June 9, 2016

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La rhétorique du "don" : dans la GPA même s'il y a de l'argent partout, ce ne serait pas parce qu'il y aurait vente, c'est parce que "contre-don" rend le geste magnifique plus "chaleureux" !

by Marie-Anne Frison-Roche

La rhétorique du "don magnifique" pour justifier la GPA fait long feu.

Tout montre que les femmes ne "consentent" à donner leur corps et à fabriquer des enfants qu'à seule fin de les céder que pour de l'argent.

Cet argent, on le retrouve partout : non seulement dans les honoraires versées aux agences, aux cliniques, aux médecins, aux avocats, dans les "cotisations" versées aux associations basées à Londres qui partagent les informations entre candidats à la parentalités, dans la "compensation financière" que la mère reçoit dans la "GPA altruiste".

Cette "GPA altruiste", les partisans de la GPA la soutiennent "altruiste" parce qu'elle serait "gratuite". Devant le flot d'argent qu'engendre le marché de la production industrielle des enfants à partir de la matière première disponible des femmes pauvres et fertiles, qui reçoivent de l'argent, cela devient de plus en plus difficile à soutenir...

Les entreprises et leurs conseils qui veulent construire l'industrie et le commerce mondiaux de la GPA ont donc trouvé une parade rhétorique : "l'argent n'est pas contradictoire avec le don" ! C'est même le contraire : l'argent renforce l'amitié entre le bénéficiaire et les "donneuses", c'est donc un instrument du don. Voilà comment la figure du don et du contre-don est reconstruite par la sophistique, à travers un très long article de 2010 du  New-York Times

Lire ci-dessous.

Une femme bénéficiaire d'une GPA non seulement raconte ce qu'elle présente comme une merveilleuse histoire personnelle, mais encore répond aux reproches faits par une de de ces amis qui lui objecte le fait que les mères-porteuses sont des malheureuses exploitées contraintes par le besoin d'argent. Certes, une amie qui ne peut avoir d'empathie parce qu'elle n'a pas vécu la maternité ("A childless friend of mine"), mais elle va tout de même répondre à cela.

Avant d'expliquer que l'argent n'est pas un paiement, mais un "don", qui répond au "don de gestation", et montre "l'amitié chaleureuse" entre les deux personnes, et rien d'autres, le récit explique que la personne à plaindre n'est en rien ... la femme qui engendre l'enfant et doit l'abandonner à la naissance afin de recevoir de l'argent, ... mais la personne qui reçoit l'enfant ayant donné de l'argent pour cela. Voilà comme cela est raconté pour provoquer ce détournement d'empathie du lecteur :

 

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C'est toujours le même début sophistique, à savoir l'établissement de son grand malheur de ne pouvoir avoir d'enfant. Elle raconte en détail sa triste histoire, alors qu'elle était dans une relation amoureuse de longue durée et qu'un homme sans cour l'a brutalement abandonnée. Puis le bonheur revient, car elle rencontre un homme merveilleux et l'enfant doit donc venir prolonger le couple. Mais l'horloge biologique a avancé et elle se heurte à des difficultés pour avoir cet enfant, prolongement de ce bonheur. Après tant de nouvelles souffrances dans un parcours du combattant qui s'avère incapable de leur donner l'enfant tant désiré, elle ne peut se résigner.

La GPA est alors une autre façon de traiter la stérilité, présentée ainsi par le médecin : "Realistically, you need to consider other ways to have a family".  Car après les échecs éprouvant de la PMA, viennent les échecs éprouvant de l'adoption. Les promoteurs de la GPA veuillent toujours à mettre en exergue les souffrances des acheteurs d'enfant qui ont tout essayé pour obtenir l'enfant par les "voies naturelles", l'adoption étant l'une d'elle, la GPA étant l'ultime voie, celle que l'on ne saurait refuser à celle qui a tant souffert, injustement souffert. La narratrice insiste : "But it seemed to me that there were no other good options.".

Face à un tel tableau, la souffrance de la mère (la "porteuse") va s'effacer, d'autant plus si l'on explique en contrechamp qu'en réalité elle ne souffre pas puisque non seulement l'argent panse son éventuelle souffrance mais surtout si elle fait un "don" : la "porteuse" est heureuse, non seulement parce qu'elle est contente du bonheur qu'elle apporte mais parce qu'elle aime être enceinte en soi ("the gestational carriers we interviewed were the kind of women who said they cried when they gave birth to their last baby, knowing they would never be pregnant again").

