La personne se caractérise par son aptitude à voir sa responsabilité engagée. L'article 1382 du Code civil synthétise cette double fonction de punition de la faute et de réparation du dommage. Aujourd'hui, la réparation du dommage subi par la victime prévaut, ce qui explique la responsabilité de l'enfant, l'allègement probatoire du lien de causalité et l'invention prétorienne du principe général de la responsabilité du fait des choses et du fait d'autrui. Aijourd'hui, la responsabilité s'est décentrée de la personne du repsonsable vers la personne de la victime.
La quatrième Grande Question du Droit porte sur la personne.
Une personne se caractérise en droit par son aptitude à être engagée, c'est-à-dire à être responsable. Sous l'influence de la pensée religieuse, relayée en droit par les canonistes, la responsabilité prit tout d'abord et avant tout racine dans la notion de faute. Dans la période moderne, la jurisprudence y associa comme fait générateur le mécanisme de la garde.
L'article 1382 du Code civil reprend bien l'idée chrétienne selon laquelle le fautif doit être puni. C'est pourquoi longtemps ni les enfants en bas âge (infans) ni les majeurs atteints d'un trouble mental ne pouvaient être civilement responsable du fait qu'ils manquaient du discernement nécessaire pour qu'on leur impute un comportement fautif.
Mais l'article 1382 du Code civil, dès 1804, exprime la double nature de la responsabilité, puisqu'il évoque l'obligation de réparer le dommage qui frappe la victime. Ainsi, la réparation du préjudice est également une finalité de la responsabilité. Dans sa première finalité, la responsabilité est subjective et moraliste ; dans sa seconde finalité, la responsabilité est objective et économique.
Cette dualité ne pose pas de difficulté et le lien est bien montré par l'article 1382, puisque c'est le fautif qui répare le dommage. Mais, tout d'abord, l'auteur du dommage peut briser la punition qu'est la réparation de celui-ci par le biais de l'assurance : c'est pourquoi le droit des assurances posera que toute faute intentionnelle est insusceptible d'être assurée. Plus encore, les dommages causés par des personnes "irresponsables", comme les enfants ou les malades mentaux restent irréparés, alors que les victimes sont toutes aussi atteintes que si l'acte avait été commis par un adulte sain d'esprit.
C'est pourquoi le droit, face à cette contradiction entre les deux finalités va choisir de faire prévaloir la réparation du dommage sur la punition des fautes. Il ne s'agit pas de couper le lien entre responsabilité et dommage et d'écarter la considération de la personne mais simplement de ne plus mettre au premier plan la personne du responsable et de lui préférer la personne qu'est la victime.
Pour cela, une loi de 1968 sur les incapables majeurs, sous l'influence directe du Doyen Jean Carbonnier, inséra un article 489-2 dans le Code civil, devenu depuis 414-3 du Code civil, posant que "celui qui a causé un dommage à autrui alors qu'il était sous l'emprise d'un trouble mental n'en ait pas moins obligé à réparer". Plus encore, la jurisprudence, par des arrêts d'assemblée plénière de la Cour de cassation du 9 mai 1984, admit la responsabilité civile de l'infans, admettant par là la notion de faute objective. Le fait que les parents soient automatiquement assurés pour les dommages que peuvent commettre leurs enfants est un élément qui a eu une influence directe sur l'adoption d'une telle solution, car le mécanisme du marché de l'assurance est étroitement corrélé au droit de la responsabilité civile, qui peut ainsi alors qu'il était conçu d'une manière individualiste en 1804, être appréhendé d'une façon collective aujourd'hui.
Cette évolution mène assez naturellement les esprits que la Class action pourrait être une solution pour indemniser "en bloc" les victimes, notamment les consommateurs et les petits investisseurs. Cette importation d'une technique nord américaine, déjà très controversée outre atlantique, bien qu'annoncée par le chef de l'Etat depuis de nombreuses années, n'a toujours pas été adoptée parce que certains soutiennent qu'elle déclencherait des déséquilibres économiques très importants au détriment des entreprises et qu'elle heurte en outre des principes procéduraux fondamentaux.
La victime va donc obtenir réparation de son dommage. Le principe français est celui de la réparation intégrale, c'est-à-dire tout le dommage mais rien que le dommage. D'autres systèmes juridiques, comme celui nord anglo américain, admettent des condamnations plus élevées que l'ampleur du dommage, à travers la technique des dommages et intérêts punitifs, qui ont pour fin de véritablement punir l'auteur du fait reproché et de l'inciter à adopter à l'avenir le comportement voulu par le législateur.
