde est désirée. Le désir est ce qui habite l’être humain, plus encore sans doute que l’envie de survivre.
Mais dans une sorte de prouesse de civilisation nous avons posé que chaque être humain est extrait de cela. Cette situation factuelle du désir sur autrui n’est pas seulement de la concrétude car il ne s’agit pas seulement de l’appétit pour la consommation d’autrui. Il y a du romantisme et de l’amour dans le désir que nous avons des autres, dans le désir d’enfant à soi qui habite chaque être humain, voulant ainsi se dépasser, se prolonger, ne pas mourir tout à fait, et regarder celui qui lui ressemble un peu (« l’enfant biologique ») qui grandit sous ses yeux. C’est donc avant tout du rêve qui est vendu à travers la GPA : le rêve de prolonger l’amour du couple par un enfant commun, le rêve d’être toujours jeune par un nouveau-né dans les bras et n’en être pas la grand-mère mais la mère, le rêve enfantin d’avoir un enfant sans relation sexuelle, laquelle ramène à la trivialité de l’existence.
Mais l’Occident a inventé cette idée, qui n’a rien de naturelle - et nous pouvons donc l’abandonner en répondant Oui, que l’être humain serait « intouchable » non pas comme cela est posé par le Droit en Inde parce qu’il serait ignoble mais parce qu’à l’absolu inverse le principe de disponibilité qu’il a de lui-même et qui signe sa liberté ne peut aller jusqu’à atteindre son cœur-même, qui est l’idée de « Personne » : il ne peut se donner tout entier à autrui.
De la même façon que l’État de Droit consiste pour l’État à se limiter lui-même dans sa puissance, l’idée de Personne consiste pour l’être humain à se limiter dans l’usage de sa liberté en ce qu’il pose de se fixer à lui-même sa loi (autonomie de la volonté) mais pas au point de se destituer comme personne. Cela n’est pas possible car une personne ne peut pas utiliser sa volonté pour cesser d’être une personne.
L’idée d’État de Droit, par lequel l’État se limite, et l’idée de Personne, par laquelle l’être humain se limite, sont en miroir l’une de l’autre. C’est pourquoi c’est l’État de Droit qui a pour mission première de faire en sorte qu’un être humain n’utilise pas sa puissance de disposer de lui-même pour se destituer de son statut de Personne en devenant la chose d’autrui.
Or, une personne qui se transforme en objet pour devenir un four – terme assumé par les agences californiennes-, qui se transforme de « mère » en « gestatrice » - terme que l’on utilise pour les animaux, a utilisé sa puissance de consentement pour se transformer en choses. Pour parler en terme kantien, elle a cessé d’être une personne puisqu’elle n’est plus une fin pour elle-même, s’étant instituée en pur moyen pour autrui.
En cela la situation de GPA est un exemple pur d’une société qui vient et qui, si nous l’acceptons, sera certes une société emplie de techniques juridiques, de réglementations, de jugements et de contrats mais où ce qui fût l’essence du Droit aura disparu. On peut ne pas le vouloir, on peut vouloir que Non.
En effet sur le terrain du Droit, l’Occident organise le monde sur une distinction première : les personnes et les choses. Les choses sont des éléments qui sont à la disposition des personnes. Les êtres humains sont de droit (de jure) des personnes. La notion juridique de « personne » peut encore se dire « sujet de droit », c’est-à-dire « être apte à être titulaire de droits et d’obligations », la personne renvoyant donc techniquement à l’aptitude à s’engager et à être engagée. Cela produit notamment l’aptitude à être responsable. Dans la civilisation occidentale, si d’autres réalités que les êtres humains sont aptes à cette titularité, notamment les « personnes morales », comme les sociétés, les associations, etc., il a été acquis que les êtres humains sont de jure des personnes.
D’autres zones du monde n’adoptent pas cette règle qui pose que la société est construite sur ce principe et que l’État a pour fonction de le rendre effectif. C’est même une règle peu fréquente et fragile car l’acquisition par les êtres humains de cette qualité juridique de « personne » n’est pas naturelle. C’est le Droit qui d’une façon éminemment politique l’a imposée.
En effet, l’on peut aussi concevoir la société d’une autre façon. Poser que certains êtres humains sont des personnes et d’autres pas. En effet, parce que la distinction entre les personnes et les choses est la distinction « première » (summa divisio), ce statut premier dans le système juridique implique que si une réalité est une chose elle ne peut pas être une personne et si elle est une personne, elle ne peut pas être une chose.
C’est même pour cela que la Déclaration des droits de l’homme a posé dans son article 1ier que Les hommes (c’est-à-dire les êtres humains) naissent libres et égaux en droit. Ils naissent pour le Droit (« en droit ») et non pas dans les faits radicalement égaux entre eux. Il en résulte qu’ils sont suffisamment libres pour s’engager les uns vis-à-vis des autres et être responsables les uns par rapport aux autres des actes qu’ils commettent, la responsabilité étant la mesure même de leur liberté, mais pas au point de faire disparaître leur liberté. Ils ne peuvent pas de jure être des choses. De fait, ils pourraient, mais « de droit », ils ne le peuvent pas.