On arriverait dans cette sophistique à penser que celui qui verse de l'argent pour la fabrication d'un enfant à seule fin de lui être cédé est celui qui est à plaindre tandis que la mère qui est réduite à en être l'industrie en est heureuse (heureuse de donner, heureuse de recevoir de l'argent) et ne doit pas recevoir de compassion. Quand à l'enfant, on en parle plus.

La narratrice se tourne donc vers une autre femme, à laquelle elle donne de l'argent. Dans ce très long article, elle raconte en détail et en donnant de multiples informations sur ce qui paraît le monde ordinaire et normal de la GPA.

Comme il s'agit de contrecarrer les objections, elle raconte que cette amie lui fait reproche d' "acheter un ventre". Voilà comment elle répond en expliquant : ce n'est pas parce qu'il y a de l'argent qu'il n'y a pas de don.

C'est même le contraire !

En effet, l'argent "fait lien". On rappelle le plus souvent que l'argent fait "lien d'intérêt" ou qu'il permet de rendre interchangeable les objets sur un marché, par l'argent est le support de la monnaie. Mais l'on en revient ici à la présentation de l'argent sous la forme du "cadeau". C'est donc un présentation archaïque de l'argent : celui auquel l'enfant est cédé ne l'a pas "acheté", non il est simplement tellement content qu'il a fait un cadeau - sous forme spontané d'argent donné en remerciement à cette personne si formidable qui elle aussi spontanément a fait un don : le don de gestation !

Continuons de lire l'article avant de mesurer la sophistique consistant dans cette lecture archaïque de l'échange marchand à présenter celui-ci comme un mouvement spontané de deux mouvements unilatéraux de deux cadeaux .... L'argent devient ainsi "gratuit", "c'est cadeau", et la GPA altruiste peut devenir rémunérée. L'oxymore de la GPA éthique est réalisé.

 

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Car quand on reçoit un cadeau (don de gestation) on se doit de donner soi-même un petit cadeau (contre-don), car la réciprocité est ainsi plus forte dans cette relation grâce à l'argent qui perdrait sa nature d'instrument monétaire pour ne garder que sa dimension affective : "We wanted to pay, because it made the relationship feel more reciprocal."

L'argent entre la porteuse et le parent d'intention serait ainsi la forme que prend l'amitié entre ces deux adultes consentant unis par ce lien d'amitié véritable qui permet à l'enfant de concrétiser le lien d'amour de ce couple qui cesse enfin d'être plongé dans ce malheur dont ils ne sont pas responsables:

 

"A childless friend of mine compared surrogacy to prostitution, saying that she personally would prefer to be a prostitute. “They can’t want to do it — they must be desperate for money,” she insisted. Faced with the fact that both carriers were well-paid professionals, she concluded they must be masochistic. I tried to explain that the gestational carriers we interviewed were the kind of women who said they cried when they gave birth to their last baby, knowing they would never be pregnant again.

“Ten percent of women love being pregnant, 10 percent of women loathe it; most women are in between,” my gynecologist commented. “Surrogacy selects from the extreme end.”

Many people talked as if the mere fact of being compensated negated the generosity of the gestational carriers and the egg donor and asked if they were doing it “for the money,” as if they couldn’t want to help and want to be paid. Would you be less grateful to a beloved teacher, nanny or fertility doctor because they were paid? We wanted to pay, because it made the relationship feel more reciprocal. There was one woman who responded to my surrogacy listing who said she didn’t want any financial compensation. Although it sounded as if she really didn’t need money — she was an affluent divorcée in Sonoma County — I felt that we would need to pay her. “That’s our contribution,” I said, flummoxed — “one of the things we can give back.” Turning the lengthy labor of surrogacy into volunteer work felt as if it put tremendous pressure on the experience to be fulfilling at every moment. I worried she would back out or resent or regret it. What if she was masochistic? Surrogacy is prohibited or restricted in much of Europe, and as a result they have very few surrogates, and infertile couples come here. I was pleased when the Fairy Goddonor wrote and said she bought her first major purchase — a classic midnight blue convertible — because I imagined she had paid for it partly with the donation money.

 

Et voilà comment l'enfant-cadeau fût échangé en toute amitié contre un "convertible classique bleu nuit".

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