Puisque tous les dommages sont réparés, peuvent y prétendre les dommages matériel, économique, physique et moral. Ce dommage moral correspond à la dégradation de notoriété ou d'image de marque ou encore la souffrance physique ou le chagrin éprouvé. Le Doyen Georges Ripert critiqua les largesses des juges et l'indécence des victimes à réclamer ce qu'il désignait comme le "prix des larmes". Il suffit d'évoquer que, lors d'un arbitrage célèbre, Monsieur Bernard Tapie reçut 45 millions d'euros au titre de son préjudice moral. Le fait que la mesure du dommage et le calcul corrélatif des dommages et intérêts relèvent de l'appréciation souveraine des juges du fond, entraine une très grande hétérogénéité entre les affaires et les juridictions. La Cour de cassation devrait contrôler cette question cruciale que le droit nord américain, plus proche de l'économie, appréhende avec plus de sérieux.
Pour être indemniser, le dommage doit être certain et actuel, mais la jurisprudence admet l'indemnisation d'une perte de chance, comme par exemple le fait d'avoir perdu la possibilité de gagner une course de chevaux, faute d'avoir pu y participer (crim. 6 juin 1990).
La réparation peut se faire en nature ou par équivalent pécuniaire. La supériorité de la réparation en nature est aujourd'hui reconnue, ce qui explique sa montée en puissance, d'une façon primaire ou compensatoire, notamment en droit de l'environnement la loi du 1er août 2008 relative à la réparation des dommages à l'environnement.
Cependant, une difficulté particulière apparait lorsque la même personne cumule la qualification juridique de responsable et de victime. Depuis le Moyen-âge, les actes d'automutilation ou de suicide ne sont plus juridiquement reprochables, mais la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt du 17 février 2005 AK et AD c/ Belgique, a posé que la pratique du sadomasochisme ne pouvait pas justifier une action en responsabilité contre l'auteur du dommage corporel, dès l'instant que la victime y avait librement consenti, dans l'espace de sa vie privée. Cette décision a été fortement contestée.
Sont tout aussi difficiles à apprécier les questions de l'aide au suicide et de l'euthanasie. Le droit français reste en apparence très ferme. Ainsi, la Chambre criminelle dans un arrêt du 13 novembre 2001 a retenu la responsabilité de l'éditeur d'un livre qui donnait des modes d'emploi pour se suicider. D'une façon un peu plus flexible, mais en conservant le même principe, la loi du 22 avril 2005 relative à la fin de vie, admet certes l'atténuation des souffrances (ce qui se traduira par exemple par l'administration de fortes doses de morphine) mais ne va pas plus loin. Le législateur suit en cela le rapport Léonetti remis au Premier Ministre le 2 décembre 2008 qui refuse de modifier l'interdiction juridique de l'euthanasie et d'admettre ce qui serait un "droit à mourir dans la dignité". La question clef n'est pas celle de disposer de soi même car on peut le faire, y compris en mettant fin à ses jours sans que le droit n'y trouve rien à redire, mais la question est celle de l'intervention d'un tiers. En effet, si l'on admet, sous quelques prétexte que ce soit, qu'un tiers intervienne, alors il y aura toujours une bonne raison qu'un tiers estime qu'un être humain se trouve mieux étant mort que vivant, et en cela dispose de lui. De fait, le droit préfère la tolérance, ignorer ce qui se passe dans les services de soins intensifs et demeurer dans le "non droit".
Tous ces précédents développements ont eu trait au responsable à travers sa faute et à la victime à travers son dommage. Reste à voir ce qui relie les deux, à savoir le lien de causalité. Celui-ci exprime l'exigence logique d'un lien de cause à effet entre le fait générateur et le dommage et c'est sur ce lien qu'achoppe le plus souvent l'exigence de démonstration probatoire qui pèse sur la victime.
Cette lourdeur est d'autant plus effective que l'histoire du droit a fait passer le lien de causalité de la théorie de l'équivalence des conditions à la causalité adéquate. Mais précisément, la jurisprudence récente va opérer le mouvement inverse en revenant à une équivalence des conditions ou en organisant des alternatives probatoires. Ainsi, un comportement anticoncurrentiel sera sanctionné soit qu'il ait pour objet ou qu'il ait pour effet ou qu'il ait pu avoir comme effet d'affecter la libre concurrence du marché. Cela profite au demandeur qui peut ainsi choisir entre trois objets de preuve, ce qui allège sa charge de preuve. La jurisprudence peut être plus radicale encore et considérer, notamment en matière médicale, parce que le souci des victimes y est encore plus fort, que la causalité est tout simplement présumée. Ainsi, la première Chambre civile par des arrêts du 22 mai 2008 a posé que le lien de causalité entre l'injection de vaccin contre l'hépatite B et l'apparition de sclérose en plaque était présumé.
