Florilège de questions

Grandes et petites questions du Droit

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Aventures de l'Ogre Compliance

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24 avril 2021

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18 avril 2021

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18 avril 2020

Grandes et petites questions du Droit

16 novembre 2014

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On le mesure en lisant dans la presse du jour des histoires de personnes qui se réveillent à la morgue et se font entendre au fond du tiroir dans lequel on les a déjà glissées, l'acte de décès pourtant dûment rempli par le médecin.

Rappelons deux choses. En premier lieu, le droit est un système de langage, composé d'éléments artificiels, d'artéfacts. En second lieu, il établit des catégories juridiques, auxquelles il attache des régimes juridiques. A partir de là, il fonctionne en puisant dans la réalité concrète de la multiplicités des situations dont la variété est infinie : il les fait entrer dans les quelques catégories juridiques construites par la volonté du législateur, voire du juge, pour déclencher sur les réalité la puissance des régimes juridiques préétablies.

Ainsi, le mot "vivant" et le mot "mort" sont des mots juridiques, des catégories auxquelles sont attachés des régimes juridiques composés : les personnes décédées ne sont pas traitées comme les personnes vivantes. On dispose des premiers, on dresse un acte juridique public - l'acte de décès qui modifie l'état civil de la personne -, on enterre la personne, ses biens sont répartis par le mécanisme de la dévolution successorale. A l'inverse, la personne vivante va et vient, demeure maîtresse d'elle-même et de ses biens.

Il est donc essentiel de savoir si une personne est vivante ou morte. Mais qui fixe le critère du passage d'une personne de l'état d'être vivant à l'état de personne décédée ? Ce ne peut être que le droit. Pourtant, c'est une circulaire de 1968 qui a fixé cela, par référence à un élément biologique, l'état du cerveau (double encéphalogramme plat). Dans la pratique, les médecins vont plus vite : quand le coeur ne bat plus et que le corps est froid, ils informent que la personne est décédée. Le coeur et le cerveau, ce ne sont pas les mêmes organes. Le moment est différent. Il y a donc problème.

D'ailleurs, un journal relate que le 6 novembre 2014 une dame âgée dont le médecin, constatant l'arrêt de la respiration et des battements du coeur, avait signé l'acte de décès, s'est réveillée à la morgue. Certes, le cas se déroule en Pologne, mais il pourrait se passer ailleurs, tant l'image du "dernier soupir"!footnote-93 est acquise. On l'a ramenée chez elle. On évoque des poursuites pénales contre le médecin. Mais celui-ci n'a-t-il pas fait comme tous les autres ? D'ailleurs, le double encéphalogramme plat est lui-même contesté par les médecins. Pourquoi le droit l'a-t-il fait ?

C'est pour faciliter le prélèvement d'organes. On en manque tant ... Et le droit, lorsqu'il déploie son pouvoir sur la plus importante des questions pour les personnes, à savoir leur passage d'être indisponible à corps disponible, se fait en toute discrétion. Il se fait aussi à un niveau peu élevé de la hiérarchie des normes. C'est une circulaire de 1968 qui fixa la définition de la mort et c'est un texte réglementaire qui a, à travers l'article R. 1232-1 du Code de la santé publique, en déploie la définition. Ne croyons pas que le plus important soit dans la Constitution...

1

V. par ex., Marais, A., Droit des personnes, 2014, n°42 et s., p.42 s.

15 novembre 2014

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La question a été posée dans un cas d'école au Conseil constitutionnel, qui a nettement répondu dans sa décision du 14 novembre 2014, QPC, M. Alain L.

Même si le dispositif est aujourd'hui abrogé, son appréciation par les juges suprêmes vaut le détour.

Une loi du 23 juin 1941 a eu pour objectif de préserver l'art et l'histoire français. Le nationalisme se portait particulièrement bien à l'époque. Le dispositif était en deux temps. Dans un premier temps (article 1ier de la loi), l'État pouvait refuser l'autorisation de sortie du territoire de l'oeuvre, présentant un intérêt national d'histoire ou d'art. Puis, dans un second temps (article 2 de la loi), il pouvait retenir l'oeuvre pour lui-même, transférant la propriété de celle-ci à une personne publique, ayant six mois pour le faire après un refus d'exportation qu'il aurait prononcé, le propriétaire ne pouvant pendant ce délai céder le bien.