Cette distinction a été inventée par le Droit car elle n’existe pas dans les faits, puisque notre corps est une chose. Une chose objet de tous les désirs d’autrui. Une chose que nous pouvons aliéner si nous y disons Oui. Mais le Droit en inventant la notion de « personne » a collé un « masque » sur chaque être humain, que celui-ci le veuille ou non, car persona en latin signifie « masque » : le masque de l’Humanité. Nous n’en disposons pas. Dans une conception qui est celle de l’Europe – et que nous pouvons abandonner -, nous sommes tout entier une personne, nous sommes une « personne totale ».
La traduction technique de ce principe en est le Droit pénal. Celui-ci a pour distinction première les « atteintes aux personnes » et les « atteintes aux biens ». Lorsqu’une personne est blessée, l’auteur est sanctionné pour atteinte à la « personne » et non pas pour atteinte à la chose que serait le corps. En effet, pour une pensée classique, « je suis mon corps ». L’on peut reconsidérer cela et poser que notre corps est une chose, dont nous serions les propriétaires, dont nous pourrions entièrement disposer, notre patrimoine, que nous pourrions céder. Pourquoi pas.
Mais il faudra alors revoir entièrement la base du Droit pénal qui repose sur la distinction des choses et de la personne, le corps de l’être humain n’étant pas détaché de la personne que celui-ci constitue. C’est en cela que l’admission de la GPA n’est que l’épreuve sur une situation particulière de l’admission d’un principe général qui est la disponibilité totale que chacun aurait de lui-même pour céder son corps et toutes les prestations qu’il peut accomplir à autrui, sur la seule base du consentement. Cela est très attendu des entreprises qui anticipent ce nouveau monde dans lequel elles pourront puiser dans les corps des êtres humains, et plus particulièrement les corps des femme et des enfants, les femmes consentant, les parents consentant pour les enfants, les prestations les plus diverses pouvant être proposées par les entreprises et fournies par les corps des intéressés, ayant consenti. Les États n’auront rien à dire.
Cette nouvelle société qui prend les corps comme matière première sans aucune limite autre qu’un consentement qui n’est que mécanique chez la femme et qui n’existe pas chez l’enfant, est issue d’une défiguration de l’Occident, et c’est pourquoi elle est née dans l’Occident même, plus particulièrement aux États-Unis et au Royaume-Uni. En effet, dans la représentation classique du monde que l’Europe a mise en place à travers la summa divisio de la personne et des choses, les êtres humains disposent donc des choses qui peuvent être produites et fructifiées par l’industrie (ce sont juridiquement des biens) et qui circulent entre les personnes par le commerce sur le marché. L’Occident s’est développé notamment par la puissance de cette distinction juridique car c’est bien parce que l’être humain, en tant que personne, dispose des choses que l’industrie et le commerce se sont développés comme nulle part ailleurs.
Mais cette expansion légitime a trouvé son arrêt logique lorsque ce qui pousse le commerce et l’industrie, c’est-à-dire la recherche du profit (qui n’est pas reprochable en soi) a buté sur la personne. Cet arrêt n’est pas un « effet de nature », c’est un « effet de culture ». En effet, autant une personne peut exploiter sans limite les choses (cela peut être contesté éventuellement dans une perspective écologique, mais cette dimension n’est pas ici envisagée) car la personne peut avoir sur les choses toutes les puissances que confèrent les droits, notamment le droit d’en disposer (l’abusus), autant une personne ne peut pas exploiter sans limiter une autre personne.
Elle peut obtenir d’elle-même des prestations mais elle ne peut obtenir qu’elle se cède elle-même. Dans la mesure où une personne est son corps, une personne ne peut obtenir d’une autre personne qu’elle lui cède son corps, ni le sien ni celui d’un autre.
La personne dont le corps est désiré pourrait le faire de facto mais elle ne le peut pas de jure. Parce qu’elle est une personne. Même si un tel statut ne lui plaît pas, ne lui rapporte rien, lui coûte, en cela c’est l’idée d’humanité qui est portée sur son corps qui est ainsi marqué par le sceau juridique de l’indisponibilité. C’est pourquoi, par exemple, un contrat consenti pour une durée perpétuelle est atteinte d’une nullité absolue car une personne ne peut pas consentir à devenir la chose d’une autre. Pourquoi ? Parce que ce masque d’humanité que l’Occident a mis sur chaque être humain, celui-ci ne peut pas le détacher.
On peut vouloir changer cela. On peut vouloir garder pour chacun cette protection, cette protection inutile pour l’être humain fort qui préfère aller visage au vent, protection pour l’être humain faible qui n’a que le Droit pour s’appartenir encore comme être humain, pour n’avoir pas comme seul mot disponible le Oui de la seule soumission au désir de l’autre.
