Conférence
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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Choix et embranchements de compétences lorsqu'un enjeu de vigilance est allégué", in Le Droit processuel de la Vigilance, in cycle de conférences-débats "Contentieux Systémique Émergent", organisé à l'initiative de la Cour d'appel de Paris, avec la Cour de cassation, la Cour d'appel de Versailles, l'École nationale de la magistrature (ENM) et l'École de formation des barreaux du ressort de la Cour d'appel de Paris (EFB), sous la responsabilité scientifique de Marie-Anne Frison-Roche, 18 novembre 2024, 11h-12h30, Cour d'appel de Paris, salle Cassin
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🎤Lire aussi la présentation de l'autre intervention que je prononce ultérieurement dans cette conférence, intervention sur le thème : "Les spécificités à concevoir dans l'audience publique des contentieux systémiques de vigilance"
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🕴️Intervient également à cette conférence Natalie Fricero, Professeure émérite de l'Université Côté d'Azur
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⚙️Cette manifestation a été conçue comme un élément du cycle de conférences-débats "Contentieux Systémique Émergent", organisé à l'initiative de la Cour d'appel de Paris, avec la Cour de cassation, la Cour d'appel de Versailles, l'École nationale de la magistrature (ENM) et l'École de formation des barreaux du ressort de la Cour d'appel de Paris (EFB), sous la responsabilité scientifique de Marie-Anne Frison-Roche.
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► Résumé de cette intervention : cette intervention débute la conférence. Elle porte donc logiquement sur la question de la "compétence juridictionnelle". Elle se déroule en 4 points qui s'articulent progressivement les uns par rapport aux autres.
Le premier point consiste à rappeler que l'organisation juridictionnelle et les compétences ne sont jamais détachables du fond de la matière litigieuse. C'est pourquoi la question de la compétence déclenche tant de passion tant que la définition même de la Vigilance sera si disputée, la croyance du Législateur de 2021 d'éteindre le feu n'ayant pu qu'exacerber celui-ci.
Le deuxième point porte sur la première solution proposée à savoir la persistance dans l'exclusivité du Tribunal judiciaire de Paris, admissible sur le principe car les juges en se spécialisant acquiert une "compétence technique" mais qui présente un "risque Bibendum" très dommageable.
Le troisième point porte sur la seconde solution proposée à savoir la référence à la notion motulskienne de "fondement de la demande", qui provoque un embranchement, avec le risque de conflits interminables et de divergences d'interprétations.
Le quatrième point est la nécessité de trouver la solution la meilleure, c'est-à-dire la moins mauvaise, consistant avant tout à former des alliances pratiques, ne requérant pas de textes nouveaux, pour ce contentieux particulier qui n'entre dans aucune branche du Droit et justifiant un dialogue des chefs des juridictions.
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🔓Lire ci-dessous les lignes de force de cette intervention ⤵️
I. LA COMPÉTENCE INSTITUTIONNELLE TRADUIT LA MATIÈRE LITIGIEUSE : LA DIFFICULTÉ LIÉE A LA COMPÉTENCE NAIT DE LA NOUVEAUTÉ ET SPÉCIFITE D'UNE MATIÉRE LITIGIEUSE QU'ON NE PEUT RATTACHER A UNE PROCÉDURE TRADITIONNELLE
Parce que la procédure ne peut jamais être tout à fait scindée du fond, les difficultés pour savoir quels juges doivent ou peuvent en connaître, la question première de la compétence juridictionnelle ne pouvaient se résoudre que si l'on se réfère au fond de l'affaire, la dernière dernière du jugement. Et plus l'on a pensé pouvoir résoudre la question première de la compétence de la plume assurée du Législateur et plus les difficultés allaient venir car la matière litigieuse excède très largement du Droit civil, à tout le moins dans la conception classique que l'on a de celui-ci. En effet, parce que la Compétence est liée à la matière litigieuse (tribunaux civile/matière civile, etc.) encore faut-il savoir de quoi relève la "Vigilance".
Ainsi, si l'on voit la Vigilance comme ayant pour " but monumental" de défendre (par avance) des victimes faibles et isolées contre des entreprises sans cœur qui abîment la planète et piétinent les droits et ont pour dessein de poursuite cela, l'on verra apparaître la figure de la juridiction pénale ou à tout le moins un juge qui punit.
Si l'on voit dans le plan de Vigilance un acte de gestion inséré dans la stratégie d'une entreprise globale, l'on verra apparaître la figure de la juridiction consulaire ou à tout le moins d'un juge qui trouve des solutions pour que les opérations d'infrastructure perdurent.
Si l'on voit la Vigilance comme une régulation des rapports sociaux grâce à l'alliance entre des puissances privées supervisées (avec une AAI qui émerge) et l'Etat, l'on verra apparaître la figure de la juridiction administrative ou à tout le moins d'un juge qui conçoit son office en Ex Ante et en appui d'une entreprise qui ordonne et qui administre ce qu'elle a objectivement structuré : la chaine d'activés.