La QPC a porté sur cette seconde disposition en tant qu'elle porte atteinte au droit de propriété privée sans nécessité publique, violant ainsi l'article 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, partie intégrante du bloc de constitutionnalité.

Le Conseil répond qu'effectivement si le refus d'exportation poursuit un objectif d'intérêt général, en revanche le droit de "retenir" ainsi le bien pendant six mois sans que le propriétaire ne puisse rien faire de son bien, puis l'appropriation forcée par une personne publique, alors que la décision d'empêcher l'exportation a déjà été prise ne correspond pas aux critères établissant une "nécessité publique".

On ne peut qu'approuver une telle décision. Tout d'abord, parce que sans doute le Législateur de 1941 avait quelques arrières-pensées en s'appropriant des oeuvres d'art que certains propriétaires à l'époque voulaient sauver de quelques griffes dans cette sombre époque. Le Conseil d'État qui a transmis la QPC et le Conseil constitutionnel ne peuvent pas ne pas y penser. Ensuite, l'art est aussi un marché. On peut porter atteinte à celui-ci et restreindre la circulation. Oui, mais le refus d'exportation suffit. Pourquoi restreindre les acheteurs ? La "nécessité publique" ne justifie pas l'expropriation.

Surtout pas en 1941, quand on songe aux personnes qui voulaient vendre leurs tableaux pour fuir. Préserver l'Histoire, c'est peut-être pour l'État français de l'époque les exproprier, c'est surtout pour les juges de 2014 de songer à cette réalité de l'époque.

 

10 novembre 2014

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Plus le droit avance, car on ne saurait dire si "avancer", c'est "progresser", plus on passe de l'idée de "chose protégée" à la notion de "être sensible" à la notion de "être conscient".
C'est-à-dire que l'on ne distingue plus l'animal de l'être humain.
En droit, cela signifie la fin de la distinction de la chose et de la personne.
Que des réalités passent du statut de "chose" au statut de "personne" n'est pas dramatique tant que cela n'ouvre pas la porte à l'inverse, à savoir l'entrée d'être humain dans la catégorie juridique des choses. En effet, si cela devait arriver, des êtres humains deviendraient entièrement disponibles à la puissance de personnes. Ce qui distingue une personne et une chose, c'est le rapport qui existe entre les deux : une chose est entièrement disponible à la personne tandis qu'une personne ne peut entièrement disposer d'une autre personne.

Dans une émission du 8 novembre 2014 sur France Culture, la philosophe Florence Burgat, auteur notamment d'un ouvrage en 2012 sur La condition animale et qui vient de publier un autre livre sur Violence et non-violence sur les animaux en Inde, s'étonne qu'on ne progresse pas davantage puisque nous devons prendre acte de la capacité de conscience des animaux, ceux-ci non seulement souffrant mais encore ayant des émotions, du chagrin, du stress, de l'angoisse, etc.

Mais cela renvoie à la part d'arbitraire que contient la règle juridique, toujours brutale puisque générale et abstraite, par rapport à la finesse et à la diversité de la réalité que le droit absorbe avec violence dans ses catégories. Le droit est certes poreux à la réalité dont il se saisit, mais il a aussi sa propre logique.

Admettons que le droit prenne acte non seulement de l'aptitude concrète à la sensibilité, mais encore de l'aptitude concrète à la conscience de bien des animaux, car il devra alors scinder parmi la catégorie jusqu'ici globale de la faune les animaux ainsi dotés et auxquels un régime spécifique s'appliquerait et les autres, l'exception de la tauromachie ayant sans doute du mal à demeurer, si c'est le critère même de la conscience qui s'attache à l'animal, alors l'on voit mal comment l'animal n'accéderait pas au statut de personne juridique.

C'est déjà le cas dans des systèmes juridiques, à travers la catégorie des "sujets de droit non-humain" dont les dauphins font partie.

Le danger tient alors dans la porosité des deux catégories, car si le chemin peut être fait de l'un vers l'autre, il pourrait  être fait de l'autre vers l'un. Ainsi, la philosophe s'émeut des conditions dans lesquelles des vaches sont élevées, réduites à être des "machines à lait". Certes. S'émeut-on beaucoup des "machines à bébés" que sont beaucoup de mères-porteuses" dont les contrats posent qu'elles n'existent pas, puisque les contractants affirment sans frémir que l'enfant n'a pas de mère et qu'une fée leur a donné l'enfant ?

