25 février 2014

Conférences

Chaire "Innovation et Régulation des services numériques", Ecole Polytechnique

La summa divisio Personne / Chose face aux robots in La gouvernance des robots

par Marie-Anne Frison-Roche

Le droit est un système qui ne fonctionne bien qu’à base de qualifications, de définitions et de catégories fondamentales. Or, il semble que l’on s’achemine vers une accumulation de dispositions pointilleuses et disparates pour réagir au coup par coup à propos de tels ou tels type de robots. Si l’on reprend une vision plus globale et plus classique, l’on doit constater que les robots à la fois remettent en question la summa divisio entre "personne" et "choses", sur laquelle tout le droit occidental s’est construit, et qu’il paraît difficile de s’en passer. Pragmatiquement, l’on ne doit pas écarter la confrontation du couple infernal "personne/chose" forgée par le droit romain avec le phénomène multiple des robots.

Pour accéder à la problématique détaillée et au plan de l'intervention, voir ci-dessous.

Pour accéder au site de la Chaire Innovation et Régulation des services numérique  de l'École Polytechnique, sur lequel des travaux des contributeurs sont disponibles.

Pour lire la présentation générale et le programme de la séance d'ouverture du séminaire dirigé par Philippe Chantepie, qui s'est tenue le 25 février 2014, à Cap Digital , cliquez ici.
 
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© mafr


La notion de "gouvernance" est très vague et appartient davantage au vocabulaire bureaucratique qu'au vocabulaire juridique classique.

Le plus souvent, notamment lorsqu'on évoque la "gouvernance des marchés", il s'agit de suggérer que l'on va faire en sorte que des phénomènes qui échappent par nature à la puissance publique, notamment parce que la puissance technique va trop vite et que les opérateurs ne puissent plus être considérés comme de simples assujettis, mais qu'il convient néanmoins d'infléchir les évolutions.

Ce terme de "gouvernance" est chéri par les institutions européennes et nord-américaines, pour exprimer cette modernité.

Mais cela se traduit le plus souvent par une multiplication de textes très spécifiques, chacun d'un volume matériel très important, réunis en bouquet (phénomène désigné d'ordinaire par le vocable moins plaisant de "paquet"), qu'il faut entièrement changer quelques mois plus tard.

Cela risque bien d'arriver aussi en ce qui concerne les "robots". En effet, et c'est déjà en marche, on va observer tel ou tel phénomène concret et l'on va adopter des "normes", du "droit souple", si l'on est en forme d'établir un "observatoire que l'on qualifiera hâtivement de "régulateur", en attendant qu'un nouveau phénomène concret apparaisse pour l'appareiller d'un semblable train de dispositions.

Mais le droit est un système, ce n'est pas un amas de réglementation. Il est à base de qualifications juridiques, sorte d'abstractions qui reçoivent des définitions générales, dans lesquelles le juge subsume les situations de la réalité concrètes, toujours particulières et dissemblables, pour leur appliquer le régime juridique imputé à la catégorie juridique visée par le texte.

C'est ainsi que le droit peut rester à l'identique, tandis que le juge y insère des situations nouvelles.

Or, nul ne connaît ce qui serait la catégorie juridique du "robot", à laquelle correspondrait un "droit du robot". Laurence Lessing a montré qu'on ne peut pas faire fonctionner un système juridique sans passer par l'élaboration de catégorie juridique abstraite permettant d'unifier la réalité. Avant lui, Georges Vedel, dans un article définissant le droit économique, expliquait qu'il ne peut exister un "droit du cheval" car le droit est, dans son élaboration, abstrait, ne devenant concret que dans son application concrète et particulière au cas par cas.

En raison de la confusion actuelle, on en arrive à faire des définitions "conventionnelles", c'est-à-dire qu'on s'accorde à définir le "robot" comme ceci ou comme cela, "au sens du présent texte", ce qui conduit à faire varier les définitions suivant les cas.

Il en résulte une insécurité juridique totale. La prolifération des textes, parfois présentée non sans naïveté comme une "avancée" du droit, multiplie en réalité des lacunes. En effet, plus on multiple les textes pointillistes et plus on créé des lacunes.

Dès lors, l'appel d'air ainsi créé appelle la branche du droit qui appréhende les situations de fait, à savoir le droit de la responsabilité civile.

Or, le droit de la responsabilité civile, qui se résume en quelques articles du Code civil, est manié par les juges. Ainsi, si le système juridique ne produit pas ex ante un droit adéquat pour régler les difficultés nées de l'intervention des multiples robots, les règles émergeront par la voie ex post de la jurisprudence.

Mais peut-on espérer que se constitue un droit ex ante satisfait ?