En effet, la situation de GPA est exemplaire d’une sorte de défiguration de l’être humain, d’une violence inouïe, par le biais de ce qu’il faut appeler la « fable du consentement ». Si l’on pense que le consentement est la nouvelle loi absolue du monde, qui remplace une loi aujourd’hui dépassée qui distinguait la personne et les choses, l’on peut y être indifférent. Si l’on pense que cette invention extraordinaire de la civilisation européenne qui consista à poser sur chaque être humain la notion juridique de personne doit être gardée, il faut à tout prix interdire la GPA.
En effet, dans une situation de GPA, qui est en cause ? Avant tout ce sont des entreprises. Des agences, le plus souvent situées au Royaume-Uni en lien avec des correspondants aux États-Unis. Elles font travailler des professionnels, qui sont en premier lieu des structures médicales pour suivre les inséminations, les grossesses et les accouchements, ou qui sont en second lieu des structures juridiques pour suivre les signatures des engagements et gérer les éventuelles contestations soit entre les protagonistes soit avec des États récalcitrants.
Les agences ont pour activité de mettre en contact des êtres humains qui les uns et les autres sont porteurs de désirs qui vont s’ajuster : les uns qui désirent avoir un enfant à eux (sans recourir à l’adoption), les autres qui sont des femmes qui désirent faire plaisir aux premiers. Ce sont des intermédiateurs des désirs. La GPA est donc un monde gouverné par le seul désir.
Comme il y a beaucoup plus de personnes qui désirent avoir des enfants que de femmes qui désirent en engendrer pour le leur céder à seule fin de leur apporter du bonheur, cette seconde catégorie est complétée par des femmes dont la motivation est l’argent. Le désir d’argent est un désir comme un autre. Cela ne modifie pas la nature de l’agence qui reste l’opérateur central du monde de la GPA : une intermédiation de désirs privés. Dans tous les cas de figure, les entreprises intermédiaires – agences, cliniques, médecins, avocats, sont rémunérés, y compris lorsqu’elles fonctionnent sous forme associative. Dans tous les cas, les porteurs de projets d’enfant versent de l’argent. Les montants cumulés s’élèvent en milliards de dollars.
Les entreprises et divers spécialistes de la GPA sont donc les véritables bénéficiaires de la GPA. Ils en sont aussi les moteurs. Ils en sont aussi les promoteurs. Ces intermédiaires d’un marché mondial peuvent n’être pas critiqués en soi car faire fortune en innovant par une nouvelle forme d’intermédiation développée dans l’espace numérique serait louable si cela ne supposait pas de destituer des êtres humains de leur statut de personne. Or, dans une situation de GPA aussi bien la femme que l’enfant sont destitués de leur statut de personne. La femme par le consentement de n’être rien qu’elle émet ; l’enfant parce qu’il n’est engendré qu’à seule fin d’être cédé.
La femme est totalement traitée comme une chose. La pratique prospère soit dans des pays frappés par la pauvreté, comme le Laos, soit dans des pays où la femme n’a aucun droit, comme l’Inde, soit dans des pays où la femme-objet participe à l’idéologie sociétale que cela aille de la matière première en diamant (« femme-trophée ») ou de la matière première fabrique d’enfant (« gestatrice »).
Elle y consent, soit que son « consentement » ne soit qu’une « fable » que le consommateur écoute pour n’avoir pas de remords afin de mieux exploiter son corps, soit que son « consentement » participe de sa propre idéologie la conduisant à concevoir elle-même son corps et les diverses prestations qu’il peut fournir comme une richesse naturelle à exploiter au mieux.
Elle est mise en distance de son propre corps, objet d’une propriété, soit à son bénéfice dans le cas d’une société de pur marché où elle peut céder son corps et ce que le corps produit, y compris l’enfant, soit au bénéfice direct d’autres personnes qui s’en saisissent, le mari notamment qui est souvent co-signataire de la convention. Nous passons d’une idéologie de la « personne totale » à une idéologie du « marché total ». L’enfant peut ainsi être contractuellement désigné comme lui étant tiers, alors que la maternité noue des liens définitifs entre la mère et l’enfant, tandis que la grossesse affecte définitivement le corps de la mère, le Droit ne distinguant pas le corps et la personne. Si les associations féministes sont hostiles à la GPA c’est aussi parce qu’elle représente d’une façon paroxysmique la « femme-objet ».
De fait, il est de toutes les façons très fréquent qu’en réalité la GPA résulte d’une contrainte, ce marché mondial relevant de la recrudescence de l’esclavage dans le monde dont nous recueillons les bénéfices à ce propos comme pour d’autres sujets. L’on peut être pour le principe d’interdiction de la GPA parce que de fait il s’agit d’un marché aux esclaves, que de fait seules les femmes très pauvres servent de « gestatrices » et seules les personnes plus riches en sont les bénéficiaires.
