Sept. 15, 2014

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STATUT JURIDIQUE DE L'ANIMAL : L'évolution viendra-t-elle de l'Europe ?

by Marie-Anne Frison-Roche

Le statut de l'animal en droit est désormais une question ouverte.

Revenons à la base. Le système juridique est construit sur un système binaire, qui classe les réalités du monde dans deux catégories possibles : soit les personnes, soit les choses. On ne peut être les deux à la fois, on ne peut prétendre être ni l'un ni l'autre, on ne peut être autre chose.

Dès lors, l'animal est pour l'instant une chose.

Or, une chose se définit en droit comme ce dont la personne dispose de "la façon la plus absolue" (article 544 du Code civil) : la chose est à la disposition de la personne ; la personne est ce qui est maître des choses.

Aujourd'hui, cela ne convient plus pour l'animal, chacun le perçoit, et le droit doit évoluer. Mais comment ? Par quelle source du droit ? Et faut-il pour cela remettre en cause la catégorisation binaire chose/personne ? Il faut aussi être prudent avant d'être si vite à cette conclusion.

La question particulière de la corrida est exemplaire. Beaucoup s'insurgent contre ce qui leur paraît un traitement cruel et inutile, une souffrance atroce faite à l'animal, mis lentement à mort au nom d'une beauté dionysiaque d'un spectacle enivrant et séculaire ... Si ce courant d'opinion l'emporte, qui devrait exprimer en droit la dénégation de la corrida ?

Il est bien possible que ce soit la Législation européenne qui le décide dans le courant septembre 2014 par la modification proposée des textes. Certains y verront un progrès d'une Europe soucieuse du droit des "êtres sensibles". D'autres y contesteront la légitimité d'une Union européenne méconnaissant des "traditions locales" auxquelles s'était référé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 septembre 2012, Association Comité radicalement anti-corrida Europe et autre, pour rejeter une Q.P.C. à ce propos.

C'est une question à suivre.

C’est bien la protection des animaux qui a été mise en avant pour justifier ce changement : « La Convention Européenne pour la protection des animaux d’élevage (Council Directive 98/58/EC) déclare que ces animaux ne doivent subir aucune douleur, blessure, peur ou détresse. De toute évidence, ces conditions ne sont pas remplies dès lors qu’il s’agit de taureaux destinés aux corridas. Par conséquent, ces taureaux ne sont pas éligibles pour les aides directes de la PAC (politique agricole commune).« 

Le nouveau budget, lui, sera soumis aux membres du Parlement Européen mi-septembre, lors de la prochaine session plénière à Strasbourg.

L’UE cesse de subventionner les corridas

09/2014

ventions européennes, c’est fini !

Un député européen, Monsieur Bas Eickhout, a proposé début septembre 2014 que les entreprises qui élèvent des taureaux pour que les organisateurs de corridas puissent les acquérir ne puissent plus bénéficier des subventions européennes qui d'ordinaire viennent soutenir l'élevage.

Cette proposition sera discutée à la fin du mois de septembre au Parlement européen.

Il convient d'examiner la technique juridique mise en oeuvre avant d'examiner la ratio legis, c'est-à-dire l'idée qui l'anime.

 

I. LA PROCEDURE CHOISIE

Il ne s'agit pas d'un texte spécifique ayant pour objet particulier la lutte contre la corrida. En effet, il ne s'agit pas d'interdire la corrida, mais de la rendre plus difficile, plus coûteuse, puisque les subventions ne viendront plus soutenir les éleveurs de taureaux, ce qui accroît le coût de leur organisation, sans doute le coût du billet pour y assister, et donc incite les spectateurs à changer de mode divertissement. C'est donc le résultat d'une analyse économique du droit.

Il ne s'agit donc pas d'un texte spécifique mais d'un amendement à un texte existant. Cet amendement n°6334 a été adopté par le comité du Parlement en charge de la Santé publique et de la Sécurité alimentaire.

Cet amendement vise à modifier une directive de l'Union européenne, n°98/58, visa à la protection des animaux d'élevage.

Pourtant, cette directive prévoit que les animaux d'élevage ne doivent pas subir de "douleur, blessure, peur ou détresse" inutile.

Ici, l'on pourrait considérer que par cette seule disposition, du fait que ces taureaux sont élevés en vue de mourir dans une corrida, ils subissent par entéléchie une telle peur, de telles blessures et de telles douleurs.

Ainsi, une seule interprétation de la directive pourrait suffire à condamner la corrida. Mais les directives, à la différence des règlements communautaires, laissent une marge d'appréciation aux Etats, et beaucoup d'Etats-membres ne veulent pas tirer une telle conséquence dans l'interprétation de la directive européenne de 1998, telle qu'elle est actuellement rédigée.

Ils le font d'autant moins que, pour ne prendre que le cas de la France, le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, a refusé de déclarer contraire à la Constitution, l'organisation des corridas, alors même que le traitement cruel fait à des animaux est sanctionné par ailleurs par le droit, la décision du 21 septembre 2012 justifiant cette clémence par la "tradition locale".

Dès lors, alors même que le juge aurait pu intervenir et plus fortement en interdisant de fait la corrida, cela sera sans doute le Législateur qui interviendra, et plus insidieusement, en interrompant les aides publiques au bénéfice de cette activité cruelle.

 

II. LA RATIO LEGIS

L'idée qui sous-tend un tel texte, sans doute prochainement adopté, est que l'animal ne peut être cruellement traité. Quand bien même cela est de "tradition". Quand bien même on le fît par le passé. "Autres temps, autres moeurs".

Ainsi, c'est la jurisprudence criminelle qui, à la fin du XIXième siècle, intervînt pour interdire les combats de coq. De la même façon, les combats de chiens furent interdits. Ceux-ci le furent par la loi, autant pour les raisons fiscales qu'éthiques, car ils donnaient lieu à des paris clandestins et l'on sait qu'en France l'Etat conserve le contrôle des jeux et des paris.

Sans doute le droit évolue-t-il vers un éclatement de la summa divisio personne/chose pour façonner une troisième qualification "animal" et lui attacher un régime juridique spécifique. Cela n'est pas encore fait, puisque la catégorie "être sensible" ne correspond pas à la catégorie "animal" qui est construite par un autre ordre normatif que le droit, qui est celui de la science biologique.

 

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