20 juin 2014
Porte dérobée sur le Droit
Question générale sur le Droit à partir de l'actualité
par Marie-Anne Frison-Roche
Dans le journal "Les Échos" du 20 juin 2014, Bruno Alomar affirme que la France et Allemagne forment un "couple qui ne se comprend plus". Quatre fractures sont désignées, la quatrième vise le droit. L'auteur y affirme que c'est là "le cœur du malentendu". En effet, pour la France, c'est la politique qui régit l'économie, alors que pour l'Allemagne, c'est le droit. Pour Bruno Alomar, l'Allemagne serait conforme à la conception de Jean Monnet et de Walter Hallstein, l'économie n'étant pas du domaine de la politique, mais du droit. C'est pourquoi l'Allemagne est à l'aise avec des organismes dépolitisés, comme la Banque Centrale Européenne (BCE), et reconnaît le juge comme dernier décideur, conception que la France exclut radicalement, car pour elle l'économie n'est qu'un sous-produit politique. A-t-il raison ?
© mafr
L'auteur conclut son article en affirmant que cela permet à l'Allemagne de parler "une langue", celle de l'ordolibéralisme", alors que la France n'a pas de doctrine économique.
Si l'on poursuit cette réflexion très intéressante, et reprenant ces derniers mots, il faut souligner qu'effectivement le droit forme une "langue" car le droit est un "discours" articulé.
En cela, cela rapproche le droit de la littérature.
Stendhal avait désigné le Code civil comme le plus beau des livres de la littérature française, celui que chacun doit avoir sur sa table de chevet tant il est bien écrit.
Ainsi, contrairement à l'économie ou à la politique, à propos desquelles l'on peut écrire mais qui ne sont pas elles-mêmes de l'écriture, le droit est par essence fait de mots, de phrases et d'histoires racontées. C'est pourquoi le droit constitue véritablement une "langue", empruntant à la langue commune et développant sa langue spécifique, dont bien des mots sont communs aux diverses langues ordinaires différentes, puisqu'on trouve encore tant de mots latins dans le droit français, allemand, anglais, nord-américain, etc.
Si deux pays cherchent à avoir une "langue commune", comme le prend comme thème cet article, cela peut donc être effectivement à travers un droit qui s'articule, par exemple à travers le droit économique. Mais comme le souligne l'auteur, si pour les uns l'économie prend racine dans le droit, qui lui donne son ossature (Allemagne), alors que l'autre ne lui donne pas de telles racines (France), le socle du langage commun manque.
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Pourtant, la France est le pays du droit car c'est en son histoire qu'est né ce chef d'oeuvre de la langue qu'est le Code civil, ce que le doyen
Carbonnier désigna dans les
Lieux de mémoire comme "
la Constitution civile de la France".
En outre, la France comme l'Allemagne est un pays de "droit continental", pétri de droit romain, système père de tout le droit occidental, de
Common Law comme de
Civil Law.
Restant toujours dans la perspective de l'article de Bruno Alomar et dès lors, que manque-t-il à la France pour que le couple franco-allemand puisse de nouveau se comprendre, et cela par le droit ?
L'auteur souligne que l'Allemagne est dans la ligne de Jean Monnet, ce grand Français qui fit avec d'autres l'Europe, et la fit par le droit. C'est sans doute parce que le droit de l'Union européenne fût par la suite écrit par des personnes qui n'ont pas eu effectivement le respect du droit, comme système autonome digne de considération.
Il est temps de "civiliser" le droit économique de l'Europe. Par exemple le droit des marchés et des systèmes bancaires et financiers. Notamment en rédigeant les textes d'une façon intelligible et cohérente, ne serait-ce qu'en souvenir du respect littéraire que Stendhal avait pour le droit, et en faisant part au droit par rapport au politique, distinction nette qui fonde l'ordolibéralisme et fait naître une place pour l'industrie dans le droit.
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