A travers la responsabilité de principe pour faute, même objective, la jurisprudence à partir de trois articles du Code civil, a donc construit tout un monument de règles et de solutions. Une évolution radicale a eu également une origine prétorienne puisqu'elle est venue, lorsque la jurisprudence décida de réinventer l'article 1384 alinéa 1 du Code civil. En effet, c'est paradoxalement par une analyse littérale de celui-ci que les juges en tirèrent la responsabilité pour la garde des choses.
Cette révolution jurisprudentielle prit la forme de l'arrêt des Chambres réunies Jand'heur, du 13 février 1930. Cet arrêt consacra l'autonomie de la responsabilité du fait des choses en épargnant à la victime la nécessité de prouver la faute du responsable. Mais demeurait entière la question de la preuve du gardien del a chose ayant causé le dommage. Cela fut résolu par un arrêt des Chambres réunies Franck du 2 décembre 1941 défiinissant la garde comme un pouvoir d'usage, de direction et de contrôle de la chose. Ainsi, le responsable cesse d'être le propriétaire de la chose (conception juridique de la garde) pour devenir le maître de la chose (conception factuelle de la garde). Cela montre que la responsabilité civile est avant tout l'appréhension de situations juridiques de fait.
L'analyse littérale révolutionnaire, que la Cour de cassation avait fait subir à l'article 1384 alinéa 1 du Code civil en 1930, pour adapter le droit à une société mécanisée et à l'apparition de choses autonomes et dangereuses, sans pour autant que soit nécessaire une modification de texte, allait se reproduire 60 ans plus tard à propos des personnes.
En effet, de la même façon que des alinéas particuliers de l'article 1384 n'avaient visé que des hypothèses spéciales de responsabilités pour certaines choses, le même article ne vise que des responsabilités du fait de certaines personnes. Ainsi, son alinéa 4 organise la responsabilité des parents du fait des enfants, tandis que son alinéa 5 dispose de la responsabilité des employeurs du fait de leur salarié. La jurisprudence s'est certes beaucoup développée autour de ces deux cas d'ouverture. Ainsi, quant à la responsabilité des parents provoyant l'obligation de cohabitation, la jurisprudence a affiné le cas des enfants en vacances ou sur lesquels le parent divorcé exerce un droit de visite, ce qui entraine ou non un transfert de responsabilité. De la même manière, dans l'application de l'alinéa 5, encore faut-il que le salarié agisse dans le cadre du contrat de travail, ce qui amena la jurisprudence a ne pas retenir la responsabilité de l'employeur lorsque le salarié commet un "abus de fonction", notion qui donna lieu à de multiples décisions quant à sa définition. Mais aucun principe général n'avait émergé.
La Cour de cassation rendit en assemblée plénière un arrêt Bliek le 29 mars 1991 posant que l'article 1384 alinéa 1 oblige d'une façon générale celui qui a accepté de contrôler et d'organiser à titre permanent le mode de vie d'une personne, de répondre des dommages que celle-ci a causés. Cet arrêt est le pendant de l'arrêt Jand'heur et s'explique pour de semblables raisons sociologiques. En effet, le vieillissement de la population et le placement des personnes du quatrième âge en établissements spécialisés justifie ce déplacement de responsabilité, d'autant plus admissible que ces établissements sont assurés.
La prévalence de l'indemnisation du dommage associé au fait qu'elle est supportable parce que les responsables sont assurés et ne sont donc pas les payeurs, le paiement étant dilué, la responsabilité s'approchant du mécanisme de la sécurité sociale, explique que, de la même façon que la causalité s'est quasiment effacée, la faute a elle-même quasiment disparu dans la responsabilité du fait d'autrui.
Ainsi, dans le cas très courant dans la responsabilité des parents du fait des enfants. Ainsi, la deuxième Chambre civile, dans son arrêt du 19 février 1997, Bertrand, a posé que désormais les parents n'étaient plus simplement présumés fautifs dans la garde qu'ils exercent sur leurs enfants mais qu'ils en étaient objectivement responsables. De la même façon, la Cour de cassation, dans son arrêt d'assemblée plénière du 13 décembre 2002, MAIF, pose que la responsaboilité des parents est engagée même si l'enfant n'a pas commis de faute, alors que le mécanisme de responsabilité exigeait classiquement un double comportement reprochable, d'abord celui de l'enfant (faute objective) puis celui des parents (déjà remis en cause par l'arrêt Bertrand).
Certains auteurs ont critiqué l'arrêt car la resposabilité du fait d'autrui devient ainsi identique à la responsabilité du fait des choses, c'est une responsabilité objective et sans faute. L'enfant est comme une chose, le juge l'a "réifié". Mais l'on peut aussi soutenir que la personne du responsable en tant qu'être intentionnel s'est effacé pour n'apparaitre qu'en être causal, que comme auteur d'un dommage, la seule personne pertinente aujourd'hui dans le droit de la responsabilité civile étant la victime.
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