En pratique, la GPA ne relève pas du Droit de la famille mais du Droit des affaires. Les entreprises spécialisées maîtrisent parfaitement le Droit international privé, pour aller constituer les situations juridiques dans un système juridique favorable, ont des filières pour aller faire engendrer les enfants là où leur élaboration est la moins onéreuse, ont des stratégies de procès-tests pour faire céder les systèmes juridiques petit-à-petit, en véritable business plan. Les femmes et les pauvres en sont les victimes. Par croisement des deux catégories, les femmes pauvres n’ayant que leur fécondité à vendre sont la proie parfaite. Par exemple la conséquence de la crise financière grecque a été la réforme de la législation, l’admission du principe de GPA et l’ouverture de cliniques à Athènes, le législateur grec ayant adopté le modèle britannique.
Mais il convient de prendre plutôt l’hypothèse d’une GPA consentie, résultat chez une femme d’un désir véritable de faire le bonheur d’autrui sans rien en retour, cas d’une femme comblée par ailleurs et sans aucun souci financier, ayant par ailleurs comme meilleur moment dans sa vie – y compris sur l’angle de la santé – le temps de la grossesse, état psychologique allié à une absence d’attachement pour l’enfant qui a interagi avec elle pendant la vie utérine.
À supposer que ce cas existe, il est soutenu pour servir afin d’établir le principe de la GPA. Il s’agirait donc de transformer un exemple, un cas de facto en cas constituant la base du principe d’adoption, c’est-à-dire en cas de jure, à savoir l’admission de la « GPA éthique », puisque la motivation de la femme est d’apporter le bonheur aux autres. De jure, le principe de l’altruisme fonde le principe de l’admission de la GPA . Cette idée de la « GPA éthique » est bien d’éliminer la GPA motivée par l’argent pour ne garder la GPA motivée par le désir de faire le bonheur d’autrui.
Mais cette distinction proposée et mise en place au Royaume-Uni n’est pas pertinente. Non seulement parce qu’elle n’a pas produit d’effets heureux au Royaume-Uni, parce que de fait les femmes disent ne le faire que pour de l’argent et parce que les britanniques sont les plus nombreux à aller vers les pays étrangers pauvres pour obtenir des enfants par GPA, mais encore pour une question de principe : en tant que l’être humain est une personne, il ne peut pas consentir à cesser d’être indisponible à autrui.
Si l’on admettait qu’il le puisse, parce qu’une telle femme consentant à se donner pour faire le bonheur de l’autre existerait, autrement que dans les argumentaires élaborés, alors il faudrait admettre que par le consentement un être humain puisse décider que pour faire plaisir à autrui il lui devienne entièrement disponible. L’on peut entourer ce consentement de limite, par exemple quant au montant versé, ou de garantie, par exemple quant au nombre d’embryons implantés, le principe demeure celui de l’admission.
En admettant comme au Royaume-Uni le principe de la GPA, car le fait qu’elle soit encadrée n’élimine en rien le fait que son principe en a été admis par la loi de 1985, a non seulement eu cet effet sur les femmes mais encore sur les autres parties prenantes de la situation de GPA qui sont les titulaires du désir d’enfant. En effet, la GPA prend la forme d’une convention, dont l’État est exclu, celui-ci n’ayant pour fonction que de noter le lien de filiation entre l’enfant et les parents d’intention qui ont commandé sa venue au monde. En validant ce principe, les britanniques ont donc considéré que le seul critère étant le consentement, il n’y avait pas de mal à avoir un enfant de cette façon-là. Puis, du fait du peu de femmes disponibles, ils sont donc allés en grand nombre à l’étranger dans les pays pauvres pour recourir à cette pratique, qu’ils considèrent comme en soi licite.
Certes dans les pays comme l’Ukraine ou le Laos il n’y a plus de telles limites mais les porteurs britanniques de projets d’enfants ne sont pas arrêtés par cela car ils sont habitués comme en Californie au principe d’admission de la GPA. La Chambre des Lords a d’ailleurs proposé en 2017 une solution pour régler le « problème » de la GPA au Royaume-Uni, à savoir le manque de femmes disponibles. La solution proposée est de supprimer le plafond de l’argent versé pour satisfaire la motivation des femmes, à savoir l’argent. Pour que la GPA soit éthique, la solution est donc l’organisation d’un marché domestique.
Effectivement un marché fonctionne sur les mécanismes des prix, des contrats et des consentements. Mais en droit économique classique les personnes ne peuvent pas en être l’objet. Pourquoi ? Parce que le Droit avait posé sur chaque être humain le masque de la Personnalité, afin que nul ne puisse, même s’il en a la puissance de fait, arracher à un autre être humain, une telle protection et afin que nul ne puisse, même s’il veut y consentir, se l’arracher lui-même.
Dans la situation de GPA, il reste encore une autre partie prenante impliquée, indépendamment des entreprises qui prospèrent, des femmes qui consentent à se donner, des porteurs de projets qui les concrétisent : c’est l’enfant. L’enfant n’a consenti à rien. La justification de sa situation ne peut donc être fondée sur son consentement, puisqu’il n’est pas partie à la convention. Il est difficile pour les partisans de la pratique de la GPA d’admettre qu’il en est l’objet, car cela conduirait à reconnaitre qu’il est une chose, un enfant dont la cession après un engendrement sur-mesure est l’objet d’un contrat.
