2 août 2010

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Le "défenseur des droits", ou la subjectivisation du système juridique

par Marie-Anne Frison-Roche

La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République est l'objet d'un projet d'une loi constitutionnelle, déjà adopté par le Sénat le 3 juin 2010, qui insère un nouveau titre XI bis dans la Constitution pour faire place au "défendeur des droits".

Quant à sa fonction, il "veille au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que tout organisme investi d'une mission de service public, ou à l'égard duquel la loi organique lui attribue des compétences". Sur la forme, il est nommé par le Président de la République. Il rend des comptes à celui-ci et au Parlement. Il s'agira probablement d'une autorité administrative indépendante. Une loi organique définira ses attributions et les modalités de ses fonctions.

- Le "défenseur des droits" sera une nouvelle A.A.I., qui ne va pas se superposer aux autres, mais plutôt en dévorer d'autres, comme le Médiateur de la République ou la HALDE.

- En revient-on pour autant à la distinction implicite entre les A.A.I. de "libertés publiques" et les régulateurs économiques (ce qui expliquerait que la CNIL qui appartient aux deux genres n'ait pas été avalée) ? Sans doute pas. Ce serait prêter trop de rationalité au législateur qu'il n'y a, puisque le Défenseur des enfants demeure indemne, et sous-estimer la puissance de défense des organes administratifs, qu'avait peut-être la CNIL et peut-être pas la HALDE. Il demeure qu'une fois de plus cette distinction entre régulateurs des libertés et régulateurs des marchés se montre inadéquate car il faudra bien que les deux notions s'ajustent pour que les marchés perdurent.

- Son insertion dans la Constitution en ferait-elle une "autorité constitutionnelle", ce qui supposerait non seulement son indépendance quant à son action, ce qui ne fait pas de doute, mais encore son autonomie budgétaire par rapport au Gouvernement, comme en bénéficie le Conseil constitutionnel ?

- Sa nomination par le Président de la République affaiblit sa légitimité, car on craint les amitiés et on n'est jamais sûr du respect du devoir d'ingratitude. Mais on ne peut que rechercher le moins mauvais des systèmes. Dès lors, l'avis obligatoire du Parlement, même simple, dès l'instant qu'il est public, est un progrès, si l'on croit un peu à la rationalité du jugement politique.

- Le point le plus important est le suivant : l'avènement du Défenseur des droits signe la subjectivisation du système juridique. Dans la conception traditionnelle française, la règle de droit vient avant la prérogative individuelle, qu'elle confère. Les "droits subjectifs", multipliés par le seul fait que le juge prenait plus de pouvoirs et qu'il peut reconnaître des prérogatives plus que des règles, ont "pulvérisé" le système juridique, comme l'a estimé avec désapprobation le Doyen Carbonnier (Droit et passion du droit sous la Vième République, Flammarion, 1995). Dès lors, la relation s'inverse, le droit de la personne ne vient plus du légitime pouvoir du législateur qui le lui donne, mais c'est de lui-même qu'il le tient et l'Etat est là pour le servir, pour le concrétiser. Les "droits de l'homme", droits subjectifs naturels, expriment l'inversion.

- Ainsi, il faut qu'intervienne un nouveau personnage : celui qui va "défendre les droits". Le système juridique a cessé d'être conçu sur une ossature de règles objectives : il est subjectivisé et l'Etat est au service de ses prérogatives premières, débiteur contre lequel le nouveau Défenseur des droits va tourner ses flèches.

Pour une analyse plus technique, v. par exemple ZARKA, Jean-Claude, Le "Défenseur des droits", Recueil Dalloz 1ier juillet 2010, n°25, n°1568.

V. aussi, sur un ton sarcastique, HERVIEU, Merryl, Le défenseur des droits : le mirage de la constitutionnalisation des AAI, Petites Affiches, 6 juillet 2010, p.12-14.

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