14 mai 1994

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Publication : article dans une publication collective juridique

Philosophie du procès : propos introductifs, in "Le procès"

par Marie-Anne Frison-Roche

Le procès est aujourd'hui central, parce que le juge est d'une façon nouvelle au coeur de la société, tendant à remplacer l'homme politique. En effet paradoxalement les procès les plus fameux étaient antérieurement des "faux" procès puisque le jugement était acquis avant que le procès ne débute. On peut songer à rapprocher le procès des figures du contrat, du marché ou du jeu. Mais il constitue une figure en lui-même. La procédure va permettre au juge de faire du mieux possible, cette addition de possible rappelant au juge que juger est à la fois difficile et humain. Dès lors, ce qui est requis, ce n'est pas l'exactitude parfaite et la vérité absolue, mais l'impartialité, consubstantielle au procès, et le respect des garanties, qui ne sont pas l'ornement des procès mais leur ossature. Montesquieu rappela ce caractère naturel des droits de la défense.

Référence complète : FRISON-ROCHE, Marie-Anne, Philosophie du procès : propos introductifs, in Le procès, Archives de philosophie du droit, tome 39, Sirey, 1994, pp.19-23.

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La philosphie fît toujours large place à la loi, Platon en premier qui y consacra l'une de ses dernières oeuvres. Le procès était davantage perçu, comme chez Aristote, comme le cadre naturel de l'éloquence et de la rhétorique.

Mais aujourd'hui, le juge est le personnage puissant et proche, qui tend à remplacer l'homme politique.

Certes, il y eût avant des procès fameux  : procès de Socrate, de Jésus, de Moscou, mais le phénomène est paradoxal car ce sont tous de "faux" procès car intuitivement on sait que si le jugement est acquis avant le déroulement du procès, le terme n'a pas de sens : l'impartialité, c'est-à-dire la temporalité d'un jugement qui vient après la procédure, est consubstantielle au procès.

Le procès n'est qu'une accumulation de "possibles" : le juge reconstitue de la façon la plus exacte possible les faits, trouve la règle de droit la plus adéquate possible, l'interprète le mieux possible, pour que se dégage un jugement le plus adéquate possible à la situation qui lui est soumise. Cette addition des possibles montre que la justice n'est qu'humaine et que le juge doit conserver cela en tête.

Mais alors quelle est la figure du procès ?

Elle peut être celle du contrat, qui transparait dans l'accusatoire, et même si le souci de vérité ramène l'inquisitoire, le procès suppose toujours que les parties soient d'accord sur leur désaccord, constat plus net dans la procédure de common Law , accord qui permet l'arrêt de la brutalité du conflit et sa transfiguration en procès.

Elle peut être encore celle du marché. Le procès serait l'espace où s'ajusterait les prétentions, comme le font les offres et les demands. Le développement du marché du droit conforte l'analogie. Le lien entre le procès et la vertu de justice en est affaiblie. Dans ce mouvement, l'efficacité devient le souci premier, l'institution me mécanise et le juge idéal serait un ordinateur.

Elle peut enfin être celle du jeu. La figure est tentante, car les parties, conseillées,sont des stratéges. Mais le juge, tiers impartial et désintéressé, entre mal dans un tel schéma.

Le procès construit donc sa propre figure : elle est avant tout celle de l'impartialité.  Il en est né le droit du justiciable à un tribunal impartial, de l'article 6 CEDH, et les garanties de procédures ne sont pas un agrément du procès, elles en sont l'ossature. Montesquieu lui-même, en des termes plus classiques, le disait déjà.

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