Une personne, Dieudonné, fait des "spectacles" contenant de très nombreux antisémites et faisant l'apologies des crimes contre les juifs commis pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il programme une tournée de ce spectacle qu'il donne à Paris, Le Mur, dans toute la France et conçoit une affiche sur laquelle il pose avec le geste de "La Quenelle". Beaucoup disent que ce geste est un salut hitlérien inversé, lui soutient qu'il s'agit d'un geste "anti-système", comme l'ensemble de ses spectacles, qui sont par ailleurs satiriques, et l'on doit pourvoir rire de tout en démocratie.
Un premier spectacle est programmé à Nantes pour le 7 janvier 2014. Le Ministre de l'Intérieur prend une circulaire le 4 janvier 2014 pour indiquer aux préfets qu'ils sont en droit d'exercer leur pouvoir de police administrative d'interdiction d'un tel spectacle chaque fois qu'il est prévu dans un département (arrêté préfectoral) ou dans une ville (arrêté municipal). Le 7 janvier 2014, le préfet de Loire-Atlantique prend un arrêté d'interdiction. Le Code de justice administrative permettant à ceux qui en sont frappés d'utiliser la voie d'urgence du référé-liberté, le juge administratif devant alors statuer dans les 48 heures, Dieudonné M'Bala M'Bala saisit le Tribunal administratif de Nantes qui statue le 9 janvier 2014 et estime que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation, le trouble à l'ordre public n'étant pas suffisamment pour justifier l'atteinte à la liberté d'expression. Le Tribunal suspend l'arrêté d'interdiction par cette Ordonnance rendue à 14 heures. Le spectacle se déroulant le soir même et le Code de justice administrative prévoyant un recours, le Ministre saisit le Conseil d'État qui statue immédiatement et, après avoir tenue une audience durant laquelle chacun a pu s'exprimer, rend une ordonnance 4 heures plus tard, annulant l'Ordonnance du tribunal administratif de Nantes, en estimant que le préfet n'avait pas commis une erreur manifeste d'appréciation en prenant une telle mesure de police administrative. L'interdiction cesse d'être suspendue et redevient effective.
A travers ce cas très particulier, ce sont des grands principes du droit qui sont confrontés à la réalité des choses et de la vie des hommes en société. Ainsi, c'est la question première qui se pose : à quoi sert le droit?
J'estime que le Conseil d'État a ici montré que le droit est fait pour préserver les droits et les libertés, pour en faire l'équilibre, et qu'il doit le faire concrètement.
Cela se mesure ici en ce que le Conseil d'État a organisé une procédure contradictoire rapide. Il ne sert à rien de statuer sur la question de savoir si un spectacle doit se tenir ou non, dans une décision qui aurait été rendue après l'heure à laquelle ce spectacle doit se tenir.
En deuxième lieu, en visant un triptyque de décisions de sa jurisprudence, par ce seul visa, le Conseil d'État fonde sa décision particulière et lui donne une portée générale. Il vise tout d'abord l'arrêt
Benjamin, qui pose la primauté de la liberté d'expression, laquelle ne tolère les interdictions par l'usage d'un pouvoir de police administrative que s'il y a perspective acquise d'un trouble à l'ordre public que le titulaire de ce pouvoir (préfet ou maire) ne peut contrer que par une interdiction. Le Conseil se réfère ensuite à l'arrêt
Morsang-sur-Orge qui donne au trouble à l'ordre public une définition substantielle, c'est-à-dire que l'ordre public peut être troublé non seulement matériellement (manifestations), mais encore substantiellement (atteinte à la dignité de l'être humain ; dans cette espèce de 1995, un spectacle de lancer de nains). Or, le préfet avait les éléments de fait pour être convaincu que Dieudonné ferait un spectacle structurellement antisémite, ce qui est un trouble substantiel à l'ordre public. Enfin, le Conseil d'État se réfère à l'avis
Hoffman-Glémann, par lequel le Conseil d'État a posé que l'État français pouvait voir sa responsabilité retenue pour les déportations dans les camps d'extermination opérées pendant l'occupation en France.
En faisant ce triple visa, le Conseil estime que le trouble à l'ordre public est constitué et que le préfet n'a pas fait d'erreur manifeste en utilisant son pouvoir de police administrative pour interdire le spectacle.
Certes, il limite en cela le principe de la liberté d'expression, mais le droit a aussi pour fonction de prévenir la réalisation certaine d'infractions pénales et de préserver la dignité humaine. La balance doit être faite au cas par cas. Ici, dans ce cas-ici, le fléau de la justice penchait du côté de la dignité de la personne humaine.
On a glosé sur les effets pervers d'une telle intervention du droit et du juge, qui offre une telle publicité à celui qui le bafoue et prône la haine. Mais avec un tel argument, il faudrait arrêter d'arrêter ceux qui haïssent à haute voix aussi pour devenir célèbres. Le droit ne doit pas rester dans son coin, sous prétexte qu'en frappant, il flatte aussi le contrevenant, ainsi mis en lumière.
En tout cas, les universitaires ont joué leur rôle, donnant publiquement leur opinion, dans un sens ou dans l'autre, argumentée en droit, avant que les décisions ne soient prises. Ils ont été utiles et ont oeuvré pour ce qui leur semblaient juste, dans un sens ou dans l'autre, les uns préférant la liberté les autres la dignité pour résumer.
Les juges, traînés dans la boue par Dieudonné, ont du aussi prendre la parole, et l'institution l'a fait par une déclaration de son représentant.
Cela aussi est un progrès du droit.
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