On peut à première vue se poser des questions à ce propos.

En effet, par les évolutions technologique, le droit est en train de "perdre son latin". Notamment, il perd ses fondamentaux, issus du droit romain, sur lesquels il est pour l'instant construit. Le premier, c'est la summa divisio Personne/Chose. Or, nous ne savons pas nous représenter juridiquement le monde en Occident autrement qu'à travers la notion de personne, qui produit par antinomie la notion de chose, dont la personne va disposer, car le "sujet" dispose du monde, lequel est composé de "chose" (Descartes).

Mais aujourd'hui, par le phénomène des robots, qui se reproduisent, qui se construisent, qui se développent en nous-mêmes, la distinction ne fonctionne plus.

Or, pour organiser une "gouvernance des robots", il faut d'abord maîtriser une summa divisio, ranger les robots dans une catégorie, sauf à faire éclater la classe des "robots", qui n'est pas une catégorie juridique, et qui n'appartiendrait ni à la catégorie des personnes, ni à la catégorie des choses, soit pour les dispatcher dans l'une et dans l'autre, ... soit trouver autre chose que cette summa divisio trouvé il y a 2000 ans en Occident.

Il convient donc de revenir sur cette summa divisio , qui met en place deux catégories fermées. En effet, les réalités du monde sont soit une personne, soit une chose, et une réalité ne peut être à la fois une personne et une chose. Les deux catégories sont donc exclusives l'une de l'autre.

Tout le droit de l'Occident, aussi bien le Civil Law que le Common Law, est construit sur cette distinction et les deux régimes qui sont attachés à chaque catégorie sont complémentaires à la fois hétérogènes et connectés.

 

I. LA SUMMA DIVISIO PERSONNE/CHOSE, SOCLE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

A. LA SUMMA DIVISION PERSONNE/CHOSE COMME ARTEFACT

1. La personne est un artefact juridique, une titularité de droits subjectifs
2. La chose est susceptible d'être objet de droits dont la personne est titulaire
3. La personne est un masque inventé par le droit romain, masqué le corps
4. Le bien est une transformation juridique de la chose, qui devient objet de droits subjectifs et objet de marché


B. LE BIEN CRÉÉ PAR LA PERSONNE : OEUVRE ET INVENTION

1. Romantisme ou esprit de marché
2. La propriété intellectuelle, récompense du "travail créateur"
3. Évolution de la propriété intellectuelle


II. LA TRILOGIE DES ÊTRES HUMAINS, DES ÊTRES SENSIBLES, DES CHOSES ET DES BIENS

A. L'ÉVOLUTION DU DROIT POUR SUBSTITUER LA TRILOGIE "ÊTRE HUMAIN / ÊTRE SENSIBLE / CHOSE" A LA SUMMA DIVISIO PERSONNE / CHOSE

1. La contestation du pouvoir normatif du droit de créer de la réalité
2. L'émergence des "droits des êtres humains"
3. L'émergence des "sujets de droit non-humains"
4. Anthropomorphisme et sentimentalisme juridique

B. LES PERSPECTIVES JURIDIQUES APPLICABLES AUX ROBOTS

1. L'insertion de robots dans les êtres humains ou sensibles
2. La proposition de la doctrine nord-américaine de robots "sensibles" protégés contre les traitements cruels
3. Conception de robots titulaires de droits opposables
4. Conception de robots contractants et responsables
5. Constitution de quasi-patrimoine (trust)
6. La voie plus immédiate de la responsabilité du fait des robots et l'analogie avec la responsabilité de l'infans
7. Le principe de précaution


III. LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE, CONSTRUITE SUR L'IDÉE D'UNE CHOSE CONSTRUITE, PRISE A REVERS PAR L'ÉVOLUTION TECHNIQUE REMETTANT EN CAUSE LE POSTULAT

A. LES RÉALITÉS QUE LE DROIT DOIT INTÉGRER PAR EXTENSION, SUBSUMER OU NOUVELLES RÈGLES

1. Des robots construits aux robots constructeurs
2. Des robots passifs aux robots sensibles
3. Des robots à corporéité distincte aux robots incorporés

B. LE DROIT PEUT-IL SE PASSER DE LA SUMMA DIVISIO PERSONNE/CHOSE ?

1. La puissance de l'analogie
2. L'exemple du cas Monsanto
3. Le retour à la définition du droit comme art pratique
4. La régulation comme droit instrumental défini d'une façon téléologique
5. Quelle est la finalité des robots ?


Conclusion : A première vue, conduit à ne pas aller vers une catégorie unifiée des "robots", ne pas aller vers une notion de "robot", mais de classer selon la fonctionnalité des machines.

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