Nov. 14, 2013

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Publication : article dans une publication collective non-juridique

L'ancrage de la comptabilité dans le droit civil et ses conséquences dans les concepts sous-jacents des normes comptables, in La comptabilité est-elle un film ou une photo ?

Référence complète : Frison-Roche, Marie-Anne, L'ancrage de la comptabilité dans le droit civil et ses conséquences dans les concepts sous-jacents des normes comptables, in La comptabilité est-elle un film ou une photo ?, 2ième État généraux de la recherche comptable, Paris, 2011.

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La comptabilité ne peut et ne doit être pensée comme un système normatif autonome. Cela serait très dangereux que de le concevoir ainsi. Par nature, la comptabilité est une traduction. C'est pourquoi les organisateurs de ces présents Etats généraux ont utilisé les termes de "photo" ou de "film", ce qui évoque bien cette idée que la comptabilité rend compte d'autre chose que d'elle-même

 

L'on perçoit bien que la comptabilité pourrait rendre compte de la réalité quotidienne et mouvante, de la réalité des entreprises et notamment de leur réalité financière. Dans ce cas, la comptabilité ne pourrait être qu'un film. Mais si le marché se modifie, la comptabilité doit pareillement plier et modifier les chiffres qu'elle associe aux opérations et aux actifs, sa flexibilité devenant sa vertu.

Classiquement, la comptabilité n'a pas du tout été conçue ainsi. En effet, le droit connaît non pas les entreprises mais des personnes juridiques, titulaires de patrimoine dans lequel figure un actif et un passif, l'un répondant de l'autre, ces personnes faisant des opérations juridiques, par exemple des achats ou des ventes. 

Ainsi, expression classique, la comptabilité est l'algèbre du droit civil

Pour que le commerce fonctionne, pour que le crédit soit accordé, pour que des personnes s'engagent, il faut que des comptes soient tenus. Ainsi, la comptabilité puise dans le droit des contrats, dans le droit des biens, dans le droit des sûretés et dans le droit du patrimoine. A aucun moment la notion de marché n'est requise pour que la personne, qu'elle soit créancière ou débitrice voulant agir en confiance, se suffise de cette présentation comptable, de son état, de ses engagements et de ses richesses. 

Parce que l'activité commerçante consiste à entreprendre et non pas à vendre ses actifs en soi (le commerçant n'est pas un financier), l'évaluation des biens est faite au coût historique et le principe de continuation de l'entreprise est un principe comptable cardinal.

Dès lors, ce n'est que très imparfaitement que la comptabilité traditionnellement conçue exprime la performance des entreprises, laquelle s'appréhende davantage à travers des documents financier, lesquels eux-mêmes à n'être plus seulement un ensemble de chiffre, mais bien plus des discours émis par les dirigeants d'entreprise, voire des engagements à l'égard des investisseurs, engagements dont la force juridique contraigante est incertaine.

Cette évolution met en question le temps pertinent de la comptabilité. En effet, comme le fait le droit civil, l'on peut considérer que la comptabilité est un "présent immobile", nourri de toute les opérations juridiques passées et de toutes les créances et les dettes présentes dans le patrimoine. L'expression même de "bilan" renvoie à l'idée d'un arrêt sur image. Si l'on veut forcer le trait, l'on peut à la rigueur aller vers la technique du dessin animé qui superpose des images, par exemple des états comptables successifs et des états budgétaires prévisionnels qui finissent par illusion par donner une impression de mouvement. Mais ce n'est qu'une illusion, ce n'est pas un film...

C'est l'impatience des marchés financiers qui veulent tout savoir à chaque instant et avant tout connaître le futur qui transforme la comptabilité en film fantastique. La comptabilité subit alors l'attraction du temps du marché financier, son temps pertinent devient le futur et le prudent droit civil est oublié.

Or, il existe deux sortes de futur. La première sorte de futur visé par le Code civil vise la potentialité : par le seul écoulement du temps, un objet déjà présent mais encore invisible apparaîtra.  Le Code civil vise ainsi le meuble par anticipation, lorsque le texte vise un arbre encore en terre mais désigne par avance les bûches. De la même façon, la comptabilité pour intégrer les plus-values latentes. Il n'y a pas là d'imprudence. 

Mais il existe aussi un "futur incertain", c'est-à-dire la survenance d'un événement radicalement nouveau non contenu dans le présent. Or, en faisant bouger en permanence la valeur des actifs parce que la valorisation des marchés varie en fonction d'événements nouveaux survenus dans le temps, c'est faire dépendre l'entreprise de futur incertain. Il y a bien des critiques financières contrat la Market Value mais ce qui est ici pointée est une critique de droit civil.

D'avoir financiarisé la comptabilité, de l'avoir détachée de son ancrage civiliste, pour l'arrimée désormais au marché sous-jacent des actifs et aux marchés financiers, la rend par nature imprudente. Selon l'article 1832 du Code civil, qui définit le contrat de société, ce sont les associés fondant entre eux une entreprise qui prennent les risques, cela ne doit pas être le contexte de marché qui par la porosité comptable fait pénétrer ceux-ci dans l'entreprise.

l'on constate que pour  ramener un peu de certitude, l'on demande désormais aux mandataires sociaux de prendre des engagements sur le futur, ce qui relève du droit des obligations, puisqu'il s'agit d'actes juridiques unilatéraux, pouvant engager leur responsabilité, alors même que le droit civil classique exclut que l'on puisse s'engager sans contre partie. Mais ici, la contre partie de cet engagement du mandataire social pour le futur, quant par exemple au rendement dont l'entreprise bénéficie, est la confiance que les investisseurs ont dans l'entreprise. 

Or, cette confiance des investisseurs était classiquement assurée par la photographie patrimoniale que donnait la comptabilité de la société, assiette de leur droit de gage général (article 2284 du Code civil).

L'on pourrait donc dire qu'il s'agit d'une sorte de fuite en avant. La finance a aspiré la comptabilité, la détachant de son fonction d'être une photographie du passé, pour être désormais une projection en mouvement de l'avenir, ce qu'elle ne peut être en réalité qu'à travers des engagements pris par un discours des mandataires sociaux.

 

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