25 septembre 2015

Base Documentaire : 08. Juridictions du fond

Cour d'appel de Rennes, Chambre 26 A.

Arrêt du 28 septembre 2015, M. Pierre-Jean M. et Mme Régina R., épouse M. c/ Ministère public

Ici, l'instance devant les juges du fond se développe en même temps que les décisions de justice se sont successivement développées.

Ainsi, en 2010, les époux M., français qui résident au Vietnam, ont déclaré au consulat général français d'Hô Chi Minh une enfant comme étant née d'une "mère porteuse", en demandant qu'elle soit déclarée comme étant leur fille, et font également état d'une mention sur l'état civil de Bombay d'un acte de naissance de la même enfant, les mentionnant comme "parents d'intention".

Le Tribunal de Grande Instance de Nantes annule l'acte de naissance litigieux par un jugement du 22 mai 2014 en posant qu'il est entaché de fraude en ce qu'il est l'aboutissement d'une convention de gestation pour autrui, ce qui constitue une fraude à la loi française et une violation de l'ordre public international.

Les époux forment appel en se prévalant et des arrêts de la CEDH du 26 juin 2014, imposant la transcription pour la filiation entre l'enfant et son père biologique, dans l'indifférence de la gestation pour autrui dont l'enfant est issu, et ajoutant que l'enfant a la possession d'état d'enfant à l'égard de sa "mère d'intention" ce qui justifie d'une façon autonome l'établissement d'un lien de filiation maternelle à l'égard de celle-ci.

La Cour d'appel de Rennes, dans son arrêt du 28 septembre 2015, rejette ces arguments et confirme l'annulation prononcée par le Tribunal de Grande instance de Nantes, tout en changeant la motivation de la décision.

 

Lire ci-dessous le détail de l'arrêt.

 

Les juges de la Cour d'appel posent que la théorie de la fraude n'est désormais plus recevable et que les conditions de naissance de l'enfant ne peuvent plus être opposées à celui-ci. Mais l'arrêt poursuit : "il convient de rappeler que l'article 47 du code civil dispose que tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étrangers et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité".

L'arrêt poursuit : "si la mère d'intention peut également être la mère biologique (procréatrice mais non gestatrice), la loi de la mère s'entend comme la loi de la mère désignée dans l'acte de naissance, c'est-à-dire celle ayant accouché de l'enfant, cette interprétation étant conforme aux dispositions des articles 211-25 et 332 du code civil" ... "en l'état actuel du droit positif, la filiation maternelle ne peut être attribuée qu'à la femme qui a accouché;".

Or, en l'espèce, "le nom de la mère d'intention a été substitué au nom de la mère ayant accouché de l'enfant, qui est une mère porteuse indienne", Il y a eu "aveu judiciaire" de cette réalité, notamment du fait qu'en Inde les époux ont révélé l'existence de la GPA conclu devant notaire mais qu'arrivés au Vietnam où ils vivent ils ont indiqué l'épouse comme étant la mère de l'enfant, c'est-à-dire fait un faux, en produisant des faux documents médicaux.

 

Les juges examinent tout d'abord la qualité probatoire de l'acte d'état civil établi à l'étranger.

Les juges en concluent que "l'acte consulaire est donc entachée de nullité comme ayant été dressé sur la base d'un faux certificat d'accouchement", ce qui "doit conduire à invalider sa transcription sur les registres français".

L'arrêt poursuit en soulignant que les droits de l'enfant tirés de l'article 8 CEDH ne peuvent être évoqués qu'en présence d'un lien biologique entre celui-ci et l'homme qui l'a déclaré. Celui-ci n'est mentionné sur l'état civil tenu à Bombay que comme "parent d'intention".

Ainsi, "par extension des dispositions de l'article 47 du code civil, l'acte de naissance français qui fait état de la naissance d'Estelle comme étant née, non pas de la mère porteuse qui a accouché, mais de Mme M., mère d'intention, ne peut pas faire foi eu égard au vice de l'acte de naissance indien, ... l'acte consulaire est donc entaché de nullité comme ayant été dressé sur la base d'un baux certificat d'accouchement puisqu'il n'est pas contesté que Mme M. n'a pas accouché de cet enfant ; ... un acte d'état civil français mentionnant des faits déclarés qui ne correspondent pas à la réalité ne saurait être validé, alors que ce même constat pour un acte étranger doit conduire à invalider sa transcription sur les registres français".

 

Les juges délimitent la portée juridique de l'intérêt supérieur de l'enfant.

La Cour poursuit : "en tout état de cause, l'intérêt supérieur de l'enfant que garantit l'article 3§1 de la convention internationale des droits de l'enfant, le respect de la vie privée et familiale de l'enfant et son droit à une identité qui inclut la filiation et la nationalité au sens de l'article 8 de la CEDH, ne sauraient être utilement invoqués que si la filiation paternelle est conforme à la vérité biologique comme résultant d'une expertise biologique judiciairement établie selon les modalités de l'article 16-10 du code civil confiée à un laboratoire dûment agréé.".

Or, en l'espèce, le consulat avait demandé à l'hôpital de Bombay des informations sur ce point mais n'avait reçu comme réponse que la qualité de M. M. comme "parent d'intention", ce qui est insuffisant.

 

Les juges refusent l'assimilation entre l'adoption et la GPA.

Par ailleurs, les juges posent que "en l'état actuel du droit positif, la fiction légale de la filiation adoptive, non conforme à la vérité biologique, qui tend à assimiler l'adopté à un enfant légitime, ne saurait être transposé au cas de l'enfant né d'une gestation pour autrui, de façon à effacer dans l'intérêt supérieur de l'enfant, la filiation de la mère de substitution au profit de la filiation de la mère d'intérêt qui n'a pas accouché, en l'absence de statut propre de l'enfant né par gestation pour autrui  à l'étranger et vivant en France au sein d'un foyer familial qui pourvoit à son éducation et à son entretien,...."

 

Les juges rappellent les fondamentaux du droit français

", ...étant ajouté que l'incrimination de l'article 227-12 du code pénal cristallise l'illicéité des conventions portant sur la gestation pour le compte d'autrui en France, assortie d'une prohibition d'ordre public en vertu de l'article 16-7 du code civil, comme contrevenant au principe d'ordre public de l'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnelles".

 

La Cour d'appel de Rennes confirme donc l'annulation de l'acte de naissance, par substitution de motifs et condamne les deux époux.

 

Lire le billet de blog à propos de cet arrêt.

 

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