Interviews
Référence complète : FRISON-ROCHE, Marie-Anne, L'État ne peut démettre seul le président d'Orange, Les Échos, p. 5, 13 juin 2013.
Cette qualification pénale est « forte », puisque l’escroquerie, qui est le fait d’obtenir la remise d’une somme d’argent grâce à des manœuvres, est ici renforcée par la circonstance aggravante de « bande organisée ». Cela accroît la peine encourue (5 ans de prison et 1 million d’amende). Pour être en « bande », notion assez floue, il faut au moins être deux. Il y a déjà deux mises en examen, celle d’un des arbitres (Pierre Estoup) et celle de Stéphane Richard. Mais la mise en examen ne signifie pas la culpabilité : la présomption d’innocence est le cœur de notre État de droit. Ainsi, il est possible que ces deux personnes bénéficient ensuite d’une annulation de mise en examen ou d’un non-lieu. Ou que d’autres personnes soient effectivement mises en examen. Nous verrons.
Il y a une jurisprudence pour les ministres mis en examen qui les conduit généralement à démissionner. Compte tenu du caractère personnel du motif de sa mise en examen, cette règle s’applique-t-elle à Stéphane Richard ?
Le terme de « jurisprudence » n’est qu’une image. Il s’agit plutôt d’une pratique. Elle n’est donc pas contraignante. Même pour les ministres, cette pratique varie. Par exemple Ségolène Royal, mise en examen pour diffamation, ne démissionna pas. En outre, lorsqu’on quitte le seul domaine de la pratique politique pour venir sur le terrain de la procédure pénale, la présomption d’innocence qui est le socle de la procédure pénale implique que l’on ne traite pas la personne comme si elle était coupable. Stéphane Richard, à propos duquel il existe donc des indices qui le relient à des faits qui pourraient justifier la qualification d’escroquerie en bande organisée, est innocent tant qu’un jugement ne l’a pas déclaré coupable.
Par ailleurs, sur le terrain du droit des sociétés, le conseil d’administration peut se réunir et les administrateurs ont le pouvoir de demander des comptes à leur président. Mais il s’agit d’une entreprise privée et l’État, n’étant propriétaire que de 27 % du capital, ne peut pas démettre seul le président. Certes, l’on pourrait soutenir qu’il y aurait comme une « obligation morale » qui pèserait sur celui-ci de le faire. Mais il est présumé innocent de l’escroquerie dont les juges ont retenu la qualification. En outre, ses fonctions actuelles n’ont pas de rapport avec ses fonctions à l’époque des faits examinés… Cette étanchéité justifie son maintien.
S’est-on rapproché, au cours des derniers jours, d’une remise en cause de l’arbitrage rendu dans l’affaire Tapie ?
Nous en sommes ici au stade des conjectures et tout doit être mis au conditionnel, car l’on ne sait pas qui a fait quoi. La justice est lente, le début du contentieux entre le Crédit Lyonnais et Bernard Tapie remonte à 1992, et cette lenteur est normale car les juges n’avancent que sur des faits avérés. Mais si cette procédure pénale fait apparaître des preuves d’une escroquerie impliquant plusieurs personnes, ce qui pour l’instant n’est pas établi mais ce qui est l’enjeu même de l’instance pénale, alors ces faits nouveaux vont servir de « munitions ». L’État, surtout s’il se constitue partie civile, va pouvoir recueillir des preuves et attaquer la sentence, voire le contrat d’arbitrage lui-même, dans un recours en révision. Mais n’oublions pas qu’il est rarissime que la révision d’un acte juridictionnel, catégorie à laquelle appartient la sentence arbitrale, soit ordonnée.
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