Si l'on voit la Vigilance comme une méthode de gestion des risques et de prévention des catastrophes par un traitement des informations et la connexion des datas et des probabilités, l'on verra se dessiner l'interrégulation sur le modèle bancaire, modèle qui cesserait d'être l'exception pour devenir le parangon, dans sa puissance, son appréhension du futur et son peu de souci des droits particuliers pour assurer la durabilité de notre société.
Or, la Vigilance c'est peut-être tout cela ou en tout cas, avec passion, les uns et les autres soutiennent qu'elle serait ceci ou cela. Et du coup, soutient que son "juge naturel" est celui-ci ou celui-là..
Mais la Compétence juridictionnelle, c'est aussi l'idée que l'on découpe les juridictions parce que le juge ne peut pas tout savoir (le juge civil ne maîtrise que le civil, etc.). Or, si la Vigilance, c'est de la Régulation, très concrètement, le juge juridiquement compétent rencontre un problème de compétence technique.
Quand on lit les commentaires, l'on observe que, parfois sur un ton acerbe, les professeurs exigeraient des juges de tout savoir, d'avoir littéralement "toutes les compétences", de tout régler par l'addition de tous les pouvoirs, d'être à la fois celui qui punit, celui qui trouve les solutions, celui qui réconcilie, celui qui permet aux entreprises de faire ce pourquoi elles sont missionnées par la loi.
Cette question de la compétence technique des juges pour comprendre les systèmes est centrale : c'est pourquoi la désignation juridictionnelle du juge civil est tout à fait admissible si sa compétence technique des systèmes en cause (système des chaines de valeur, système social, système économique international, système environnemental) est appréhendé par des juges de fait spécialisés par des chambres instituées par des juridictions eux-mêmes.
La création de chambres spécialisées, à la Cour d'appel de Paris, puis au Tribunal judiciaire de Paris, était la bonne, voire la seule solution, à la compétence juridictionnelle conférée par la loi alors que la Vigilance embrasse toutes les dimensions.
A juste titre, en raison du but monumental poursuivis (sauver la planète, protéger les individus pris dans des systèmes d'information et de désinformation, protéger les droits humains) l'on demande au juge civil de punir par avance, de réguler, d'apporter des solutions, de réconcilier, en restant au plus proche du cas, cas dans lequel un système complet est impliqué : ici le système structuré par des contrats qu'est une "chaine de valeur", impliquant l'avenir de système complet.
S'il y a passion sur cet enjeu de compétence, c'est bien parce que sous la figure du juge, c'est la définition même de la Vigilance que l'on veut dessiner. La violence des commentaires montre l'enjeu.
Mais il est inévitable que tout le contentieux n'arrive pas à la Chambre 34 du Tribunal judiciaire car la spécificité de la Vigilance n'éteint pas le Droit pénal, le Droit bancaire, le Droit financier, le Droit public, le Droit de la concurrence et de la distribution, pour ne citer que ceux-ci. Il est possible que, si le contentieux demeure parisien, cela soit compensé par l'unicité du pôle économique de la Cour d'appel de Paris. Mais d'autres cours existent qui ne sont pas effacées non plus, le Conseil d'Etat existe, les juridictions européennes existent, qui ne convergent pas vers cette Cour.
II. LES BRANCHES DU DROIT NE PEUVENT S'ÉVANOUIR, LE CONTENTIEUX LIÉ NON PLUS
Mais et c'est la pratique qui a commencé à le montrer la Vigilance n'efface pas les branches du Droit.
Ainsi et pour commencer les chaînes d'activités sont structurées par des contrats. Ces contrats sont des "contrats-organisation" qui structurent dans le temps d'une façon durable ces chaines. Le Droit des contrats leur est donc applicable. Les juges du contrat sont donc compétent s'il y a un vice du consentement, s'il y a une demande d'exécution forcée, etc. Y compris lorsque ce vice dans la formation ou l'exécution est logée dans une exigence de Vigilance.
La chambre spécialisée de la Cour d'appel de Paris a d'ailleurs cherché le bâton pour se faire battre en écrivant dans un obiter dictum dans l'un de ses arrêts du 18 juin 2024, l'arrêt dit Suez
Les spécialistes de droit de la concurrence ont souligné que le droit de la distribution qui traduit juridiquement souvent la chaine d'activité, de fournisseurs en fournisseurs, est directement concerné par les ruptures brutales qu'interdit cette branche mais que requiert les chartes éthiques, les engagements et les clauses de vigilance. Comment exclure les tribunaux de commerce.
L'on se réjouit de la loi Climat et résilience qui exclut de la commande publique l'entreprise qui n'aurait pas respecté ses obligations de vigilance. Comment exclure de la connaissance du contentieux qui va naître de cette exclusion le juge administratif ?
Chasser le naturel, il revient au galop. Et les juges naturels du contrat, de la concurrence, de l'Etat, etc., sont en train de revenir. Serait-ce une bonne idée de les rayer de nouveau de la carte ? Il y a plusieurs solutions proposées dans une difficulté qui vient non pas de la bonne ou mauvaise volonté des uns et des autres mais de la matière litigieuse elle-même.