Pour n’être pas enfermé dans une problématique du consentement et de l’objet final du contrat qui nuisent à l’argumentaire des personnes qui soutiennent le principe d’admission de la GPA, dans un transfert bien connu en économie la perspective proposée quitte donc la question de l’engagement pour aller vers celle de l’intérêt. En effet, il est soutenu qu’il faut admettre la GPA, non pas dans son fait générateur mais dans son résultat : un enfant qui vit avec des adultes qui se comportent à son égard comme des parents et il est de son intérêt que le Droit lui-même les considère comme tel.
Il s’agit d’un intérêt supérieur à tous les autres : c’est « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Par cette référence à l’intérêt de l’enfant, qui doit primer sur tous les autres intérêts, il faut ne plus être sensible à l’intérêt de la femme, à l’ordre public, à l’intérêt d’autres adultes qui peuvent se disputer éventuellement. Il ne faut pas davantage se soucier du fait générateur de sa situation : l’enfant n’a pas à subir la faute de ceux qui ont organisé sa naissance. Son intérêt supérieur doit conduire à organiser au mieux sa situation ici et maintenant. Et c’est pourquoi celui qui se dit le père dans la convention de GPA doit être reconnu comme père par l’État, celle qui se dit mère dans la convention de GPA doit être reconnue comme mère par l’État.
Cette primauté de l’intérêt de l’enfant est effectivement centrale. Elle est au cœur du Droit de la famille. Mais elle est précisément absente du vaste marché global de la GPA où l’enfant est au centre. Dans une situation de GPA la femme correspond à la figure paroxysmique de la femme-objet tandis que l’enfant correspond à la figure paroxysmique de l’enfant-roi. En effet, avant d’avoir pour intérêt particulier d’être bien traité et de vivre avec ceux qu’il considère comme ses parents, intérêts concrets, l’enfant a pour tout être humain un intérêt supérieur : être considéré comme une personne et non pas comme une chose.
Or, il faut considérer que l’être humain le plus gravement atteint par la situation de GPA ce n’est pas la femme, c’est l’enfant.
L’on doit considérer que de fait, ce sont les femmes qui sont les plus maltraitées par le drame de la GPA car nous savons bien qu’elles sont traitées comme des esclaves, comme des animaux de reproduction, que des nombreuses en meurent, dans notre indifférence et parce que nous continuons à verser de l’argent à toute cette chaîne d’intermédiaires par laquelle nous arrive tous ces bébés sur lesquels portent nos désirs.
De facto, ces enfants ne sont pas malheureux puisque nous les couvrons d’affection et de soins.
Mais de jure, la plus grave atteinte que l’on puisse faire à un être humain est de ne pas le considérer comme un être humain, mais comme une chose. Certes, comme la chose la plus précieuse et la plus désirée au monde, mais comme une chose. Or, que la GPA soit éthique ou non, qu’elle soit gratuite ou non, qu’elle soit réalisée dans un pays démocratique ou non, l’enfant est choisi par avance sur un catalogue. L’ovocyte est choisi en fonction des goûts de ceux qui veulent l’enfant. Il y a sélection puis l’enfant advient pour correspondre à ce que veulent les adultes, à savoir une reproduction d’eux-mêmes.
Dans la situation de GPA, l’enfant a le statut d’une chose. La chose la plus désirée au monde, la plus fêtée à son arrivée au monde. Mais de jure il est la plus grande des victimes.
C’est pourquoi l’on peut soutenir que la situation de GPA est définitivement contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant, en ce qu’elle le destitue par nature de son statut de Personne.
Si l’on considère qu’il faut dire Non à l’admission de la pratique de la GPA, parce qu’elle destitue la femme et l’enfant de leur statut de Personne, ce que le consentement de la première ne peut opérer et ce à quoi ne peut jamais correspondre l’intérêt supérieur du second, alors comment formuler cette interdiction ?
En effet, soit les systèmes juridiques admettent déjà la pratique de la GPA parce qu’ils sont déjà régis par la loi des consentements, tout pouvant s’offrir et s’acheter, les personnes pouvant disposer entièrement de leur corps, l’industrie de l’Humain se mettant ainsi en place dans des systèmes qui peuvent être parfaitement démocratiques, soit les systèmes juridiques posent le principe d’interdiction mais admettent ensuite l’établissement de la filiation entre les porteurs du projet d’enfant et celui-ci, dès l’instant qu’il y a par ailleurs un lien de filiation constatable.
Si l’on veut dire Non à la pratique de la GPA, il faut opérer un mouvement d’une force considérable.
Certes, l’Europe continentale n’est pas au même stade que certains États américains, puisqu’en Europe c’est au nom d’un constat établi de filiation (biologique, puis adoptive) que le lien est établi entre les adultes qui ont eu recours à la GPA et l’enfant et non pas comme en Californie ou au Royaume-Uni sur la seule foi de la convention de mère-porteuse que le lien de filiation est acté par l’État.
Mais de fait, cela revient au même.
