Dictionnaire bilingue du Droit de la Régulation et de la Compliance

Manquement 🔤

Le terme "manquement" est nouveau en Droit. Dans l'ordre juridique, le terme de "faute" est celui qui est retenu pour désigner le comportement d'une personne qui s'écarte d'une règle et doit être sanctionné, car par cet acte il a manifesté une intention dolosive qui peut lui est reproché. Mais la notion juridique de faute, qui fût centrale dans le droit classique de la responsabilité civile et était indispensable dans le droit de la responsabilité pénale a l'inconvénient majeure d'appeler une preuve : celle de l'intention de "mal faire". Cela paraît d'autant moins adéquat lorsqu'il s'agit d'apprécier le comportement d'organisations, comme le sont les entreprises, dont le comportement et la puissance doivent être maîtrisées davantage que les comportements fautifs de leurs dirigeants sanctionnées.

C'est pourquoi à la fois pour alléger la charge probatoire concernant les personnes physiques, notamment les personnes ayant le pouvoir et la fonction de décider pour autrui (les managers, les "hauts dirigeants") et pour mieux correspondre à la distribution du pouvoir d'action, dont sont désormais titulaires des organisations, notamment les entreprises, ce sont des "manquements" et non plus des fautes ou des négligences qui constituent les faits générateurs déclenchent l'engagement de leur responsabilité ou justifiant une répression.

Il s'agit plus particulièrement d'une répression administrative, laquelle a pour fin non pas la sanction des fautes mais la protection efficace des secteurs régulés. La sanction des manquements est donc à la fois plus facile, parce qu'il est toujours nécessaire de  prouver l'intention, et plus violente, parce que les sanctions attachées peuvent porter sur une part des profits retirés, sur une part du chiffre d'affaires de l'opérateur ou peuvent prendre la forme d'engagements de l'opérateur pour le futur, forme très contraignante et nouvelle de sanction que la technique de compliance a insérée dans le droit.

Ainsi le manquement peut se définir comme un comportement, voire une organisation qui est en écart par rapport au comportement ou à la situation que l'auteur d'un texte a posé comme étant celui qu'il pose comme adéquat. Cette définition à la fois large, abstraite, téléologique et de prescription, qui permet d'appréhender non seulement les comportements mais les structures, fait de la sanction des manquements, un outil quotidien du Droit de la Régulation.

 

Marché

Le marché est le lieu, physique ou virtuel, où l'offre et la demande se rencontrent, permettant l'émergence de prix exacts. Pour cela, il est régi par le principe de la libre concurrence. Le marché est donc l'alpha et l'oméga du droit de la concurrence, puisque l'autorité de la concurrence doit déterminer le marché en cause, notamment pour sanctionner les pratiques anticoncurrentielles, et a pour fonction de réparer les dommages causés au marché.

La réglementation ne fait pas la même place sur le marché, sauf lorsque l'appareil de régulation est temporaire et qu'il a pour but de construire un marché concurrentiel. Sa référence est plus celle d'un secteur, un espace plus large que celui du marché. Cependant, la finesse des techniques de régulation et la proximité du droit de la concurrence et du droit de régulation ont conduit à la maturité de la régulation des télécommunications pour distinguer ex ante une série de marchés.

De la même manière en finance on distingue les marchés réglementés de ceux organisés d'un commun accord qui ne sont pas soumis aux mêmes règles. Cependant, la réglementation a tendance à englober les différents marchés, différents horizontalement ou verticalement (marché amont et marché aval) dans la même perspective et en règles corrélées pour assurer l'équilibre général du secteur car précisément, il n'existe pas de loi économique de la concurrence qui donnent spontanément lieu à un tel équilibre.

Il y a beaucoup de débats quant à savoir si le marché est un fait, une construction historique et géographique située, ou même une idée politique ou une philosophie ou idéologie prétendant être la première. La «régulation» est alors colorée en contrepoint: ainsi, la «régulation de la mondialisation» renvoie à l'idée politique de lutte contre le «tout-marché».

Médias

Le terme même de 'média' est ambigu puisque au sens littéral il désigne ce qui permet de véhiculer de l’information entre deux personnes, c'est-à-dire du contenant plus que du contenu. Or, de fait, aujourd’hui les médias désignent le contenu, c'est-à-dire les informations tout autant que les supports sur lesquels elles circulent.

Si les médias sont régulés, c’est avant tout à des fins politiques et d’une façon différente selon les supports. En effet, si l’on prend l’audiovisuel, il s’agit avant tout de préserver les télévisions publiques de la tentation du pouvoir politique d’user de son pouvoir de propriétaire pour l’utiliser comme outil de propagande et de veiller au pluralisme politique pendant les campagnes électorales. Le régulateur de ces libertés publiques en est le CSA. La presse écrite n’a pas de régulateur proprement dit ; elle est directement tenue à bout de bras financièrement par l’État à travers la Direction du développement des médias, rattachée au Premier ministre. Mais aujourd’hui le média majeur apparaît comme étant Internet , espace dont la régulation globale reste à trouver.

Enfin, parce qu’il n’est pas possible de distinguer contenu et contenant, le dynamisme de la communication et le dynamisme de la création du contenu sont indissociables. Dès lors, à la régulation de la communication doit éventuellement s’associer la régulation de la création de contenu, c'est-à-dire la régulation culturelle. Aux États-Unis, celle-ci est laissée au marché, où s’est notamment construite une industrie du cinéma, guidée par les besoins des demandeurs. La France continue de défendre l’idée que la culture et l’audiovisuel ne seraient pas un objet neutre de marché et devrait en cela être soustraite à l’OMC, la régulation de la culture, parce qu’il s’agit d’un bien commun, auquel chacun doit avoir accès  justifiant tout le système ex ante  d’aides publiques à la création et la volonté de diversité culturelle.

