7 juin 2006

Publications

Publication : monographie dans une publication juridique

Régulateurs indépendants versus LOLF

par Marie-Anne Frison-Roche

Référence complète : FRISON-ROCHE, Marie-Anne, Régulateurs indépendants versus LOLF, Revue Lamy Concurrence, 2006, pp.69-73.

 

Les régulateurs doivent être, par un effet de nécessité, indépendants. Cela les met en contradiction naturelle avec la LOLF, puisque celle-ci rassemble des crédits rattachés à des actions, des objectifs et des résultats évalués, sous la responsabilité d’un chef de programme. L’insertion d’une autorité de régulation dans cette architecture brise l’indépendance substantielle du régulateur, gouverné par la régulation budgétaire, maniée par le directeur du programme organisé par la LOLF. Or, "régulation sur régulation ne vaut". Il faut donc tendre vers la meilleure compatibilité possible entre régulateurs indépendants et LOLF. Il peut s’agir de regrouper les autorités de régulations économiques dans un programme budgétaire qui leur soit propre et dont le directeur ait des pouvoirs limités par l’indépendance des régulateurs. Plus radicalement et plus logiquement, il peut s’agir de sortir le régulateur de la LOLF par l’autonomie d’exécution budgétaire et de gestion et l’attribution de la personnalité morale, comme dans le cas de l’AMF. Le prix à payer en est la pleine responsabilité du régulateur.

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L’indépendance du régulateur est la plus essentielle et la plus fragile de ses qualités. Or, il existe une antinomie de nature entre régulateurs indépendants et LOLF, ce qui oblige à organiser la meilleure compatibilité possible entre les deux.

L'antinomie de nature entre Régulateur et principes de la LOLF vient du fait que le régulateur est d’une façon tautologique indépendant, cette qualité n’étant pas un choix de meilleure gestion mais un effet de nécessité, soit parce que l’État est propriétaire d’entreprises publiques, soit parce que c’est la condition pour qu’apparaisse la confiance des agents, notamment des investisseurs dans le marché. Même si de fait le gouvernement est plutôt généreux avec les régulateurs, la difficulté vient qu’en la matière, comme pour les juridictions, l’indépendance des régulateurs doit « se donner à voir ». Or, la LOLF a compromis cette apparence.

En effet, par ce cadre budgétaire, s’est amorcée la réforme de l’État. Elle implique que les lois de finance soient construites par un regroupement de crédits destiné à mettre en œuvre des actions auxquelles sont associés des objectifs définis en fonction de finalités et de résultats qui seront évalués. A travers le principe de fongibilité des moyens en cours d’exercice, la LOLF donne à la fois plus de liberté et de responsabilité, mais offre celles-ci aux directeurs des programmes, par exemple les ministères. Si un régulateur indépendant est inséré dans un programme de la LOLF, il perd mécaniquement son indépendance : c’est pourquoi le Conseil constitutionnel, dans une décision du 25 juillet 2001, a censuré un article de la LOLF qui portait atteinte à l’indépendance de la Cour des Comptes.

Dans ces conditions, il faut établir la meilleure comptabilité possible entre le principe d’indépendance des régulateurs et la LOLF. La première solution est structurelle et consisterait à transformer toute autorité administrative de régulation en programme, conférant au président de l’autorité la qualité de chef de programme. Cela ne peut se faire pour chaque autorité, sauf à pulvériser la LOLF, en raison de la dimension limitée des budgets des régulateurs. Le sénat avait alors songé, par voie d’un amendement, à regrouper toutes les AAI dans un programme propre, pour atteindre la masse critique, mais il ne fut pas soutenu par le Gouvernement. Peut-être une solution médiane, ne visant que les régulateurs économiques, serait adéquate, dans la perspective d’un programme devenu ainsi substantiellement plus homogène. L’essentiel serait que la nature substantiellement indépendante de ces régulateurs soit prise en considération par le directeur du programme, les budgets des régulateurs restant à leur main.

En deuxième lieu, on peut songer à la solution comportementale consistant dans un gel du pouvoir de régulation budgétaire du directeur de programme sur les régulateurs. En effet, selon ce qui serait une sorte de nouveau principe « régulation sur régulation ne vaut », le régulateur budgétaire devrait toujours se comporter en limitant son pouvoir pour que le régulateur substantiel puisse donner à voir son indépendance. Ainsi, le principe de fongibilité devient exclu en ce qu’il peut être interpréter comme l’exercice d’un pouvoir de rétorsion du Gouvernement contre le régulateur. Symétriquement, il ne faut pas plus que le directeur du programme puisse récompenser un régulateur docile ou complaisant à l’égard du Gouvernement.

La solution la plus radicale est de sortir le régulateur de la LOLF, en lui offrant la libre disposition des fonds affectés, par l’attribution d’une part d’un système de taxe sur le secteur et d’autre part par l’attribution de la personnalité morale. Cette solution est certes la plus radicale mais également la plus logique puisqu’elle respecte l’indépendance du régulateur en le soustrayant à la régulation budgétaire. Le modèle en est celui de l’Autorité des Marchés Financiers.

 

L’État devra en payer le prix en ce qu’il est privé de la maitrise des ressources publiques ; les régulateurs indépendants devront en payer le prix en supportant seul le poids financier de leur possible responsabilité.

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