La sensibilité et l'anthropomorphisme expliquent cette évolution sociale et juridique au bénéfice des animaux. Ne produit-elle pas en même temps le chemin que l'on parcourt avec le même allant en sens inverse au détriment des femmes ?

1 novembre 2014

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Le nazisme reste un mystère. Les ouvrages se déversent pour essayer de comprendre.

Notamment de comprendre la part que tant de phénomènes y prirent, par exemple le capitalisme, la culture occidentale elle-même, le nationalisme, la misère, l'humiliation, le Traité de Versailles, le charisme d'Hitler, etc.

Le droit y a aussi sa part.

Carl Schmidt n'a pas compté pour peu dans l'élaboration de la doctrine nazie, pensant le droit comme expression de la pensée, ce contre quoi Kelsen bâtit la théorie du "droit pur", qui met le droit en autonomie du politique et n'en est pas la forme.

Cette dimension juridique du nazisme, dans sa conception tout d'abord, dans sa mise en oeuvre ensuite, est essentielle. En effet, le système nazi était un système légaliste, l'efficacité passe par une multitude de textes et par des méthodes dont la juridicité ne fait pas de doute.

Cela peut paraître paradoxal, voire contrariant, puisque le nazisme est souvent présenté comme l'horreur et la brutalité absolues, c'est-à-dire ce à quoi le droit s'oppose "par nature". En effet, il est courant de définir le droit comme ce qui est doté d'une "force" qui s'oppose à la "force" : la force qui arrête la force. Ils sont en opposition absolue.

Pourtant, non seulement ils ont historiquement fait fort "bon ménage", législateur, juges et professeurs de droit offrant massivement leur service technique. Mais le lien entre nazisme et droit est plus intime encore et instruit sur les risque que le goût pour le droit comprend.

C'est notamment en cela le livre qui vient de sortir, La loi du sang. Penser et agir en nazi, mérite d'être lu.

Ecouter la présentation qui en a été faite sur France Culture le 20 octobre 2014.

31 octobre 2014

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Les systèmes politiques sont désorientés face aux mouvements terroristes nouveaux, notamment celui qui a l'audace de prendre l'appellation d'État islamique.

Les États pensent à des solutions, mais la difficulté vient du fait que les personnes auxquelles ils sont confrontés n'ont pas encore commis d'actes. Leur acte consiste à partir pour rejoindre un mouvement, concrétisation de leur liberté d'aller et venir. Certes, l'État sait que ce déplacement n'a de sens que pour participer à des actions interdites, à savoir tuer en masse. Mais "sur le moment", l'acte en lui-même ne semble pas répréhensible.

Le Royaume-Uni a l'ingéniosité de faire renaître l'interdiction de la "double allégeance" pour affirmer que le seul fait de prétendre agir par obéïssance à un autre que la Couronne suffit à constituer un acte criminel (la "Haute trahison").

Dans sa chronique du 31 octobre 2014, Brice Couturier se demande s'il convient de "juger les jihadistes plutôt que de les refouler".

En effet, et d'une façon logique, il se demande s'il ne convient pas, plutôt que de restreindre leur liberté d'aller et de venir, de les laisser partir, passivement en les empêchant, peut-être activement en les autorisant.  Si par la suite, s'il s'avère qu'ils commettent des actes répréhensibles, dans ce second temps, il sera possible, adéquat de les appréhender et de leur reprocher efficacement l'acte criminel enfin perpétré.

Brice Couturier affirme que cela serait plus légitime que de procéder comme le fait le projet de loi de lutte contre le terrorisme, déjà votée par l'Assemblée Nationale le 29 octobre 2014 et soumis désormais au Sénat.

En effet, ce texte réprime un comportement consistant notamment à consulter des sites Internet, à préparer des explosifs,  à détenir des armes, à repérer des cibles, etc., sans qu'un acte ait été encore commis. Pour les pénalistes, cela n'est pas conforme à l'exigence du droit pénal classique, lequel exige un acte pour que la personne soit sanctionnée. La seule intention ne peut justifier une condamnation. L'infraction comprend non seulement l'élément légal et l'élément intentionnel, mais encore l'élément matériel. Nous verrons ce que le Conseil constitutionnel en dira.

Mais suivons ce raisonnement. Plutôt que de sanctionner avant l'acte, expulsons les personnes pour mieux qu'elles le commettent et ainsi, dans le respect de Beccaria, les sanctionner par la suite, les trois attributs de l'infraction étant réunis.

