Colloque organisé par le Ministère de la justice et le Ministère des Affaires Etrangères français, Beyrouth, Liban
Même s’il est vrai que le droit économique se prête mal à la distinction entre le droit privé et le droit public et qu’il existe davantage une dialectique qu’une distinction entre le droit économique et les droits économiques, on peut distinguer les droits économiques substantiels et les droits économiques processuels. Concernant les premiers, il s’agit avant tout du contrat, instrument du marché, en ce qu’il permet les échanges, est socle des organisations (sociétés), peut constituer un bien (marché financier), et du droit de propriété, dont la propriété intellectuelle est aujourd’hui un souci premier. Le droit processuel qui permet d’atteindre un juge, permet à l’État de garantir le bon fonctionnement du système, dès l’instant que le juge est techniquement compétent et non-corrompu.
Lire ci-dessous la présentation de l'intervention.
La difficulté du sujet vient du fait que la distinction entre le droit privé et le droit public, ici présupposée, ne convient pas au droit économique, qui suppose aussi bien l'État, sans lequel il n'y a pas de marché, que des mécanismes, comme le contrat ou la propriété, que le marché requiert également.
Un éclaircissement est également nécessaire, à savoir le rapport entre "le droit économique" et "les droits économiques". Si l'on définit ceux-ci comme des prérogatives dont les personnes peuvent se prévaloir contre d'autres, comme le droit des créanciers, des propriétaires, des acheteurs, des vendeurs, des titulaires de brevets, etc., alors un système économique libéral repose sur ceux-ci. Mais il aura fallu des lois (le "droit objectif") pour que soient organisés des "droits subjectifs". Le rapport entre les deux est dialectique. En effet, si l'État veut que les règles objectives qu'il a édictées soient effectives, l'effectivité du droit étant crucial en droit économique, alors un des moyens est de donner aux personnes des prérogatives. En effet, les personnes, intéressées à défendre "leurs droits", pourront saisir un juge, par le droit processuel d'action. En faisant reconnaître leur droit subjectif, elles permettront non seulement la satisfaction de leurs intérêts particuliers (principe du marché), mais encore la restauration de la règle objective violée (principe de la légalité dans un État de droit). C'est ainsi notamment que fonctionne le droit de la concurrence.
Si l'on limite l'analyse aux droits économiques (et non au droit économique, qui ferait glisser vers la régulation des marchés), il convient de distinguer les droits substantiels des personnes, qui sont dans une économie de marché principalement le droit de contracter et le droit de propriété, et les droits processuels économiques des personnes, permettant aux agents économiques de saisir le juge (qu'il soit judiciaire ou administratif) pour que celui-ci assure l'effectivité des droits. On mesure ainsi que les marchés ne fonctionnent bien qu'avec un système juridictionnel qui soit techniquement performant et ne soit pas corrompu.
En ce qui concerne les droits substantiels économiques, le coeur est le droit de contracter, de choisir avec qui l'on contracte et à quelle condition. Désormais, même dans les pays de Civil Law , on applique l'analyse économique du droit au mécanisme contractuel. En effet, ce type d'analyse n'est pas propre aux systèmes de Common Law mais plutôt la marque des sociétés dans lesquelles les professionnels du droit ont aussi une éducation et une culture économiques, ce qui est une autre question. Ainsi, la Cour de cassation a en France défini le contrat comme un partage équilibré de risques économiques. De la même façon, sous l'influence de la notion d'asymétrie d'information, le droit des sociétés a évolué pour protéger systématiquement des associés minoritaires, puis plus largement les investisseurs, contre les mandataires sociaux, profitant de leur "rente informationnelle".
Ainsi, le contrat, qui dans le cas d'une société ou d'un réseau de distribution, est une "organisation", et sur un marché ordinaire permet les "échanges" des biens et services, peut devenir à son tour un "bien". Tous les marchés financiers sont construits sur des contrats. Les marchés financiers eux-mêmes sont des biens. Des biens dangereux, en ce qu'ils sont porteurs de risques systémiques, contre lesquels le droit est mal armé, les finances publiques des États ne suffisant pas à compenser les crises successives. La virtualité de la finance tient au fait que le contrat est un bien immatériel, comme l'est l'information, cette économie de l'information étant par nature explosive.
C'est pourquoi, tout à la fois les pouvoirs contractuels se développent et les pouvoirs d'encadrement des contrats se développent. Cela n'est pas contradictoire, cela va de pair. Ainsi, le contrôle des concentrations est sans doute la façon dont les États expriment de la façon la plus forte leurs puissances, ce pouvoir normatif étant devenu plus puissant que la puissance budgétaire ou de police.
Comme le montre la question ouverte de la "neutralité du Net", principe que le droit posera ou ne posera pas, c'est le pouvoir normatif du droit qui orientera l'économie vers telle ou telle technologie. Cela est particulièrement avéré en matière de propriété intellectuelle.
En effet, et c'est le second droit substantiel requis par une économie de marché, le droit de propriété est nécessaire pour que les biens circulent. Si les biens sont immatériels, oeuvres de l'esprit, artistiques ou invention technique, la propriété intellectuelle offre à son titulaire une rente temporaire de monopole sur le marché. Jadis pensée comme une récompense pour l'inventeur, la P.I. est aujourd'hui conçue comme une politique des États pour inciter les agents économiques intéressés par des rentes à innover pour se les procurer. Mais aujourd'hui, cette propriété est contestée par certains qui voudraient accéder à ces biens, sans demander l'accord du propriétaire (licence), voire sans le rémunérer, au nom d'un droit fondamental d'accès. Suivant la position internationalement adoptée par les États, Google deviendra ou non la première entreprise au monde, si, au nom d'un droit d'accès sans limite, on lui permet de puiser dans les oeuvres d'autrui, en vendant les espaces publicitaires à d'autres, pour des milliards.
On mesure ici que, même si l'on voudrait en rester au droit privé, on en revient au triangle qui caractérise la régulation, entre le droit, la politique et l'économie.
En apportant les droits processuels économiques, leur importance montre qu'il faut un "tiers impartial et désintéressé", c'est-à-dire un administrateur ou un juge dans un système marchand. En effet, le mythe des marchés autorégulés par la seule confrontation de l'offre et de la demande s'est effondré.
Une libéralisation d'un système d'économie publique ne peut se faire qu'adossée sur un système juridictionnel et administratif fort et non-corrompu.
Lorsque l'économie nationale est elle-même confrontée à l'espace international, notamment du fait des investisseurs étrangers, ou parce que nous sommes dans l'espace virtuel (Internet), l'arbitrage international, l'OMC et le CIRDI.
Faut-il aller plus loin et accroître la puissance des droits processuels, au nom du caractère fondamental du "droit au juge" dans un État de droit, et de l'effectivité du droit ainsi servi en droit économique ? On songe beaucoup en Europe à mettre en place "l'action de groupe", mode canadien de la class action nord-américaine, tout en se méfiant de ne pas, à partir de ces bonnes intentions dont l'enfer est pavé, dériver vers une société contentieuse par excès, car il s'agit avant tout de nourrir la population et non les avocats.
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