Oct. 26, 2014

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Du seul fait qu'elles sont "réglementées", les professions évoluent-elles par la volonté politique qui leur est extérieure ?

by Marie-Anne Frison-Roche

Des mécontentements s'expriment à propos des professions juridiques.

Soit du point du vue des usagers, des clients, parce qu'elles leur coûteraient trop cher par rapport aux services rendus, ce surcoût venant du monopole que les droits exclusifs leur confèrent. Ainsi, parce qu'elles sont "réglementées" et constituent un monopole, elles seraient trop peu profitables au "client". C'est donc une opposition entre le marché et la réglementation qui est avancée. Le Gouvernement en a souci, parce qu'il veut que ceux qui recourent aux services des greffiers, des huissiers, des notaires et des avocats ne payent pas de surcoûts.

Soit du point de vue des professionnels eux-mêmes. Parce que ces professions sont composés majoritairement d'hommes et qu'ils sont âgés de plus de 50 ans. C'est donc l'idée de "caste" qui est ici pointée.

Dès lors, la concurrence devrait avoir pour double effet heureux de faire baisser les prix et, multipliant les professionnels, ouvrant la profession, en ouvrir les bras aux jeunes et aux femmes.

Coup double.

C'est ce qu'Emmanuel Macron, Ministre de l'Economie, est venu expliquer le 22 octobre 2014 devant l'Assemblée Nationale, reprochant aux professions de greffiers des tribunaux de commerce, aux notaires et aux huissiers d'être trop masculins et trop vieux. Il a affirmé que la réforme, qui introduit de la concurrence et lutte contre l'idée même de "réglementation", va lutter contre cette situation regrettable.

Il faudrait bien que la loi intervienne, puisque selon lui et pour reprendre ses termes "il y a quand même quelque chose qui ne fonctionne pas dans les professions réglementées du droit".

Peut-on voir les choses aussi simplement ? Peut-on changer les moeurs par décret ? La situation tient-elle au caractère fermé des professions ou bien à tout autre chose, ce qui rendrait le "remède" inadéquat ?

 

 

Le 22 octobre 2014, Emmanuel Macron rappelle tous les chiffres devant

Le rapport d'août 2014 de l'Inspection Général des Finances (IGF) portant sur l'activité économique des professions réglementées n'avait pris que cette perspective. Il avait conclu que ces professions ont des "rentes" du fait de leur caractère réglementé, cette rente correspondant environ à 20% de ce que payent les personnes auxquelles sont appliquées les tarifs pratiquées par ces différents professionnels (pharmacienss, notaires, huissiers, etc.).

Dès lors, la solution paraît simple : si cela est vrai, il faut mais il suffit de modifier la réglementation, puisqu'elle est la source de cette rente, pour que celle-ci disparaisse et que les prix diminuent de 20% immédiatement, redonnant du pouvoir d'achat à la population, contrainte de recourir à des notaires, des pharmaciens, des huissiers, etc. 

Que l'analyse de l'IGF soit exacte ou non n'est pas ici l'objet. L'on a souligné que ce rapport contenait beaucoup d'erreurs de méthode et ne prenait pas en considération la sécurité et l'information fournies par ces professions) par ces professions en tant qu'elles sont structurées ainsi. Mais ce n'est pas le sujet.

Le sujet est qu'en matière d'argent versé par une personne pour obtenir un médicament (passons aussi sur le fait qu'il y a une prise en charge par les mécanismes de protection sociale) ou pour obtenir l'enregistrement d'un acte, ou pour faire notifier un acte, ou faire établir une vente immobilière, il faut mais il suffit que le Gouvernement change la tarification ou permette de la concurrence, par exemple en supprimant des monopoles.

Comme cela est affaire de tarifs et de monopoles, situations constituées par le droit, le droit peut modifier et défaire ce qu'il a fait. Qu'il ait raison de le faire est un autre sujet. En tout cas, il peut le faire.

Ici, c'est une autre question qui est sous-jacente : le "renouvellement" des professions, qui seraient trop masculines et trop âgées. Ici, l'art législatif aurait le pouvoir de faire en sorte que des jeunes et des femmes, et par exemple des jeunes femmes, entrent dans ces professions.

Est-ce si facile ? Est-ce de même nature ?