Mondialisation

La mondialisation se distingue de la globalisation en ce que la mondialisation désigne l’accélération des échanges économiques sans se confondre avec la disparition de l'espace et du temps à laquelle aboutit les mécanismes aujourd'hui conjugués de la finance et du numérique. Le vocabulaire français est en cela plus riche que le vocabulaire anglais qui ramasse les deux phénomène sous le même terme de "globalisation".

Dans sa première acception, stricte, la mondialisation n'est pas un phénomène nouveau, il a pris simplement une nouvelle ampleur : la mondialisation est une intensification des échanges des biens et des personnes. Elle n'est pas une disparition des circulations, des rencontres et des échanges, ce qui constitue au contraire la "globalisation.

Le libre échange mondial suppose que les frontières ne puissent être opposées à la circulation des marchandises et l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) a été mise en place à cette fin, les accords de Marrakech de 1994 conférant à cette organisation un très grand pouvoir, puisque deux États en conflit voient leur différent tranché par un organe de règlement des différents, dont le rapport est endossé par l’OMC elle-même. L’État dont les entreprises ont été victime d’une barrière tarifaire ou non tarifaire illégitime, peut infliger lui-même par une sorte de justice privée, des mesures de rétorsions à l’État coupable. Le mécanisme de l'OMC concerne bien les marchandises et non pas les mécanismes financiers, lesquels n'ont pas même besoin qu'on lève les frontières et autres barrières puisque leur immatérialité a déjà anéanti les limites et relèvent donc de la "globalisation".

La mondialisation installe donc la loi du marché à l’échelle mondiale, même si ce système ne s'est pas encore juridicisé au point d'établir un droit de la concurrence mondial proprement dit, l'absence de barrière à l'entrée ne consistant que le premier principe de celui-ci. Mais il n’y existe pas non plus de régulation, c'est-à-dire que pour l’instant, le principe de libre ajustement de l’offre - même étrangère - et de la demande des consommateurs nationaux n’est pas mise en équilibre avec d’autres principes, comme le service public, la prévention des risques, la préservation des biens communs, etc.

On attend donc toujours, non seulement au sens politique mais encore au sens technique, la mise en place d’une régulation de la mondialisation. Cela est particulièrement demandé en régulation environnementale, l'esquisse d'une organisation mondiale de l’environnement n'ayant pas prospéré. L'on peut craindre que ce qu'il est convenu d'appeler la "régulation de la mondialisation", c'est-à-dire un tel équilibre, ne viennent pas des seules autorités publiques, faute d'un État mondial et d'un ordre public international public suffisamment puissant et cohérent. Mais il pourrait venir des opérateurs cruciaux mondiaux, à travers les mécanismes de compliance et de responsabilité sociétale.

Monopole économiquement naturel

Le monopole désigne le pouvoir d’une personne de retirer d’un bien son utilité en excluant les autres. Le monopole désigne une situation sur le marché, le monopoleur étant l’opérateur unique sur le marché. Les juristes sont habitués au monopole conféré par la loi, par exemple celui qui fut le monopole pour EDF pour l’électricité. Dans ce cas, ce qui est fait peut être défait, et le législateur peut retirer ce privilège surtout si il est mieux placé dans la hiérarchie des normes que le législateur précédent. C’est ainsi que le législateur communautaire a retiré par des directives les monopoles légaux à la plupart des opérateurs qui en étaient titulaires dans les secteurs régulés, pour libéraliser ceux-ci. 

Mais le monopole peut avoir une source économique. En effet, il peut arriver qu’un premier opérateur construise une structure, par exemple un réseau de transport filaire de télécommunications. Parce qu’il est seul, les agents sur le marché devant recourir à lui pour transporter leurs communications, son activité sera rentable. Mais à partir de là, si un second opérateur construisait une telle infrastructure, celle-ci serait inévitablement déficitaire pour insuffisance de demandeurs. C'est pourquoi aucun agent économique rationnel ne construira de second réseau.  Ainsi, ce réseau demeurera unique. Il s’agit alors d’un monopole économiquement acquis que la volonté législative ne peut faire changer de nature. C’est pourquoi il est qualifié de « naturel ».

Puisque ce qui est ne peut être changé, le droit communautaire a pris acte de cette nature monopolistique de la majorité des réseaux et de la puissance corrélée de leur propriétaire ou de leur gestionnaire, mais a prévu corrélativement leur surveillance par un régulateur qui non seulement via l'ex post régler d’éventuels différents entre le gestionnaire de l’infrastructure, facilité essentielle naturelle, et celui qui veut y avoir accès, mais encore, par un pouvoir ex ante, négocier avec ce gestionnaire le rendement de son capital, ses engagement d’investissements dans le réseau, etc., ou d'une façon plus directe encore en lui imposant la façon dont il fixe les tarifs d'accès, etc.

Ces monopoles économiquement naturels sont donc plus puissants que les monopoles légaux, ce que les États et les juristes ont mis beaucoup de temps à comprendre, mais ce qui explique aussi la tendance inverse devenue fâcheuse des économistes à écrire les lois, dès l’instant que les textes doivent manier ce type de notions, ses rédacteurs se souciant peu et de l’ordre politique et des notions juridiques. Le fait que le Droit portant sur les situations régulées et les opérateurs supervisés ait été longtemps élaboré sous le seul angle du Droit, notamment celui du service public, ce qui était regrettable, ne justifie pas ce passage d'un extrême à l'autre.