Référence complète : Com., 30 juin 2021,
Cour de cassation - Chambre commerciale — 30 juin 2021 - n° 19-14.313
Résumé :
Il résulte de l'article L. 312-1-IV-1° du code monétaire et financier que l'établissement de crédit peut résilier unilatéralement la convention de compte assorti des services bancaires de base, ouvert en application du droit au compte, lorsque le client a délibérement utilisé son compte pour des opérations que l'organisme a des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, auquel cas il est dispensé de lui accorder un préavis. Constitue une utilisation délibérée du compte, au sens de ce texte, le fait, pour son titulaire, d'en communiquer les coordonnées à un cocontractant afin qu'il effectue un paiement par virement sur ce compte
Texte intégral
Cassation
numéros de diffusion : 623
ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:CO00623
République française
Au nom du peuple français
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 30 juin 2021
Cassation
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 623 FS-B
Pourvoi n° A 19-14.313
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 JUIN 2021
La société BNP Paribas, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], prise en son établissement secondaire à [Localité 1], [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 19-14.313 contre l'arrêt rendu le 6 décembre 2018 par la cour d'appel de Grenoble (chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société Knappe Composite, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fevre, conseiller, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de la société BNP Paribas, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société Knappe Composite, et l'avis de Mme Henry, avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 1er juin 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Fevre, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Graff-Daudret, Vaissette, Bélaval, M. Riffaud, conseillers, M. Guerlot, Mmes Barbot, Brahic-Lambrey, M. Blanc, Mme Kass-Danno, M. Boutié, conseillers référendaires, Mme Henry, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 6 décembre 2018), la société Knappe Composite (la société Knappe), spécialisée dans la fabrication de dispositifs utilisés dans l'industrie pétrochimique, ayant pour partenaire commercial la société iranienne Teheran [R] Industry Co, a saisi la Banque de France au titre du droit à l'ouverture de compte prévu par l'article L. 312-1 du code monétaire et financier à la suite du refus de la société BNP-Paribas, agence de [Localité 1] (la banque), d'entrer en relation avec elle. Celle-ci, désignée par la Banque de France, lui a ouvert un compte de dépôt le 15 mai 2017.
2. Par lettre recommandée du 14 février 2018, la banque a notifié à la société Knappe sa décision de clôturer son compte, sans préavis, en indiquant que le motif de la rupture était un « fonctionnement atypique de votre compte (article L. 312-1-IV-1° du code monétaire et financier) ».
3. Une ordonnance de référé, confirmée en appel, ayant dit que la clôture du compte de la société Knappe constituait un trouble manifestement illicite et ordonné le maintien du compte, la banque a assigné la société Knappe afin de voir constater la validité de la résiliation du compte.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa septième branche
Enoncé du moyen
4. La banque fait grief à l'arrêt de constater qu'elle n'a pas régulièrement notifié, ni dans la forme, ni au fond, la résiliation du compte de dépôt ouvert dans ses livres au nom de la société Knappe Composite, dans le cadre du droit au compte défini à l'article L. 312-1 du code monétaire et financier, alors « que constitue une utilisation du compte le fait, pour son titulaire, d'en communiquer les coordonnées à un cocontractant afin qu'il effectue un paiement par virement sur ce compte ; qu'au cas présent, la société Knappe a transmis son relevé d'identité bancaire de la BNP-Paribas à sa contrepartie iranienne, laquelle l'a communiqué aux intermédiaires composant le circuit financier mis en place pour contourner les sanctions financières décidées par la Communauté internationale ; qu'en retenant qu'il n'y aurait eu là qu'une tentative d'utilisation illicite du compte, cependant qu'il s'agissait d'une tentative consommée, assimilable à tout le moins à un commencement d'utilisation illicite, de nature à faire naître un soupçon, la cour d'appel a violé les articles L. 312-1-IV et L. 561-8 du code monétaire et financier, dans leur rédaction applicable en la cause, lus à la lumière des articles 19 de la directive 2014/92/UE du 23 juillet 2014 et de la directive 2015/849 du 20 mai 2015. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 312-1-IV-1° du code monétaire et financier :
5. Il résulte de ce texte que l'établissement de crédit peut résilier unilatéralement la convention de compte assorti des services bancaires de base, ouvert en application du droit au compte, lorsque le client a délibérément utilisé son compte pour des opérations que l'organisme a des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, auquel cas il est dispensé de lui accorder un préavis. Constitue une utilisation délibérée du compte, au sens de ce texte, le fait, pour son titulaire, d'en communiquer les coordonnées à un cocontractant afin qu'il effectue un paiement par virement sur ce compte.
6. Pour écarter les conclusions de la banque qui soutenait qu'en communiquant son relevé d'identité bancaire à son cocontractant iranien pour que celui-ci lui fasse parvenir un virement par l'intermédiaire d'une société chinoise, dont elle s'était refusée à préciser le rôle dans l'opération, en paiement de tubes à dispositif d'osmose inverse livrés dans le cadre d'un projet « Bushehr », du nom d'une ville du golfe persique également donné à la centrale nucléaire située dans les environs de celle-ci, la société Knappe avait délibérément utilisé son compte pour une opération qu'elle-même avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, et juger que la résiliation du compte par la banque pour ce motif était irrégulière, l'arrêt retient que le virement annoncé le 21 décembre 2017, qui constitue l'opération atypique invoquée par la banque, n'est parvenu à cette dernière que le 2 mars 2018, soit postérieurement à la décision de clôture du compte, de sorte qu'il ne peut être soutenu qu'à la date de cette décision, la société Knappe avait déjà délibérément utilisé son compte de dépôt pour des opérations que la banque avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales.
7. En se déterminant par de tels motifs, impropres à exclure, en l'état des circonstances invoquées par la banque, l'utilisation délibérée du compte pour des opérations que celle-ci avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne la société Knappe Composite aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Knappe Composite ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente juin deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Décision attaquée : Cour d'appel Grenoble 2018-12-06 (Cassation)
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