Comment attrape-t-on les personnes ayant rejoint le mouvement terroriste, à la fois international et infiltré, une fois que l'État a concrétisé leur liberté d'aller et venir par le biais paradoxal de l'expulsion ?

 

26 octobre 2014

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Des mécontentements s'expriment à propos des professions juridiques.

Soit du point du vue des usagers, des clients, parce qu'elles leur coûteraient trop cher par rapport aux services rendus, ce surcoût venant du monopole que les droits exclusifs leur confèrent. Ainsi, parce qu'elles sont "réglementées" et constituent un monopole, elles seraient trop peu profitables au "client". C'est donc une opposition entre le marché et la réglementation qui est avancée. Le Gouvernement en a souci, parce qu'il veut que ceux qui recourent aux services des greffiers, des huissiers, des notaires et des avocats ne payent pas de surcoûts.

Soit du point de vue des professionnels eux-mêmes. Parce que ces professions sont composés majoritairement d'hommes et qu'ils sont âgés de plus de 50 ans. C'est donc l'idée de "caste" qui est ici pointée.

Dès lors, la concurrence devrait avoir pour double effet heureux de faire baisser les prix et, multipliant les professionnels, ouvrant la profession, en ouvrir les bras aux jeunes et aux femmes.

Coup double.

C'est ce qu'Emmanuel Macron, Ministre de l'Economie, est venu expliquer le 22 octobre 2014 devant l'Assemblée Nationale, reprochant aux professions de greffiers des tribunaux de commerce, aux notaires et aux huissiers d'être trop masculins et trop vieux. Il a affirmé que la réforme, qui introduit de la concurrence et lutte contre l'idée même de "réglementation", va lutter contre cette situation regrettable.

Il faudrait bien que la loi intervienne, puisque selon lui et pour reprendre ses termes "il y a quand même quelque chose qui ne fonctionne pas dans les professions réglementées du droit".

Peut-on voir les choses aussi simplement ? Peut-on changer les moeurs par décret ? La situation tient-elle au caractère fermé des professions ou bien à tout autre chose, ce qui rendrait le "remède" inadéquat ?

 

 

Le 22 octobre 2014, Emmanuel Macron rappelle tous les chiffres devant

26 octobre 2014

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Si l'on pose la question ainsi, à un esprit innocent ou au contraire à un juriste solidement formé : "un algorithme peut-il être loyal ?", il répondrait tout à trac  : "quelle question stupide ... Bien sûr que non ! Comment un processus mathématique pourrait-il avoir une qualité de cette sorte, laquelle est de nature éthique, morale, et à ce titre n'est imputable qu'à des personnes ?". Peut-être la réponse viendra-t-elle avec condescendance : à question bête, réponse hautaine.

Effectivement, la loyauté est un comportement qui renvoie à une éthique, laquelle est en lien avec la morale.

Pourtant, l'on rencontre depuis quelque temps l'affirmation selon laquelle "les algorithmes doivent être loyaux". Cela fût affirmé par exemple dans le colloque du 23 octobre 2014 sur l'économie des plateformes numériques. Plus encore, c'est l'un des points forts du Rapport annuel du Conseil d'Etat 2014, Le numérique et les droits fondamentaux.

Comment peut-on avancer une telle affirmation, revenant à imposer à un processus mathématique un comportement moral ? En effet, pour imposer un devoir, encore faut-il que celui qui le subit en ait l'aptitude. Or, un processus mathématique n'a pas d'aptitude éthique. Ainsi, la formule n'a pas littéralement pas de sens.

En réalité, la formule est utilisée afin d'imputer à ceux qui conçoivent ou bénéficient des effets économiques des algorithmes, sur lesquels fonctionnent par exemple les moteurs de recherches ou les plateformes de rencontres et les réseaux sociaux, des obligations.

Ainsi, pour atteindre le régime, c'est-à-dire produire des obligations, l'on propose d'inventer par la seule force du droit la source d'obligation, laquelle serait "l'obligation de loyauté". Parce que le droit pourrait tout dire, l'on impute (au sens kelsénien du terme) cette obligation directement à une chose (ici les mathématiques).

Attention, les choses ne sont pas à ce point flexibles et la réalité n'est pas à ce point disponible au droit. Or, transformer les mathématiques en personnes, afin de pouvoir faire naître des obligations parce qu'on ne trouve pas d'autres pistes, c'est porter atteinte à la summa divisio que le droit établit entre les personnes et les choses.

