13 août 2010

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C'est quoi un Etat-actionnaire "plus politique" ?

par Marie-Anne Frison-Roche

Le Gouvernement a annoncé le 3 août 2010 la création d'un nouveau métier : "Commissaire aux participations de l’État".

La fonction sera remplie par Jean-Dominique Comolli.

Cette fonction semble proche de celle assurée par l'Agence des participations de l’État. Mais le Commissaire aura une "mission plus large, plus politique". Il sera rattaché directement au Ministre de l’Économie, Christine Lagarde.

Nous avions déjà bien du mal à comprendre la notion d’État actionnaire, que le droit communautaire surveille de près...

 

Lire ci-dessus l'analyse et le commentaire.

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- La théorie de l’Etat-actionnaire a fait couler beaucoup d’encre et justifié des thèses de doctorat remarquables, car la notion est entachée d’une ambiguité fondamentale puisque on demande à un actionnaire de rechercher simplement son intérêt particulier par le rendement de son investissement, alors qu’on demande à l’Etat de dépasser cette perspective par la recherche de l’intérêt général, l’investissement pouvant être un outil d’une politique publique. Donc le droit communautaire économique, lorsqu’il n’admet l’état actionnaire que si celui-ci se comporte comme un simple investisseur recherchant un juste retour financier de son investissement, ce qui le soustrait à une sanction pour aide d’état qui guette l’Etat qui utiliserait son pouvoir d’actionnaire pour manœuvrer l’entreprise dans le cadre d’une politique publique, montre que la notion d’état actionnaire est un oxymore puisque d’un côté l’Etat est l’être qui poursuit l’intérêt général, et que de l’autre l’actionnaire qui poursuit l’intérêt particulier et que nous avons ici à faire à un Janus. Le droit communautaire ne supporte que l’actionnaire, et disqualifie l’Etat, puisqu’il n’admet l’Etat que comme un opérateur de marché. La création du Commissaire aux participations de l’Etat fait exactement l’inverse : c’est-à-dire fait prévaloir la figure de l’Etat qui va rechercher l’intérêt général, par exemple, la prévention des crises systémiques financières, ces investissements ou l’exercice du pouvoir de décision grâce à la détention d’actions et à la présence de représentants de l’Etat dans les conseils d’administration des sociétés commerciales lui permettant de mettre en oeuvre directement des politiques publiques.

- En effet, quand on a créé au sein de Bercy une Agence des participations de l'Etat, distincte du Trésor mais ne constituant pour autant pas une Autorité administrative indépendante, il s'agissait de poser que l'Etat allait être davantage que par le passé un investisseur diligent, veillant à un retour sur investissement, ce qui ne contredit pas l'intérêt général dont il est garant. Un comportement économique donc, et non politique, alors que le Trésor peut être perçu comme un instrument d'une politique économique et financière.

- Cela est en adéquation avec le droit européen, puisque la prohibition des aides d'Etat ne supporte celles-ci que lorsque, sauf grande urgence, crises, etc. (et encore, c'est la Commission Européenne qui entend les encadrer)  l'aide publique versée conduit la personne publique à se conduire en "investisseur", sur le modèle de l'homo economicus ordinaire, attendant son bénéfice, le sien et non celui des autres.

- Mais cela est contraire à une certaine conception de l'Etat, en tout cas la conception française, selon laquelle l'Etat est présent lorsque les autres en ont besoin, l'intérêt général étant plus que l'addition des intérêts particuliers. Dès lors, l'Etat, quand il devient un investisseur ordinaire, cesse conceptuellement d'être l'Etat. Ainsi défroqué, il ne fait plus de politique.

- Or, voilà que renaît par ce Commissaire aux participitations de l'Etat de la présence, autonome de l'APE - qui reste donc le bras économique de l'Etat, d'un bras politique.

- Il n'est pas sûr que les institutions européennes en soient très satisfaites.

- Le mouvement est d'ailleurs général, lié à la crise, puisque le prochain Conseil de régulation financière, en cours d'adoption parlementaire, sera sous la maîtrise du Ministre de l'Economie. On est loin des régulateurs indépendants. Il est vrai que par exemple les anglais leur attribuent la crise financière et que leur Premier Ministre vient de déposséder le régulateur financier d'une grande partie de ces pouvoirs.

- Mais ici, il s'agit du pouvoir par le patrimoine. "Je décide car je possède". C'est en cela que l'Etat pourra être plus "offensif". Ainsi, contrairement à la théorie économique qui veut que le propriétaire ne recherche que son intérêt, l'Etat pourrait utiliser ce levier pour servir l'intérêt général, au delà de la saine défense de ses intérêts ?

- Ce serait alors non plus exercer le pouvoir parce que l'Etat serait webérien, exerçant le monopole de la violence légitime, par le processus de l'élection, de la représentation, etc., mais parce qu'il serait propriétaire.

- Ce serait la ruse du scorpion. Puisque, pour reprendre l'expression d'Alain Supiot, le marché est "total" (c'est-à-dire partout et totalitaire), l'Etat ne doit plus être exogène, mais endogène et, revêtant les habits du marchand, du banquier, se servir du pouvoir de la propriété pour servir l'intérêt du groupe.

- Certains doutent qu'il sache le faire, d'autres peuvent penser que l'Europe surveille cette résurgence des vieux Etats.

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