Dire Non, cela revient à refuser toute efficacité à une convention particulière, même si elle peut venir s’adosser sur un lien véritable de filiation parce qu'une des parties au contrat ayant fourni du matériel général sera en outre père de l’enfant. Dire Non implique de pouvoir sanctionner une filiation effective, puisque dans la convention de GPA l’homme ayant fourni les gamètes, est donc le père de l’enfant : si l’on veut que la GPA ne prospère pas, parce qu’elle signe la transformation de la mère et de l’enfant en choses disponibles, alors il faut que le Droit puisse, comme l’avait dit la Cour de cassation en 1991, anéantir tout effet juridique à cette filiation pourtant avérée.
Cela va à l’encontre du « droit à la filiation » de l’enfant. C’est vrai. Mais l’enfant né d’un inceste aussi voit son droit à la filiation méconnu. Dans le cas de l’inceste, le Droit frappe le lien de filiation et impose la méconnaissance de celui-ci pour sauvegarder la structure sociale. Dans le cas de la GPA, il s’agit d’imposer l’anéantissement de la convention privée organisée par l’entreprise de GPA, ce qui implique de méconnaître au besoin le lien véritable de filiation entre l’enfant et le père, pour sauvegarder le droit fondamental de la femme et de l’enfant à ne jamais être destitué de leur statut de Personne.
Contre cela, le « droit à la filiation » ne doit pas pouvoir s’opposer, pas plus qu’il ne peut anéantir la prohibition de l’inceste. Ce « droit à la filiation » sur lequel s’est fondé la CEDH a un fondement biologique. Ce fondement biologique – qui est anéanti par la prohibition politique et juridique de l’inceste – de la filiation renvoie à ce que certains ont désigné d’une façon critique comme « La loi du sang ».
Ce fondement biologique est précisément très critiqué par ceux qui veulent l’admission du principe de GPA : ils soulignent que la biologie ne doit pas régir le droit, que seule l’intention, l’affection et le projet d’enfant doivent fonder une filiation.
Si la biologie ne doit pas fonder la filiation, parce que cela renvoie à un « naturalisme » de mauvais aloi, alors il doit être possible qu’une filiation pourtant incontestable entre un enfant et son père puisse être interdite de reconnaissance si elle signe la transformation en purs moyens de deux êtres humains que sont l’enfant et sa mère.
Il faut pour cela que la jurisprudence européenne, qui ne doit pas faire l’objet de tant de critiques, soit confortée. Dans son arrêt Paradiso du 24 janvier 2017, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé que des personnes privées ne pouvaient pas établir des filiations par contrat, a rappelé que les États signataires de la Convention étaient souverains pour prohiber la GPA.
C’est aux jurisprudences nationales en premier lieu de dire clairement les choses. En distinguant toujours entre les filiations produites par la volonté – ce qu’en Europe une convention de GPA ne peut jamais faire, contrairement à ce qu’elle peut faire en Californie, le juge se contentant de lui donner une force exécutoire. La jurisprudence doit toujours rappeler que le juge est lié par le lien de parenté qui existe entre le père et l’enfant.
Le juge n’est pas le Politique. Si l’on doit faire disparaître un lien de filiation entre un père et son enfant, parce que pour faire naître ce lien, il a fallu transformer en choses et une femme et un enfant, alors c’est au Politique de mobiliser ses forces pour le dire.
Le juge l’avait dit à partir de la distinction entre la personne et les choses en application du Droit des contrats, car la GPA relève principalement du Droit des affaires et du Droit des contrats. Parce que très efficacement les entreprises ont contourné cette jurisprudence en changeant le terrain juridique et en choisissant celui de la filiation, le lien de filiation entre l’enfant et son père étant incontestable, seul le Politique a la puissance et la légitimité pour recouvrir celui-ci en interdisant que ce lien apparaisse de jure parce qu’il a coûté la transformation de deux personnes en choses et que le Politique ne le veut pas.
Parce que le Politique est le gardien des êtres humains et que son outil premier pour ce faire est le Droit, à travers l’invention première qu’est la notion de Personne.
De fait, les entreprises de l’humain se sont aujourd’hui développées autour de cette abondante matière première que constitue les femmes pauvres. Des travaux internationaux contre l’esclavage intègrent dans leur nomenclature la GPA parmi les exploitations les plus dures dont les femmes sont victimes.
Le Politique doit donc mener une action internationale de prohibition effective.
C’est le seul moyen pour tarir la source considérable de revenu des entreprises. Le désir d’enfant ne se tarira pas, le nombre de femmes consentantes n’ayant que leur puissance d’engendrement à offrir pour survivre ne diminuera pas. Mais si s’arrêtera la possibilité pour les entreprises de vendre des filiations, véritables objets des conventions de GPA, alors cette industrie de l’humain qui est en train de se mettre en place s’arrêtera. En effet, les agences, les cliniques et les différents professionnels ont l’argent pour seul motif. S’ils ne peuvent offrir une filiation, alors ils arrêteront de proposer le service.