IV. LA SOLUTION DE SUIVRE A LA LETTRE LA LOI EN DONNANT TOUT AU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS : LES IMPASSES PRODUITES ET LES QUELQUES SOLUTIONS
Le deuxième point porte sur la nécessité d'anticiper les "stratégies contentieuses" des demandeurs comme des défendeurs qui vont utiliser les compétences pour toujours gagner, alors qu'ils auraient pu pouvoir perdre. Il est essentiel d'affronter la difficulté à laquelle les juridictions font face.
Pour l'instant, deux solutions procédurales sont proposées. La première, consiste à prendre la lettre du Code de l'organisation judiciaire et de poser que dès qu'une "question de vigilance" ou à tout le moins qu'un "plan de vigilance" est évoqué, alors l'ensemble du contentieux est transféré au Tribunal judiciaire.
C'est simple et c'est net. C'est même ce qu'a voulu le Législateur.
L'on risque un "effet Bibendum" pour le Tribunal judiciaire de Paris, avec un effet d'aubaine pour évoquer paradoxalement la vigilance du côté des assujettis dans des causes où elle n'est pas concernée.
La solution la meilleure consiste à faire une chambre spécialisée, à former des juges à des matières litigieuses non-civiles (conception plus anglaise du "juge de droit commun", évolution vers la common law qui constitue un effet inattendu produit par la loi française), à leur donner plus de moyens, à leur donner de l'aide (amici curiae, par exemple).
V. LA SOLUTION DE L'EMBRANCHEMENT A PARTIR DU "FONDEMENT DE LA DEMANDE" : LES IMPASSES PRODUITES ET LES QUELQUES SOLUTIONS
La seconde solution proposée, et formulée notamment par François Ancel, consiste à isoler d'une part le plan de vigilance de tous les autres éléments de ce qu'est la Vigilance, le premier n'étant qu'un élément de celle-ci, et d'autre part à ne retenir que les actions "fondées" sur le plan de vigilance.
Tout motulskien ne pourra que suivre cet usage du "fondement de la demande" et retenir alors cet articulation entre le principal et l'accessoire, plutôt le droit spécial et le droit commun qui est encore difficile à manier.
L'inconvénient est que cela conduit nécessairement à un allongement des procédures, puisqu'il y a alors sursis à statuer, ce qui est un inconvénient acquis et à un risque, à savoir des divergences sur le fond : car tout n'est pas à Paris.
Là encore, les juridictions qui peuvent en connaître, le Tribunal de commerce de Paris, le Tribunal judiciaire de Nanterre, peuvent insérer ce souci des contentieux systémiques de vigilance dans un chambre spécialisées, peuvent former les magistrats.
VI LA MEILLEURE SOLUTION : ADMETTRE L'IRREDUCTIBLITE DE LA MATIERE LITIGIEUSE ET FORMER D'UNE FACON DURABLE DES ALLIANCES JURIDICTIONNELLES, ENTRE JUGES ET AVOCATS, FAVORISER LES ACCORDS
Il faut articule ces deux solutions qui sont les moins mauvaises (donc les meilleures) face à une difficulté qui ne peut pas être aplanie car elle est la traduction de la nature même du contentieux de la Vigilance, laquelle est normativement fondée dans des Buts Monumentaux économiques et humanistes dans la formulation desquels la souveraineté des Etats et de l'Europe s'exprime et s'appuie avec les entreprises qui doivent prendre en considération les parties prenantes.
En pratique, cela signifie que les alliances de fait et de droit doivent s'opérer, et en amont, entre les juridictions concernées, entre les parties, dans une procédure plus accusatoire, les avocats entre eux, les juges et les avocats dans la mise en état notamment pour le calendrier.
L'on a vu que pour la question de la "compétence technique", ce sont les juridictions elles-mêmes (Cour d'appel de Paris, puis Tribunal judiciaire de Paris) qui ont créé les chambres, puis organisé les formations. De la même façon, par la pratique des alliances entre les juridictions, notamment dans les calendriers, ce qui paraît insoluble sur le papier peut trouver solution. Ainsi, ce qui paraît résolu sur le papier (en effaçant toutes les juridictions, sauf le TJ Paris, ce qui ne peut être) et entraîne de multiples difficultés en pratiques qui paraissent insolubles, pourrait être résolues, notamment si la Chancellerie veut bien favoriser ce dialogue des juridictions dans l'organisation des procédures.
Mais c'est quitter ici la question de la compétence pour entrer dans la question procédurale de la mise en état.
"De fait, l'obligation d'établir un plan de vigilance étant l’expression particulière, formelle et publique de l'obligation générale et continue de vigilance s'imposant aux personnes privées au sens de l'article 1240 du code civil et de l’arrêt Michel Z et autre rendu par le Conseil constitutionnel le 8 avril 2011 (n° 2011-116 QPC) ainsi que le soutiennent les associations, il est logique que les documents présentés par les parties comme des plans distincts ne soient que les versions successives et actualisées d'un plan unique émanant d'une même personne morale;" (mis en caractères gras par moi. Cet obiter dictum a été mis en valeur par l'ensemble des ONG dans leurs commentaires, qui ont saisi par ailleurs des juridictions de droit commun sur la base du droit commun.
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