Or, si l'on s'autorise à traiter des choses comme des personnes (ce que l'on fait ici), l'on ne doit pas s'étonner par ailleurs que beaucoup ne trouvent rien à redire - ni en droit, ni en morale --, lorsque l'on traite des personnes comme des choses;

Perdre la distinction entre les personnes et les choses fait perdre dans le droit non seulement son premier repère mais encore son premier garde-fou, contre sa tentation de disposer totalement de la réalité.

19 octobre 2014

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Le droit est construit par l'Histoire, qu'on l'admette, qu'on le théorise (Savigny et l'École historique du droit) ou qu'on ait l'illusion du droit écrit sur page blanche, comme le voulurent les Révolutionnaires français.

Les systèmes de Civil Law vivent plutôt dans l'illusion d'un Législateur tout puissant, souverain qui déchire les lois d'hier et en écrit de toutes neuves sur le papier frais du Journal Officiel. Le système de Common Law repose plus franchement sur la mémoire, donc sur l'Histoire, conservant toutes les règles, ensevelies dans l'humus des cas, dormantes, toujours prêtes à être réveillées au besoin, si un "cas nouveau" le requiert. C'est pourquoi un juriste de Common Law est moins "pris au dépourvu" qu'un juriste de Civil Law, lequel est surtout prompt à crier au "vide juridique" et se lancer dans un "appel au législateur" pour le combler.

Il ne faut donc pas s'étonner que face à ce qui désarçonne les États, à savoir le mouvement terroriste que certains appellent "État islamique" richissime, agissant par capillarité et sans pitié, le Royaume-Uni va puiser dans les règles juridiques de son droit médiéval, puisque celui-ci demeure vivant.

Le 16 octobre 2014, le Gouvernement britannique s'est prévalu d'une règle du XIVième siècle, construite dans le contexte de la Guerre de 100 ans, pour appliquer la qualification de crime de haute trahison afin de poursuivre les Britanniques qui rejoignent l'État islamique : on ne peut "prêter allégeance" à celui-ci, et respecter deux maîtres : l'"État islamique" et sa Majesté.

 

29 septembre 2014

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La liberté d'expression est une condition de la société démocratique. C'est pourquoi elle est à la fois un droit de l'homme et un principe constitutionnel. Peu importe que l'opinion ne soit pas "convenable". Il n'en fût pas toujours ainsi et Sade fût emprisonné en raison de ses écrits.

Mais de la même façon, lorsque Jean-Jacques Pauvert, décédé le 27 septembre 2014, publia en 1948 les oeuvres complètes de Sade, que les éditeurs se gardaient de faire, prenant soin d'ôter les passages les plus sulfureux et violents contre les hommes et contre Dieu, Pauvert fût poursuivi et condamné par la justice pénale pour "outrage aux bonnes moeurs".

Dans ce procès qui se déroula à Paris en 1956, André Breton écrivit aux juges pour leur expliquer d'une part que Sade était un moraliste. Était-ce un argument pertinent pour un juge ? D'autre part, il reprit l'argument selon lequel un auteur n'est pas responsable de ceux qui le lisent mal. Est-ce suffisant pour n'être pas responsable ? En troisième part, il insista sur le fait que Pauvert représentait la liberté d'expression. Cela ne suffit pas en première instance, même si le jugement de condamnation fût dans un second temps réformé en appel.

La littérature, qu'incarne aussi André Breton, peut-elle venir à la barre ?

Un procès, comme celui qui se déroula en 1956, aura-t-il lieu aujourd'hui ? Se déroulerait-il de la même façon ?

Enfin, ayons une pensée pour Jean-Jacques Pauvert, grand éditeur, pourchassé pour faire son métier, car il n'y a pas de littérature sans éditeur.

21 septembre 2014

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Spontanément, on répond "oui".

Car quand on regarde sa bibliothèque de droit, composée en grande partie de livres à couverture rouge et de livres à couverture bleue, ceux que l'on manie quand on est étudiant, ce qui forme notre esprit. Or, le Droit constitutionnel est un livre à couverture bleue (collection "Droit public" de Dalloz). Alors, n'allons pas chercher plus loin : le droit constitutionnel appartient au droit public.