Si le Politique parvient à cela, le monde ne sera pas gouverné par le seul désir des uns sur les autres, en fonction de la situation de puissance entre les uns et les autres. Un monde de pures conventions privées où les personnes consentent à tout ce que désirent d’autres sans limites, l’État pas légitime à s’en mêler. Un monde où les entreprises savent où trouver la richesse de demain : la matière première humaine.
Pendant que le Politique, qui s’exprime par les Gouvernements, peut mener cette action internationale, notamment les États européens d’une façon exemplaire, pour tarir la demande, le Politique pourrait suivre ce qui a été demandé par les associations féministes qui pour la protection des femmes et des enfants demandent à ce que les bébés qui ont été rapportés des pays pauvres dans lesquels ils ont été engendrés dans des cliniques spécialisées dans l’industrie de la GPA soient arrêtés à la frontière et remis aux services de l’adoption. En effet, les adultes qui désirent un enfant peuvent déclarer à l’État être disponibles pour être des parents aptes à satisfaire le droit d’un enfant abandonné à recevoir sur décision publique d’un juge des parents. Cette technique de l’adoption permettrait de ne pas laisser les enfants ainsi engendrés à l’étranger abandonnés.
Dans le cas Paradiso qui a donné lieu à l’arrêt de la Grande Chambre de la CEDH, l’État italien a remis l’enfant à l’adoption. Dans la période transitoire entre la situation actuelle où de fait chacun peut via l’espace numérique payer une agence pour obtenir une filiation véritable avec un enfant choisi par avance, ce qui fait venir au monde des enfants-objets dont il convient de s’occuper du sort ici et maintenant, avant de tarir l’offre en supprimant les filiations disponibles sur le marché de l’humain, il serait possible d’instituer les personnes qui ont demandé la venue au monde de ces enfants comme administrateurs judiciaires de ceux-ci. Ainsi de fait ceux-ci auraient une « vie familiale normale », sans qu’une filiation soit établie entre eux et les adultes dont l’argent a été sollicité par l’agence de GPA pour cela.
Le temps que cette politique internationale d’asséchement de l’offre de filiation aboutisse, c’est explicitement que la jurisprudence doit formuler sa position, en disant clairement ce qu’elle a le pouvoir de faire, notamment en refusant en premier lieu l’aptitude d’une convention à produire une filiation par la seule intention d’avoir un enfant, en admettant en second lieu son obligation de reconnaître une filiation issue d’un lien biologique ou d’un cas d’ouverture légal (comme l’adoption d’un enfant du conjoint). La jurisprudence pourra gagner à ne pas rendre des arrêts trop laconiques, en développant ce pourquoi le juge ne peut plus aujourd’hui faire davantage pour protéger les femmes et les enfants.
Si l’on veut que ne s’installent pas grâce à la performance des techniques juridiques des contrats de GPA efficaces, où les enfants sont conçus par avance, où les femmes consentent à les engendrer, où sont détaillées la façon dont les États seront contraints de recopier dans leur ordre juridique ce que les parties ont voulu, l’ensemble donnant lieu à de l’argent toujours versé à la chaîne des professionnels que sont les agences de GPA, les médecins de la GPA et les juristes de la GPA, voilà comment il faut dire Non.
PROLOGUE :
QUE SOMMES-NOUS EN TRAIN DE RÉPONDRE ?
En premier lieu et pour l’instant, certains états des États-Unis ont répondu Oui, parce que cela correspond à leur façon de voir le monde. C’est le cas de la Californie. Chacun dispose de son corps comme d’un objet dont il est propriétaire, à ses risques et périls, la collectivité n’ayant pas à s’en mêler, chacun trouvant sa place comme il veut et comme il peut. Nous pouvons vouloir cela.
Dans une telle société de liberté et d’opportunité où l’État n’a pas son mot à dire, l’enjeu pour chacun alors est de n’être pas une femme pauvre, ou de n’être pas un enfant né malformé. C’est une conception très cohérente, ayant vocation à perdurer, dans un pays où il faut être du côté des gagnants, étant acquis que l’on peut toujours espérer gagner. Ainsi, les mères-porteuses finissent par ouvrir des agences de GPA. Nous pouvons vouloir cela, espérant trouver toujours plus pauvre que cela. Ne voyant pas d’inconvénient à une société de pur marché. Se définissant nous-mêmes comme des marchandises (des associations féministes protestent là-bas non pas contre la GPA, mais parce qu’elles estiment que fournissant le produit elles doivent recevoir plus d’argent que l’agence).
Nous pouvons répondre Oui au principe de la GPA comme l’a fait la Californie, pays de la liberté, du contrat, du consentement, et des gagnants, chacun pouvant espérer être du côté de ceux qui gagnent. Tout étant source d’opportunité, le corps est la première source d’opportunité dans laquelle nous devons pouvoir puiser, notre corps et celui d’autrui, à notre guise, l’État ne devant pas interférer à l’ajustement des désirs, la force que représente l’argent étant la mesure même de l’ajustement des désirs qui se cristallisent dans des situations qui sont toutes privées et toutes particulières. Si nous répondons Oui pour la GPA, nous pouvons répondre pour toutes les autres situations où un être humain est désiré. Malheur aux faibles. Malheur aux femmes et aux enfants.