 

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Là encore, l'on ne s'arrêtera sur la question de savoir si le Politique doit se soucier de porter des jugements sur la composition des professions. En effet et par exemple, les banques bénéficent d'un monopole (le "monopole bancaire") et l'on sait que c'est une profession quasiment entièrement masculine. Je ne doute pas que Monsieur le Ministre de l'Economie ne s'en émeuve bientôt et ne critique le fait que les postes de responsabilité soient majoritairement confiées à des inspecteurs des finances. Je ne doute pas que cela sera très certainement un prochain sujet pour un prochain rapport de l'Inspection des Finances, et que Monsieur Emmanuel Macron, ancien Inspecteur des Finances, ancien banquier, soit lui aussi chagriné de cette situation. L'ouverture des postes de responsabilité dans la banque pour les jeunes et pour les femmes, ce sera un sujet pour un autre jour.

Suivons plutôt le regard du Ministre et regardons avec la même sévérité les professions juridiques, si fermées aux jeunes et aux femmes.

L'on peut certes n'être pas plus satisfait de la situation dans ces professions qu'on ne l'est quand on regarde la situation dans les banques ou dans l'enseignement supérieur (pas plus mais pas moins).

Le Ministre souligne que  73% des greffiers des tribunaux de commerce sont des hommes et que 77% ont plus de 50 ans. Il souligne que 85% des notaires associés sont des hommes. De plus, les notaires hommes gagnent davantage que les femmes, ce qui est très regrettable.

On le regrette, comme lui.

La question est de savoir si le Législateur peut changer cela, car la pyramide des âges et la répartition homme/femme (pourquoi ces deux seuls critères ? il y en a tant d'autres, pertinents) n'est pas décidée par la Loi. Celle-ci peut mettre des incitations, ou, pour adopter un vocabulaire plus classique et comme le disait Carbonnier, instiller de petites causes afin d'espérer produire de grands effetss.

Pour le Ministre, la solution est dans "la liberté d'installation". Là où il y a un numerus clausus, il y aura des hommes et plutôt âgés. Là où il n'y en a pas, il y a des femmes et des jeunes.

Il faut donc imposer la liberté d'installation, ou "simplifier massivement" celle-ci, pour que les jeunes et les femmes apparaissent dans la profession.

Le Ministre affirme qu'il a la "preuve" de l'efficacité de cette mesure : les avocats ont la liberté de s'installer et il y a beaucoup de jeunes avocats, comme il y a beaucoup d'avocates. Cela démontrerait l'efficacité de la solution.

 

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Mais cela est faux.

Dans l'ouvrage que vient de publier la Conférence des Bâtonnier sur Avocat et Ordre du 21ième siècle, tous les chiffres montrent que les femmes ont beaucoup de mal dans cette profession.

On ne s'en réjouit pas mais on le constate. Elles gagnent moins que les hommes. Elles sont le plus souvent collaboratrices. Elles s'arrêtent plus souvent que les hommes pour devenir juristes d'entreprise. Il est mis un terme à leur contrat de collaboration lorsqu'elles ont un enfant.

Ou, tout simplement et qui ne le sait ..., une jeune fille qui se présente pour devenir collaboratrice, se verra préférer un candidat concurrent homme, sauf à ce qu'elle s'engage implicitement ou explicitement à demeurer célibataire ou sans enfant, car le travail doit être sa simple priorité.

On le regrette, on le regrette.

Mais la situation des femmes dans les professions libérales ne tient pas dans l'ouverture à la concurrence de celles-ci.

Tout au contraire. Plus la concurrence va venir, et peut-être le bien-être du consommateur s'en accroître par l'abaissement des prix (premier objectif) et plus la pression va s'opérer à l'intérieur de la profession et dans la structuration des cabinets des professionnels.

Et là, il est vrai que le professionnel un peu âgé sera écarté au profit du jeune, plus résistant et corvéable, ainsi le premier objectif recherché par Monsieur le Ministre sera satisfait, mais la femme sera encore un peu plus écartée ou placée en position secondaire.

Ainsi, le Législateur, croyant que la concurrence favorise la "parité", aura favorisé l'agent économique le plus disponible : dans les jeunes années, comme toutes les études le montrent, c'est l'homme.

La question du numerus clausus est totalement étrangère à cela.

 

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