Nous avons un autre indice, tout aussi solide. L'Université se compose de professeurs de droit public et de professeur de droit privé. A l'agrégation de droit public, le droit constitutionnel est au programme. A l'agrégation de droit privé et de sciences criminelles, il ne l'est pas.

Ainsi, pourquoi même poser la question ?

C'est pour ne pas l'avoir posée que le droit français, aveugle sur lui-même, est malhabile à percevoir et à manier le fait que le droit constitutionnel dépasse aujourd'hui très largement le droit public. Parce qu'il a aussi pour objet, peut-être pour coeur, les droits fondamentaux. Par exemple en matière de procédure, notamment de procédure pénale.

Mais celle-ci relève de l'agrégation de droit privé. Pourquoi l'on croyait que le droit constitutionnel était inséré dans le droit public, dont il constituerait une branche.

Ciel ! Faudrait-il recommencer nos études ?

15 septembre 2014

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Le statut de l'animal en droit est désormais une question ouverte.

Revenons à la base. Le système juridique est construit sur un système binaire, qui classe les réalités du monde dans deux catégories possibles : soit les personnes, soit les choses. On ne peut être les deux à la fois, on ne peut prétendre être ni l'un ni l'autre, on ne peut être autre chose.

Dès lors, l'animal est pour l'instant une chose.

Or, une chose se définit en droit comme ce dont la personne dispose de "la façon la plus absolue" (article 544 du Code civil) : la chose est à la disposition de la personne ; la personne est ce qui est maître des choses.

Aujourd'hui, cela ne convient plus pour l'animal, chacun le perçoit, et le droit doit évoluer. Mais comment ? Par quelle source du droit ? Et faut-il pour cela remettre en cause la catégorisation binaire chose/personne ? Il faut aussi être prudent avant d'être si vite à cette conclusion.

La question particulière de la corrida est exemplaire. Beaucoup s'insurgent contre ce qui leur paraît un traitement cruel et inutile, une souffrance atroce faite à l'animal, mis lentement à mort au nom d'une beauté dionysiaque d'un spectacle enivrant et séculaire ... Si ce courant d'opinion l'emporte, qui devrait exprimer en droit la dénégation de la corrida ?

Il est bien possible que ce soit la Législation européenne qui le décide dans le courant septembre 2014 par la modification proposée des textes. Certains y verront un progrès d'une Europe soucieuse du droit des "êtres sensibles". D'autres y contesteront la légitimité d'une Union européenne méconnaissant des "traditions locales" auxquelles s'était référé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 septembre 2012, Association Comité radicalement anti-corrida Europe et autre, pour rejeter une Q.P.C. à ce propos.

C'est une question à suivre.

7 septembre 2014

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Le couple "fait/droit" est un couple de contraires qui constitue un élément de base des systèmes juridiques. Le fait est donné et le droit est construit par ceux qui ont le pouvoir d'émettre du droit.

La question ne paraît guère avoir de sens, puisque "les faits sont les faits" tandis que le droit se détecterait par la source. Cela signifierait qu'on en repère les "auteurs", à savoir le législateur, le juge, les contractants, et que ceux-ci, parce qu'ils sont "sources de droit", ne peuvent dire que du droit. Celui-ci est  donc "artificiel" : le droit est une construction, alors que les faits appartiennent au donné. Par exemple, la loi est une construction de langage, qui n'existait pas avant que le Législateur n'utilise sa puissance performative. Alors que les faits préexistent à l'intervention puissante des auteurs du droit. Par exemple, les êtres humains existent, c'est un fait, avant que le droit n'en déclarent deux étant mariés l'un à l'autre. Ainsi, à première vue, personne ne "pose" un fait. Un fait "s'im- pose". Le droit s'ouvre aux faits qui l'entourent, même si le droit, parce qu'il est puissant et dogmatique, peut faire plier les faits, peut les sanctionner (ce qui est encore une façon d'admettre leur existence).

Mais les choses ne sont pas si simples ....

Il est si difficile de savoir ce qu'est un fait ... d'en dessiner les contours ... de distinguer une notion de fait d'une notion de droit ...

Celui qui a le pouvoir à l'intérieur du système juridique de raconter les faits, le pouvoir de la narrativité, le pouvoir de faire advenir les faits à l'intérieur de l'espace normatif du droit, a sans doute un pouvoir plus grand que celui de dire le droit.