En deuxième lieu des pays pauvres ont accepté le principe de GPA non pas par adhésion à une vision du monde mais par une sorte de nécessité, du fait même de leur pauvreté et de l’abondance de leur population féminine pauvre, les techniques d’insémination permettant d’obtenir des enfants « biologiques » sans considération de la race de la femme « gestatrice ». Cela a commencé par l’Inde, puis tous les pays d’Asie, comme la Thaïlande, le Cambodge, le Népal, le Laos, etc.
Le principe d’admission s’étant culturellement propagé dans l’esprit des personnes auprès desquelles l’offre de GPA a été diffusée, notamment par des campagnes menées par les entreprises de GPA car la rentabilité en est très grande par rapport à l’investissement dans la matière première, ces pays ont été l’objet de ce qui est souvent appelé un « tourisme procréatif ». Il en a résulté la pire des réactions : ils ont tous adopté des lois supprimant le principe d’admission pour établir un principe de prohibition de la GPA. Cela fût le cas en Inde, puis en Thaïlande, puis au Cambodge, puis au Népal.
Ce fût la pire des solutions car ces lois pour protéger sa population féminine, souvent très jeune, décimée par cette industrie procréative a choisi d’en limiter le nombre de bénéficiaires : la GPA est désormais réservée aux couples nationaux hétérosexuels. Il s’agit donc d’exclure les étrangers et les couples homosexuels. Voilà donc la GPA qualifiée comme un mode de procréation médicalement assistée pour des cas de stérilité médicalement constatée. Alors que le seul principe de prohibition qui doit être défendu est celui qui porte sur l’ensemble des personnes, toute femme et tout enfant devant être protégé de cette pratique, quels qu’en soient les bénéficiaires.
Pour l’instant, du fait de ces nouvelles législations nationales qui ont adopté le principe de prohibition, c’est donc le Laos, pays particulièrement pauvre, qui a adopté le principe de l’admission.
C’est également le cas de la Grèce qui prohibait la GPA mais qui, frappée par la crise financière, a réformé sa législation, pour admettre une législation pour poser le principe d’admission. Le modèle est le droit britannique.
La réponse britannique est en effet d’admettre la pratique de la GPA. Le principe est en effet d’en fixer quelques règles pour limiter ce qui rendrait la situation de la « gestatrice » trop difficile, ce qui est parfois appelé une « régulation » de la GPA. C’est une appellation souvent maniée d’une façon hasardeuse car l’on ne peut juridiquement réguler qu’une pratique licite : il faut donc admettre que le Royaume-Uni admet le principe de la GPA, ce qui est conforme à sa tradition de pays marchand et au fait que s’y concentrent les agences internationales de GPA, ce qui permet de dire que ses règles de limitation du pouvoir des contractants justifient l’expression de « GPA régulée », notamment par des considérations éthiques, notamment parce que la santé de la « gestatrice » est suivie. Mais l’on ne peut pas techniquement dire que le Royaume-Uni adhère au principe de prohibition et que par exception et à des conditions éthiques admet des conventions, car l’on n’a jamais régulé l’illicite. Tout spécialiste de l’économie et du droit de la Régulation le rappelle.
La réponse française est calquée sur la solution européenne : la situation de GPA résulte du seul droit commun de la filiation. L’enfant est rattaché à son père. La puissance de ce lien, rattachée notamment au « droit à la filiation » de l’enfant ne peut pas être neutralisée par la façon dont l’enfant est né. Ensuite le conjoint ou la conjointe du père peut adopter l’enfant. Ainsi pour le Droit français la convention de GPA est comme inexistante.
Le Droit français ne répond donc plus rien de jure. Cela permet à la pratique de se développer pour la plus grande prospérité des entreprises de GPA et pour le plus grand malheur des femmes de facto.
Voilà où nous en sommes : nous ne répondons plus rien. Si nous continuons à ne plus rien dire, le fait, c’est-à-dire la pratique de la GPA, va répondre à notre place, c’est-à-dire Oui.
Nous rentrerons plus encore dans une société où par le seul consentement des femmes en situation de faiblesse et ayant comme seule valeur leur corps consentiront à le donner tout entier pour produire un enfant attendu par ailleurs, un enfant qui sera programmé pour répondre exactement au désir que des êtres humains mieux lotis que cette femme et que cet enfant qui est dessiné sur-mesure pour plaire. Une société de purs consentements, où l’État n’aura comme mission que d’écrire sous la dictée ce que des contractants auront dessiné comme avenir pour nous tous.
Si nous ne répondons rien, sur cette pratique qui se construit sur notre silence, voilà ce qui va se passer. La GPA n’est qu’un premier test, qu’une première épreuve de l’industrie de l’humain.
Si nous parlons, alors cela serait pour dire Non. Le Non est la première expression de la liberté. Le premier mot du Droit. La première voie du Politique. Ce par quoi un être humain faible trouve sa protection Même s’il n’est qu’une femme ou qu’un enfant.
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