Référence complète : Frison-Roche, M.-A, "Qu’est ce qu’agir de façon neutre ?" in La neutralité dans les systèmes de régulation économique, colloque du Journal of Regulation, 17 mars 2011.
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Cette intervention dans le colloque annuel de The Journal of Regulation a pour objet de définir non pas la neutralité mais la notion connexe, voire dépendante, d’action neutre. Il y a certes la solution neutre qui consiste dans l’inaction, ce à quoi se réfère la Constitution lorsqu’elle vise la neutralité de l’État en matière de religion, ou lorsque l’on évoque la neutralité du juge civil parce que ce sont les parties au procès qui décident de l’évolution de celui-ci.
Mais il faut aller vers une solution forte, où l’on dégage que sur un marché, il existe des personnages qui sont en droit de ne pas agir de façon neutre, ce qui supprime toute question, et d’autres personnages dont l’action doit être neutre, alors même qu’elle a un fort effet sur le marché, ce qui pose la question de savoir comment encadrer cet impact pour restaurer néanmoins la neutralité.
Apparait alors l’essentiel, à savoir que l’action suppose un choix entre des situations possibles, l’auteur en préférant une à d’autres. Sur un marché, on peut estimer que l’Etat n’a pas à être neutre, car le Politique n’est pas une simple externalisation de fonctions, mais l’expression de choix du groupe social entre des solutions d’égal intérêt, qui dépasse l’exercice de rationalité consistant à préférer une solution meilleure aux autres. Pour autant, l’Etat ne doit pas être arbitraire et, bien qu’apte à s’engager, il doit être impartial pour contrarier le marché en lui imposant des choix de long terme, légitimé par l’électeur-contribuable pour ce faire.
L’action des entreprises a certes un impact sur le marché. En outre, elle est de nature stratégique. A première vue elle n’apparait comme n’étant pas neutre, mais elle a pour seule fonction d’utilité de maximiser leur profit, ce qui équivaut à une absence de choix, à une application mécanique de la rationalité économique, ce qui conduit à estimer qu’il s’agit d’une action neutre, non plus pas rapport aux effets mais par rapport à soi-même. D’ailleurs, le droit de la concurrence reprend cette idée à travers la règle de « neutralité du capital » et la référence au modèle de « l’investisseur ordinaire » pour encadrer l’Etat-actionnaire.
A l’inverse, le régulateur et le juge doivent agir de façon neutre dans les systèmes régulés. Le régulateur le doit, car il n’a pas la légitimité politique pour faire des choix. La difficulté vient du fait qu’il en opère pourtant. La difficulté est surmontée par les analyses faites à propos du juge, l’analyse de la neutralité étant déplacée vers la notion d’impartialité. Il faut mais il suffit que son choix, inhérent à son office de donner raison à l’un contre l’autre, soit procéduralisé et qu’il justifie pourquoi il a retenu cette solution et écarté les autres.
Dès lors, plutôt que de remettre les régulateurs dans le politique, d’une façon réactionnaire, il faut faire un triangle des trois notions que sont la neutralité, l’impartialité et l’objectivité, qui sont avant tout des notions de méthode. Dans une rationalité discursive, le régulateur comme le juge font des choix mais parce que ce sont des choix justifiés, donc insérés dans une rationalité discursive, on peut affirmer que leur action en devient neutre et que le problème de leur légitimité en devient résolu. Le modèle est alors le juge et contrairement à ce que l’on dit souvent, "réguler c’est juger".
On peut alors conclure que le modèle de l’action neutre, méthodologiquement défini, est celui du juge, qui déteint sur le régulateur. Le modèle de l’action non neutre est celui du Politique, l’État devant insérer des choix et du long terme dans les marchés. Le modèle de l’action par nature neutre, car n’ayant qu’une finalité, c’est l’entreprise agissant sur un marché pour accroître ses profits.
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