22 janvier 2013

Base Documentaire : 02. Cour de cassation

Cour de cassation, chambre criminelle

Arrêt du 22 janvier 2013

Le Tribunal correctionnel de Paris, par un jugement du 29 février 2012, a ordonné la fermeture d’un magasin vendant notamment des sex-toys, justifiant cette injonction par le fait que ce magasin était situé à moins de 200 mètres d’un établissement scolaire.

En cela, le Trinunal a appliqué l’article 99 de la loi du 30 juillet 1987 qui interdit la vente d’objet "à caractère pornographique" à moins de 200 mètres d’un établissement scolaire. Le Tribunal a considéré que les sex toys faisaient partie de cette catégorie d’objets.

L’entreprise défenderesse a posé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), en affirmant que cette interdiction contenue dans l’article 99 de la loi du 30 juillet 1987, était contraire à la Constitution puisqu’elle s’oppose au principe de la liberté d’entreprendre, liberté constitutionnelle.

Le Tribunal correctionnel de Paris estime que la question est suffisamment sérieuse pour transmettre la question à la Cour de cassation.

Mais la Chambre criminelle de celle-ci estime que la liberté d’entreprendre, bien que consacrée par la Constitution, sur le fondement de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme, a des limites, par exemple la protection de l’enfance et la protection de l’ordre public. Or, les deux sont ici en cause, ce qui prive, selon la Chambre criminelle, la question posée du "sérieux" nécessaire pour qu’elle soit transmise au Conseil constitutionnel. 

On peut tout d’abord noter une chose et ensuite s’étonner d’une autre.

Au titre de l’observation, on note que le "caractère pornographique" est une qualification juridique. A ce titre, elle relève d’un raisonnement, consistant pour le juge à subsumer des réalités concrètes sous des abstractions. En matière pénale, l’interprétation restrictive implique aussi des qualifications restrictives. Ainsi, un esprit très libéral pourrait soutenir qu’un sex toy n’est pas un objet pornographique, la pornographie ayant une définition subjective. Mais le fait qu’il s’agit de protection de l’enfance justifie sans doute que, dans une démarche casuistique, les concernant, les objets sont pornographiques, et non, paradoxalement, des "jouets". 


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Au titre de l’étonnement, l’on pourrait considérer que c’est au Conseil constitutionnel de mesurer si une entrave à la liberté d’entreprise que constitue l’interdiction de vendre est admissible ou non, puisque la liberté d’entreprendre est constitutionnelle.

Certes, cette liberté n’a que peu de forces par rapport à d’autres, elle n’est qu’économique et c’est par son fondement politique (l’entreprise comme moyen d’être libre) qu’elle a été insérée dans la Déclaration) qu’elle existe. En outre, il est sans doute aisé de dire que le législateur n’interdit pas ce type de commerce mais seulement limite la possibilité de le situer géographiquement à 200 mètres des écoles, ce qui est une atteinte très limitée.

Paradoxalement pourtant, ce ne sont pas ces justifications là que les juges de la Chambre criminelle vont chercher. Ils évoquent la protection de l’enfance et de l’ordre public.

Mais en cela, faisant la balance de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et du préambule de 1946, la Cour de cassation fait elle-même un contrôle de constitutionnalité. C’est après l’avoir fait et parce qu’elle l’a fait qu’elle considère que la question n’est pas "sérieuse". 


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Cela signifie que nous allons de plus en plus vers un "contrôle diffus" de constitutionnalité, dans lequel les Hautes juridictions (Cour de cassation et Conseil d’Etat) sont elles-aussi des cours qui contrôlent la constitutionnalité des lois. 

Soit on l’admet, sur le modèle nord-américain, soit il faudrait insérer, comme cela fût suggéré lors de la réforme du 23 juillet 2008, qu’il puisse y avoir un recours devant le Conseil constitutionnel des refus de transmission des QPC par les Hautes Juridictions.
 

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