24 octobre 2016

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Conflit structurel d'intérêts, éthique et Autorité de régulation : le cas I-Télé

par Marie-Anne Frison-Roche

Le Droit de la Régulation avait posé la prohibition du cumul de la fonction d'opérateur et de la fonction de régulateur comme étant "constitutive". Certains y ont même vu comme une règle "constitutionnelle" du Droit de la Régulation.

 

Puis l'on a estimé qu'il ne s'agit que d'un cas particulier d'un principe plus général et plus fondamental encore : la prohibition des conflits d'intérêts, impliquant d’une façon très générale que celui auquel a été confié une puissance afin qu’il l’exerce pour un intérêt autre que le sien ne soit pas en charge d’une façon cumulé d’un second intérêt divergent.

 

C'est ainsi que le Droit de la Régulation a rencontré la "gouvernance", le droit public de la séparation des pouvoirs convergeant vers le droit privé structurant les organisations privées, comme les sociétés!footnote-666 .

 

Dans la mesure où la prévention des conflits d’intérêts est destinée non pas tant à prévenir les abus, ce qui n’aurait impliqué que des obligations comportementales portant sur les personnes, mais à engendrer de la confiance de la part des tiers qui observent le fonctionnement ordinaires des systèmes dans lesquelles agissent des individus ordinaires, le Droit de la Régulation a impliqué que l’Autorité de Régulation contrôle que l’entité distingue structurellement les pouvoirs et les intérêts servis.

 

Et voilà que l’actualité, à travers le cas I-Télé, lui-même activé par ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Morandini » vient mettre en lumière l’ensemble des règles. Le cas est particulièrement problématique.

Et chacun en appelle au Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA)

 

Lire ci-dessous l’analyse juridique au regard du Droit de la Régulation.

 
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Lire une synthèse remarquable de ce mouvement : Montalivet, P. de, L'extension de la séparation des pouvoirs dans les organisations publiques et privés, 2015.

En effet, la chaîne a signé avec le CSA un document dont certains éléments sont qualifiés d’« éthiques ». Personne ne sait vraiment où se situe l’Éthique par rapport au Droit. L'on pose le plus souvent que cela n'engendre que des obligations déontologiques, de "bons comportements", ne justifiant que des sanctions Ex Post, en cas de "mauvais comportements" constatés.

Or, une personne travaillant depuis pour la chaine, Jean-Marc Morandini, a été mis en examen, pour des fautes pénales extrêmement grave. Ce fait – la mise en examen – n’est pas ici à commenter, car – comme le souligne l’intéressé – il bénéficie de la présomption d’innocence. Les journalistes affirment qu’il a perdu la confiance de la rédaction et que sans cette confiance, le travail si particulier que constitue le travail de journalisme ne peut plus s’exercer. Ils demandent donc le soutien de la rédaction. Le directeur de la rédaction est ainsi sollicité par les journalistes.

 

 

Il convient de se demander quel est le pouvoir et quelle est la fonction d’un directeur de rédaction. Le directeur d’une rédaction d’une chaîne d’information est celui qui fixe avec son équipe la politique éditoriale de la Chaine. Il le fait en toute indépendance.

 

Mais il se trouve que la même personne est également le directeur de la Chaine.

 

La Chaine est une société privée. Elle est une société commerciale, filiale d’un groupe côté et contrôlé par des actionnaires privés.  A ce titre, le directeur de la chaîne peut sans doute recevoir des demandes de la part de la société. Cela dépend de son statut de droit, s’il est salarié ou non. S’il bénéfice de clauses particulières, lui offrant un indépendance de fait, même si son statut de droit, par exemple le salariat, inclut par définition une subordination.

 

Le cumul structurel d’une fonction qui exige l’indépendance d’un directeur de la rédaction, afin de garantir l’indépendance de l’équipe éditoriale et d’un statut par ailleurs qui exclurait l’indépendance pose un problème d’impartialité!footnote-667.

 

L’on peut même se demander si l’article 6 CEDH ne trouverait pas ici à s’appliquer.

 

En outre, dans ce cas que l’on dira bientôt « d’école », si le CSA était saisi, ce qu’il a vocation à être, sa compétence va être pouvoir tenir sur des dispositions éthiques ?

 

L'on pourrait dire en premier lieu que les engagements dont il s'agit ne seraient qu' "éthiques" et que revient ensuite la dure réalité des affaires et des rapports de force. Mais en premier lieu la déontologie est une cristallisation juridique en Ex Ante des bons comportements.

 

En second lieu, comme il a été montré en introduction, la prohibition ou la gestion des conflits d'intérêts n'est pas une question à isoler dans un secteur régulé : elle est au cœur même de la Régulation.

Dès lors, le Régulateur du secteur ne peut pas ne pas intervenir.

Non pas sur les comportements des uns et des autres.

Car Jean-Marc Morandini bénéficie de la présomption d'innocence et ce n'est certainement pas au Régulateur d'apprécier son comportement par ailleurs dans un cas judiciaire dont nous ne savons rien.

Ce n'est pas plus au Régulateur du secteur de l'audiovisuel de porter des appréciations sur ce que peut décider un actionnaire ou une maison-mère ou un employeur dans une société cotée. Le droit des sociétés a sa logique et le Droit de la Régulation des secteurs ne doit pas mener à la destruction du pouvoir de direction qu'implique à la fois la relation de subordination que constitue le contrat de travail et le pouvoir de décision qu'implique les mandats sociaux.

Mais il ne peut y avoir de conflits structurels d'intérêts. C'est le principe constitutif du Droit de la Régulation.

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V. par ex. Frison-Roche, M.A. , Le droit à un tribunal impartial, 2012.

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