7 septembre 2014

Enseignements : Grandes Questions du Droit, Semestre d'Automne 2014

Le Président François Hollande a indiqué fin août 2014 qu'il allait recourir aux Ordonnances pour élaborer une législation en faveur de la croissance. Cela incite à revenir sur la dimension politique de ce mécanisme des ordonnances.

La Constitution a deux fonctions majeures : organiser les rapports entre les Institutions de la Républiques et fonder les libertés et droits fondamentaux.

A ce premier titre, l'article 34 vise les matières réservées au Parlement tandis que l'article 37 se réfère aux domaines laissés au pouvoir réglementaire.

La technique des ordonnances brouille cette répartition à première vue simple. Elle la trouble et, depuis 1958, elle déplace la frontière entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif au profit de celui-ci.

Cela s'est opéré en droit, puisque l'interprétation des textes par le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel est favorable au pouvoir exécutif, qualifiant les ordonnances d'acte de nature réglementaire.

Cela s'est également opéré en fait. Et cela dès le début. En effet, c'est par une Ordonnance de 1959 que la méthode d'élaboration de la Loi de Finance a été posée. Ainsi, c'est le Gouvernement qui a conçu la façon dont le consentement à l'impôt est donné par le Parlement. Cela perdura jusqu'à l'adoption de la LOLF en 2001.

Plus encore, en 1986, le Président François Mitterrand refusa de signer les ordonnances élaborées par le Gouvernement dont Monsieur Jacques Chirac était Premier Ministre. En avait-il le droit ?

1 septembre 2014

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Dans une conception positiviste du droit, voire dans l'enseignement que l'on fait du droit, l'on a tendance à considérer que l'histoire du droit est une "science auxiliaire". Mais s'il advient que les événements passés sont conservés dans le droit actuel, alors c'est méconnaître le droit actuel que de ne rien connaître de l'histoire du droit.

Si l'on prend l'exemple de la Révolution française, fracture majeure, en reste-t-il quelque chose dans le droit français ?

Si non, alors laissons la connaissance de la Révolution aux historiens et aux érudits.

Si oui, alors le maniement pratique du droit français actuel requiert de connaître et de comprendre la Révolution française et ses idées, qui seraient encore à l'oeuvre à travers le droit d'aujourd'hui par exemple à travers de textes d'alors, encore conservés dans la lettre et dans l'esprit.

 

28 août 2014

Porte dérobée sur le Droit

Il convient donc de prendre l'affirmation comme acquise : le droit exprimerait "l'esprit d'un peuple". On veut bien le croire, puisque Savigny l'affirma ....

Suivre le grand auteur n'empêche pas de préciser le sens d'une telle affirmation. Exprimant la conception historique du droit, cela signifie que l'ensemble des manifestations juridique est le résultat d'une culture d'un "peuple", laquelle s'est forgée au fil des siècles. Ainsi, parce qu'un "peuple" français existe, il existe un droit français, qui en est le reflet.

Si cela est vrai, alors les conséquences d'une telle réalité sont considérables. En premier lieu, pour qu'un droit soit efficace, cohérent, appliqué et adopté, il faut qu'il corresponde à "l'esprit" du peuple auquel il s'applique. Le législateur et le juge doivent prendre cela dans leur art, ne pas brusquer un mouvement historique, ne pas l'ignorer, en adopter le rythme. Dès lors, les techniques des droits étrangers ne peuvent être bienvenues.

Les sources du droit les plus importantes seront les plus spontanées, c'est-à-dire celles par lesquelles la population forge au fil des siècles des usages, des coutumes. L'airain d'une loi écrite sur feuille blanche est une erreur, sauf à être recouverte elle-même par l'histoire.

Ce législateur et ce juge devraient avoir prendre pour méthode de connaître l'esprit de la société dans laquelle ils se meuvent : la sociologie et l'histoire cesseraient d'être auxiliaires pour devenir du droit positif. En cela, la Common law enracinée dans ses précédents exprime mieux l'affirmation savignienne que ne le fait le système de Civil law .

Mais plus encore, il faut qu'existe un "peuple", dont le droit recueillerait l'esprit. O, comme l'a justement relevé le Tribunal constitutionnel allemand en 2009, il n'existe pas de "peuple européen". Dès lors, comment pourrait-on construire l'Europe ? Alors que les peuples français, britannique, allemand, italien, espagnol, etc., ont un esprit si différent, et que l'élargissement nous conduit désormais vers l'âme slave ?